Retour à Deauville

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Les kilomètres avaient gommé toutes ces années de faux semblants. Les planches de Deauville l’accueillirent comme autrefois. Anne et lui aimaient contempler le spectacle du crépuscule sur la mer. . Les souvenirs l’attendaient patiemment. Il ne se sentait pas malheureux, pas encore C’était là et pas ailleurs qu’il voulait se plonger dans la souffrance et le désespoir.

Le décor de leur ancien amour n’avait pas beaucoup changé. Seul sur la plage, il pourrait imaginer ce qu’aurait pu être leur vie commune. Et ensuite ? rebâtir quelque chose ? Il n’y croyait pas trop mais aurait tout le temps d’y penser.

L’hôtel était toujours là et personne n’occupait leur ancienne chambre. Elle avait été refaite et il ne pouvait y accrocher aucun souvenir. Il ouvrit la fenêtre et crut sentir une tête posée sur son épaule. Le vent d’autrefois jouait dans ses longs cheveux bruns. Chaque matin avait alors des saveurs d’éternité. Il revit Anne dans le décor frelaté de Marienbad, escorté par ses deux crétins et rit de sa propre sottise. Comment avait-il pu être assez bête pour croire qu’elle le rappellerait ? Maintenant l’espoir n’était plus qu’une flamme minuscule qui s’éteignait.

Deauville hors saison avait gardé ses airs de belle endormie et il retrouva le bruit des vagues montant à l’assaut de la plage. Quelques couples se promenaient comme ils l’avaient fait autrefois. La soirée s’annonçait douce et sans nuage, illuminée par les derniers feux d’un magnifique soleil rouge. Une partie de lui-même avait l’impression de revenir chez elle, l’autre de ne jamais l’avoir quittée.

L’heure du dîner approchait et il décida de remettre ses pas dans ceux d’un amour perdu. La gare n’avait pas changé, seule la pluie n’était pas au rendez-vous du souvenir. On avait rénové et repeint la boite à livres.

Il y retrouva le même alignement morose de romans policiers fatigués et d’histoires sentimentales. Aucun livre n’était consacré au cinéma. Le passé ne jouait pas le jeu. Il en fut un peu déçu. Le bistrot et le vieux marin avaient disparu, remplacé par un magasin d’articles de plage. Pour la première fois depuis son arrivée, il eut envie de pleurer.

Une longue promenade sur les planches désertes apaisa un peu sa nostalgie. De loin en loin il croisait d’autres solitaires à la recherche de leur jeunesse. Il arpenta longuement les planches sans pouvoir se rappeler du nom de l’acteur américain près duquel Anne lui avait annoncé leur rupture.

Quelques cafés étaient ouverts, il s’installa face aux vagues et se décida à ouvrir sa messagerie saturée. Il élimina sans les ouvrir les messages émanant de l’Entreprise. Sa femme avait appelé trois fois. Probablement après avoir constaté que son compte était vide. Il sourit en découvrant un appel de Régis. Son vieil ami désirait sans doute avoir une discussion franche et loyale…. Franche et loyale… Victor n’aurait pas su mieux dire. Á la fin du nettoyage, il n’en restait qu’un. Avec la quasi-certitude que ce n’était pas Anne, il rappela et reconnut la voix de l’intouchable.

— Heureux de vous entendre. je me demandais si vous alliez me répondre. Vous allez bien ?

— Il y a longtemps que je ne me suis pas senti aussi bien.

— Heureux de l’apprendre, ce n’est pas le cas de tout le monde. Vous devez être au courant.

— Que voulez-vous dire ? On m’a fait comprendre que je devais prendre du repos. Donc je me repose et ça passe par la déconnexion des informations.

Il y eut un moment de silence. Victor crut voir le sourire ironique de l’intouchable.

— C’est vrai que si n’écoutez pas les actualités, vous ne pouvez donc pas savoir, et même pas vous douter, bien entendu… Dans ce cas, j’ai le triste privilège de vous apprendre que L’Entreprise a été victime d’une cyberattaque massive qui la met hors-jeu pour une durée indéterminée. Le siège social et plusieurs agences provinciales sont plantées avec des pertes massives de données. La situation ne sera pas rétablie avant plusieurs jours et on commence à peine à évaluer l’ampleur des dégâts. Le Big Boss a fait une déclaration rassurante. Une enquête interne est en cours et devrait faire la lumière sur toute cette affaire. Il parait que le siège de New-York envoie une mission pour voir ce qui s’est passé.

— On a une piste ?

— Pour l’instant, c’est silence radio. Il parait qu’on a identifié un cocktail de virus comme on en a pas vu depuis longtemps.

— Et vous, vous avez des soupçons ?

L’intouchable prit le temps de réfléchir.

— Aucune. En tout cas, c’est sûrement un gars doué pour l’informatique et qui a de bonnes raisons d’en vouloir à sa hiérarchie. Á part ça, tout va bien pour vous ? j’espère que vous êtes dans un coin sympa.

— Très. J’en avais besoin . On a tous besoin à un moment ou à un autre de ….

— De se défouler ?

— C’est le mot que je cherchais. Merci de votre appel. Je vous tiendrai au courant.

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