Les Cahots de la route

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À mesure que la charrette avançait bringuebalé par les cahots de la route ; Mante sentait au loin les effluves marins annonciateurs d’une arrivée prochaine. L’angoisse commençait à joyeusement trifouiller ses entrailles, quand le marchand qui le conduisait lui adressa la parole :

« Alors le jeunot, qu’est-ce qui t’amène du côté de Bourg******* ? T’as de la famille là-bas ?

— Pas que je croie, c’est le Consulat qui m’y envoie. Je dois me rapprocher des îles, précisa calmement Mante, tout en sachant que par ces simples mots il venait de jeter un froid. Les actions de l’ordre des mages ne trouvaient pas vraiment grâce auprès des gens du peuple.

— T’es un des gars du Consul ! Ça, c’est une surprise, je ne m’en serais pas douté avec tes guenilles. Si j’avais su, je ne t’aurais pas pris, mais bon, tu m’as pas l’air très débrouillard. Ne t’inquiète pas, j’vais pas te laisser dans la friche. Je n’ai pas envie qu’on dise que Troissou abandonne ses passagers. »

Son allure gringalette lui profitait une fois de plus. Mante avait pris l’habitude de cacher son identité derrière des vêtements de mauvaises factures et de maigres bagages. Il s’amusait souvent de la manière dont les gens pouvaient revoir leurs a priori quand on leur apparaissait secourable : « normalement je ne transporte pas les mages, mais toi tu as l’air d’un bon gars ». C’était aussi une des raisons pour lesquelles il voyageait seul ; il n’était pas rare que les délégations du Consulat se fassent jeter. Les rumeurs remontaient à des dizaines d’années : vol d’enfant, responsabilité dans l’émergence des mutations, et cetera…

Le soleil s’apprêtait à embrasser l’horizon quand il aperçut enfin la mer. Les nuages au-dessus de leurs têtes devenaient de plus en plus agités à mesure que le soir tombait :

« J’espère que tu ne comptais pas prendre le large aujourd’hui. Il est trop tard, et le temps annonce la tempête. Nous ferions mieux de nous abriter pour la nuit.

— Je l’espérais, mais mon instinct de survie est encore assez sûr pour ne pas me pousser à lever les voiles par grands vents, balança Mante en rigolant, ne pouvons-nous pas nous placer contre un de ces rochers en bord de route ? Ils nous protégeront.

— Bonne idée le jeune, on y va, répondit Troissou en intimant à son canasson un changement de direction. »

La voix du ciel se faisait de plus en plus forte sur la petite lande côtière, tandis que le sable qui attendait embusqué dans les mottes d’herbes bondissait sur eux avec l’intention plus que claire, de les passer à tabac.

Par chance, la petite compagnie de fortune parvint à s’abriter derrière un immense roc. À le voir, ce n’était pas la première fois qu’il affrontait un pareil déchaînement ; ses traits avaient été lissés par les grains de sable. De son côté, Troissou installa son bourrin contre la pierre puis le couvrit d’une toile cirée. Alors qu’il lui donnait de l’eau, il tenta de communiquer avec Mante, mais ses histoires se perdirent dans le tumulte ambiant ; à tel point que les seules paroles que le jeune homme entendit furent : « Par les bottes d’Eloir quel temps de merde ».

Mante était un solitaire, mais la proximité de Troissou avec son cheval lui rendait son compagnon sympathique. En plus, avec ce vent, aucune crainte de se faire attaquer par des bandits. Ainsi, il s’endormit dans la tourmente protégée par la charrette.

***

Ils arrivèrent peu après que le soleil ai atteint son zénith à Bourg *******. Le village avait été bâti entre deux falaises et cerclé de murailles de pierre :

« On est loin du simple hameau de friche, je ne t’ai pas demandé ce que tu venais chercher ici ? S’enquit le jeune homme.

— Des perles. Ça fait fureur chez les nobles et rapporte gros sans avoir à s’encombrer plus que nécessaire. Je les troque contre des graines et de la nourriture. Je suis désolé de te demander ça, mais je préférerais que nous entrions séparés. Je crains de perdre en marge si l’on m’associe au Consulat.

