Un pouvoir modeste implique de menus larcins.

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  • Vite par ici !
  • C'est trop loin, jamais on va y arriver.
  • Tais-toi et cours !
  • Les gars, par ici !
  • Mec, c'est un accès réservé. Tu crois quand même pas qu'il laisserait ça ouvert à n'importe qui...
  • C'est ouvert !
  • Putain j'y crois pas ! Max, par ici ! Fonce !
  • J'ai un point de côté...
  • Ta gueule, alors ! Cours !

Soufflant comme un phoque, c'est avec la grâce d'un phacochère et l'agilité d'un camion-benne que le garçon se jette à travers l'embrasure plongée dans la pénombre. Ses deux amis referment la porte sitôt qu'il s'est écrasé de l'autre côté, puis se plaquent de part et d'autre, l'oreille tendue.

Les pas lourds et précipités s'arrêtent un bref instant devant leur cachette de fortune.

"Sales gamins", peuvent-ils l'entendre maronner, avant que les pas ne reprennent le ballet des dinosaures et s'éloignent en cadence.

Les deux garçons encore debout s'affaissent au sol en soufflant. Max se met lourdement sur le dos, étalant une couche de poussière grisâtre sur son fruit luisant de sueur.

  • C'était moins une, lâche-t-il entre deux inspirations. Une chance qu'on a pu rentrer ici, sinon...
  • Sinon tu te serais fait choper et tu nous aurais balancés.
  • Hein ? Jamais Théo, jamais j'aurais fait ça ! Ch'uis pas une balance...
  • C'est ce que tu dis, rétorque le dénommé Théo, illuminant la pièce de la lampe de son iPhone. C'est pas trop mal ici, dites donc. C'est pas des casiers d'employés, là-bas ?
  • Eh Théo...

Déjà debout, à peine essoufflé, le troisième garçon a entrouvert la porte pour jeter un œil dans le hall commercial.

  • Oublie les casiers, reprend-il en fermant la porte. Je crois qu'on peut se barrer. On repart en arrière et on s'casse par l'accès nord. Avec un peu de chance, la porte sera aussi ouverte.
  • Un peu de chance, hein ? Et si jamais c'est pas le cas ?
  • On s'casse par un autre accès ou on contourne le vigile.
  • Tss... quel plan Alex, quel plan !
  • Je te rappelle que c'est grâce à moi qu'on peut discuter tranquillement ici et qu'on a pu entrer sans péter la vitre à coups de pierres. Mais merci quand même.
  • Merci Alex, dit Max en se redressant. Beaucoup...

Théo renifle. Il a horreur de se faire saper l'autorité qu'il s'est autoprocuré. Peu importe, voilà ce qu'il en pense, alors qu'il jette des regards alentour.

Ils sont dans une salle de repos, d'ordinaire réservée aux employés de la galerie. Cette nuit cependant, ils pourraient s'offrir le luxe de s'étendre sur les sofas mauves, faire une partie de baby-foot, voir carrément zyeuter un poker de minuit sur l'écran LCD accroché au mur. Mais ce qui intéresse surtout Théo, c'est la kyrielle de casiers métallisés, sagement alignés au fond de la pièce. Avec un peu de chance, ils pourraient grappiller un pass ou une breloque qui pourrait servir de preuve à leur escapade.

Il s'approche, fait la moue devant les cadenas, mais tente tout de même sa chance. Après tout, ils n'auraient normalement jamais pu pénétrer aussi facilement ici qu'en tirant sur une poignée. Celles des casiers ne bougent pas. Théo pousse un grognement et se retient de justesse d'envoyer un coup de pieds sur le battant, lorsqu'il croise le regard réprobateur d'Alex.

  • Ça va, ça va, dit-il. Ça coûtait rien d'essayer, non ?

Alex ne répond pas. L'adolescent va se planter devant une porte dénuée de verrou et la tire. À sa grande surprise, elle s'ouvre avec un claquement.

  • Eh bé, il y en a qui craignent pas de se faire virer, lâche-t-il en fourrageant à l'intérieur.