— Ça ne m’arrange pas, mais je suis prêt à faire cet effort, bonne continuation Troissou, dit Mante en sautant de la charrette.

— T’es un bon gars, si nos chemins se croisent à nouveau je serais content de t’aider. »

Le marchand avait attendu le dernier moment, sans doute par crainte de froisser Mante, mais tout ceci lui faisait encore perdre son temps. D’autant que sa quête avait tout de la mise au placard… Aller récupérer des artefacts dans l’ancien siège du consul ; sur un archipel détruit il y a quelques années par des flux chaotiques.

Rien n’indiquait qu’il restait quoi que ce soit là-bas : « fais chier », murmura le jeune mage tandis que l’angoisse commençait à emprisonner sa poitrine. Il lui fallait faire quelque chose. D’un clin d’œil Mante agrandie ses pupilles : comme lorsque l’on gonfle le ventre. Suivant sa magie, ses iris virèrent du vert au jaune. Désormais, il voyait toute la lande et discernait même les têtes de quelques gardes qui patrouillaient le long des murs.

Ils avaient de bonnes têtes de frichiens s’amusa Mante : les sourcils froncés, l’air prêt à en découdre. Lui qui avait grandi sous la protection d’une armée et de plusieurs enceinte de murailles envisageait mal comment pouvait être la vie ici. Au sud, il apercevait quelques champs cerclés de tours de fortunes.

Tout à coup, venant du bourg s’éleva un intense geyser suivi d’un hurlement sourd à en faire frissonner les pierres. Quelques secondes à peine, le bruit d’un cor de guerre retenti, signal d’une attaque. Même en ayant transfiguré ses yeux, impossible de voir au travers des murailles et des maisons : par instant, des gerbes d’eau virevoltaient dans les airs, accompagnés de cris et de heurt.

D’un bond, il entama sa transformation : d’abord s’alléger, s’abandonner, lâcher du lest. Mante évacuait des bouts de lui sous la forme de nuages de fumée pour devenir autre, plus petit, plus vif. Il sculptait son propre corps, réorganisais ses organes pour former de nouveaux os, des ailes, des plumes, un bec, des serres. Sans oublier d’insuffler dans ce maigre cerveau une idée, un germe de curiosité.

Le faucon prit son envol au milieu des herbes sèches, dominant rapidement tout l’horizon. D’en haut il voyait par-delà les murailles, les maisons faites de pierres ocres et les pontons de bois qui avançait en griffes sur la mer. À quelques centaines de mètres du rivage, entre des tables d’élevage d’huîtres évoluait une masse gluante grande comme deux charrettes. La bête projetait de puissants jets sur une petite dizaine d’hommes d’armes en formation autours d’elle. Il devait s’agir d’un mollusque ayant muté sous l’effet de flux d’éther surpuissant. Lorsqu’un des combattants s’approchait de cette masse gélatineuse rosâtre, un tentacule venait immédiatement punir sa hardiesse. Au milieu de ce ramdam, une silhouette faisait exception. Elle avait lâché sa lance et avait bondi sur l’immondice pour le taillader de son poignard. Sous l’effort, ses muscles semblaient prêts à sortir de sa peau, luttant pour garder le contrôle soumis à un équilibre instable.

Elle saisissait, tranchait, arrachait, libérant l’ichor de la créature qui se rependait dans l’eau, la tintant d’indigo. Alors qu’il s’apprêtait à finir son deuxième tour autour de la scène, Mante aperçut un tentacule émerger dans l’angle mort de la guerrière ; cette protubérance prenait l’aspect d’un bec de calamar prêt à frapper. Seule au milieu de la créature, Mante imagina lui venir en aide ; il s’imagina plonger pour lacérer la protubérance de ses serres. Cependant cette pensée fut fugace, car d’un retournement de lame, le tentacule fut tranché emportant avec elle une grande partie du monstre qui s’effondra sur le coup. Alors que les soldats saluaient par une houra le courage de leur championne, celle-ci lança vers le faucon un regard encore empli de la rage guerrière qui la galvanisait. À cet instant, la conscience du volatile disparu pour laisser place à celle du mage. Sa curiosité était rassasiée, et Mante ne devait pas faire remarquer. Après quelques petits cercles supplémentaires, le faucon disparu du ciel.

***

Reprendre forme humaine fut difficile, la peau qu’il avait quittée demandait bien plus de ressources que celle qu’il possédait. Il se présenta aux portes de la ville comme le dernier des miséreux. Maigre, blafard, le garde l’avait même accompagné jusqu’à l’auberge après s’être assuré qu’il disposait de quoi payer.

À l’intérieur, régnait une atmosphère de fête parfumée d’odeur de bière et du fumet agréable de poisson que l’on grille. À son entrée le garde s’adressa au tenancier d’une voix forte pour couvrir le bruit ambiant : « Mérou je te ramène un client, il sort à moitié crevé de la friche. Apporte-lui ripaille avant qu’il ne tombe dans les vapes. »

Le bien nommé mérou saisit Mante comme s’il s’agissait d’un tabouret et l’assis dans une alcôve proche du bar : « alors qu’est-ce que je te sers ?

— Un repas pour quatre, dit Mante en tendant à l’homme une gemme de couleur verte.

Surpris, le tenancier marqua un temps d’arrêt avant de se ressaisir.

— Bien mon gars je t’apporte ça de suite. »

Malgré le peuple qui s’amassait dans la taverne, Mante remarqua vite la tueuse de mutants. Maintenant au sol, elle lui paraissait encore plus imposante que dans les airs. Sa peau était écarlate et striée de cloque sans doute liée au contact avec la créature :

— Ne t’inquiète pas, elle en a vu d’autres, dit Mérou qui revenait chargé de victuailles. D’ailleurs je ne t’ai pas demandé comment tu voulais te faire appeler ici. Tu veux que l’on choisisse pour toi ?

—Allons-y, murmura Mante en un mince filet de voix.

— Les gars, le nouveau veut qu’on lui trouve un nom ! hurla Mérou à l’adresse des frichiens tandis que Mante commençait déjà à dévorer le poisson qui lui faisait face.

Plusieurs voix s’élevèrent de la plus flatteuse à la plus moqueuse. La tradition en Mildeltria était de porter un nom différent dans chaque communauté : « doré », « La seiche », « crevette ». Au milieu de tous ces noms, Mante parvint à capter le nom d’une plante de la région :

— Tiens appelez-moi Luzerne les plantes c’est mon truc.

— Soit, je vous présente Luzerne les gars. »

Tour à tour de nombreux villageois passèrent se présenter auprès de Luzerne qui s’empiffrais comme un beau diable. Même la grande combattante lui adressa ses salutations. Une fois son repas fini, il héla Mérou qui passait non loin de sa table : « Même si je suis certain qu’elle supporte très bien ses blessures, je peux fournir un baume pour stopper les démangeaisons, dit luzerne en désignant du regard les plaques rouges qui couvraient le corps de celle qui c’était présenté à lui comme kraken.

— Tu peux proposer, mais je ne suis pas certain qu’elle en ait quelque chose à faire, c’est une mutée, elle ne doit même pas les sentir. »

Luzerne n’était pas certains de cette affirmation. Quand il regardait les blessures laissées par la créature. Les veines bleutées, qui apparaissaient le long des stigmates rougeâtres, lui brûlaient rien qu’à les regarder. Même si sa présence était intimidante, Luzerne prit son courage à deux mains. Il sentait que Kraken faisait partie de ceux qu’il est bon de compter parmi ses alliés :

« Excuse-moi, murmura Luzerne, je peux sans doute t’aider à calmer le feu si tu sais où trouver certaines plantes.

— Qu’est-ce que tu dis ? hurla-t-elle au milieu du raffut.

— Je peux t’aider pour tes blessures si tu sais où trouver des plantes, répondit Luzerne en forçant sur sa voix. »

S’en suivis de longues secondes durant lesquelles Kraken examina ses bras, la plante de ses pieds pour finalement déclarer :

« Pourquoi pas, je vois mal comment tu pourrais empirer tout ça. Quelles plantes veux-tu ?

— Pour faire un cataplasme il me faudrait de l’alchémille ou de la consoude. Puis un truc gras, comme de l’huile ou du beurre.