Rien de bien intéressant cependant. Un vieil uniforme sentant la moisissure, des photos de vacances à Barcelone et un sandwich Sodebo périmé. Max s'en empare pourtant et commence à l'engloutir à pleines bouchées.

  • Quoi ? s'exclame-t-il devant leurs mines dégoûtées. J'ai trop faim, c'est tout !

Reportant son attention sur Alex, Théo s'interroge. Trois fois, ça commence à faire beaucoup, même pour quelqu'un qui a de la chatte. Ce serait fou, mais... Il tapote l'épaule d'Alex.

  • Essaie d'ouvrir celui-là, lui glisse-t-il à l'oreille en désignant le battant qu'il a plus ou moins tenté de forcer.

Son ami le regarde sans comprendre, passant du visage renfrogné de Théo, au battant en ferraille.

  • Et t'espères quoi exactement ? Au cas où t'aurais pas remarqué, il y a un cadenas dessus.
  • Je sais. Essaie, c'est tout. Je veux vérifier un truc.

Alex le fixe un moment, mais il est bien sérieux. Haussant les épaules, il attrape la poignée et tire sans rencontrer plus de succès que son compagnon.

  • Le cadenas, tire dessus pour voir.
  • Tu fais chier, mec, réplique Alex en attrapant le verrou. Comme si...

À la seconde où ses doigts fins se resserrent autour du boîtier, le mécanisme cliquette, l'anneau coulisse et le cadenas tombe sur le sol, laissant la porte s'entrouvrir en grinçant. Il n'y a plus qu'à se servir. L'adolescent reste interdit. Les deux autres aussi, Max manque d'en faire tomber son sandwich sur le lino.

  • Putain, mec ! s'écrie-t-il. Comment qu't'as fait ça ?!
  • J'en sais rien, répond Alex en regardant ses mains, tandis que Théo fouille déjà dans la consigne d'Ali Baba, pour en sortir la carte magnétique de son propriétaire.
  • Mec, je crois que t'as le pouvoir de déverrouiller les portes, déclare-t-il en faisant miroiter le pass à la lumière de son smartphone.
  • Trop cool, dit Max.
  • Trop nul, tu veux dire, rétorque Alex, sourcils haussés. Et puis c'est rien qu'un coup de pif. Tiens, si je prends celui-là...

Il attrape un autre cadenas, plus massif et complexe, qui pourtant se déverrouille au toucher de l'adolescent, dévoilant un fatras de nippes et de photos de filles un peu trop dévêtues. Max s'esclaffe. Les yeux de Théo s'illuminent.

  • Mec... est-ce que t'as la moindre idée de ce qu'on va pouvoir faire avec ça ?

Alex, perdu dans la contemplation de ses mains, ne répond pas tout de suite. "Ouvrir des portes", tu parles d'un pouvoir. Voler, devenir invisible, envoyer des boules enflammées, ça c'est du pouvoir magique, mais déverrouiller tout ce qui traîne... Il a l'impression de s'être un peu fait enfler à la loterie.

  • T'imagines si marche avec tout ? s'interroge Max, les mains chargées de photos coquines. Genre ouvrir les tiroirs-caisses, la foutue salle 106 du collège ou mieux, mieux... le vestiaire des filles.

Théo s'esclaffe à son tour. Alex, lui, préfère lever les yeux au ciel.

  • T'es vraiment un obsédé, dit-il en se dirigeant vers une porte située au fond de la pièce.

Sa main se pose sur la poignée, appuie, tire et la porte s'ouvre sans résistance. Derrière, un couloir aseptisé, s'illuminant automatiquement. Raccourci vers la sortie, ou méandres tortueux connus seulement des agents de sécurité et des employés zélés ? Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir. Ce n'est pas comme s'ils risquaient de se retrouver enfermés.

D'un mouvement de tête Alex fait signe à ses amis, qui hochent la tête avec entrain et s'engouffrent à sa suite dans les méandres du centre commercial.

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