— La consoude me dit un truc, je trouverais. Le gras aussi. J’habite dans la vieille bicoque à côté du phare, tu ne devrais pas te tromper ; les vitres d’une des fenêtres ce sont des planches. Viens après ma ronde quand le soleil se couche, je t’hébergerais si tu n’as pas encore prévu où passer la nuit. Je vais me dépêcher, ma ronde commence bientôt. »

Sur ces mots Kraken se dirigea vers la sortie tandis que Luzerne sentait peser sur lui des regards scrutateurs.

***

En déambulant dans les rues du bourg, Mante ne pouvait s’empêcher de penser à l’avoine qui l’attendait à son retour au consulat.

Il sentait le fil du temps le dépasser et il savait son mentor sensible au moindre retard. « Tant pis », se disait-il. De toute manière il n’était pas en état de voyager et le village n’était pas prêt à envoyer une embarcation en mers.

Les rues étaient désertes ; avec l’attaque du mutant, tous œuvraient à la réparation des cultures d’huître. Près du port, Luzerne croisa le chemin de Troissou. Celui-ci semblait en proie à de difficile négociation : l’attaque d’aujourd’hui avait apparemment augmenté les prix plus que de raison. Mante visita ainsi une grande partie du village. Avec l’allongement des ombres, l’heure dorée approchait. Et pour le jeune mage, il était bientôt temps de rejoindre Kraken.

La puissance dégagée par la mutée l’attirait ; il retrouvait chez elle le magnétisme propre à certains grands mages qu’il côtoyait au consulat. Trouver la maison ne fut pas bien compliqué, comme annoncé une des deux fenêtres ornant la façade était obstruée. Kraken fit son arrivée moins d’une heure plus tard, un sceau rempli de plantes dans la main droite et sa lance dans la gauche.

Son visage exprima une forme d’amusement lorsqu’elle aperçut Luzerne assis sur le fronton de son logis : « Je compte sur toi brindille, ça brûle tu n’as pas idée. ».

Le sceau rempli à ras bord de consoude était une bonne chose. Par chance certaines avaient même étaient arrachée avec les racines.

Luzerne se mit rapidement au travail, il réduit les racines en une pâte malodorante grâce au manche de son couteau et fit infuser les feuilles. Kraken le regardait avec attention, assisse dans un coin du logis qui se résumait en deux vastes pièces ; ses yeux, noirs au point qu’il était difficile de faire la différence entre l’iris et la pupille, balayait du regard Luzerne. Les spasmes dans sa mâchoire marquaient une hésitation, mais après de longues minutes sans un mot, Kraken prit enfin la parole : « Tu es un muté toi aussi ? ».

La question prenait Luzerne au dépourvu et à vrai dire il aurait dû s’en douter.

La jeune femme pensait que son air décharné et son corps malingre résultaient d’une mutation de naissance. Que faire ? mentir… dire la vérité à une inconnue ? Il fallait prendre une décision. Ce n’est pas comme elle ne faisait pas partie du commun des mortels : « Mon corps n’a pas muté, mon aspect est le résultat de ma magie, dit Luzerne en s’approchant un bol de son onguent dans la main.

— Ce sont donc les gens comme toi que les gamins doivent craindre, répliqua Kraken, tu ne fais pas bien peur.

— Malheureusement, notre réputation est un peu sur faîte. Ma langue doit avoir besoin d’un cadenas, car je parle un peu trop depuis quelques jours, lâcha Luzernes en soupirant. »

Le baume sentait une odeur herbacée quand il commença à l’appliquer. Au relâchement musculaire de sa patiente, l’apprenti guérisseur était content de constater que la mixture fournissait bien l’apaisement prévu. Sous ses doigts, chacune des fibres musculaires de la guerrière se révélait. De nombreuses langue de feu s’enroulait atours de ces membres, démontrant l’âpre volonté de la créature de restreindre les mouvements de Kraken ; manifestement sans succès. D’ordinaire, les mutations causées par l’éther réalisaient d’étranges hybrides, mais chez cette femme ses tissus avaient été entièrement atteints. Après une dernière touche sur le mollet gauche, Luzerne put enfin s’exclamer : « Voilà, j’ai fini ! Normalement, ça devrait te permettre de dormir sans trop d’inconfort.

— Merci Luzerne, est-ce que je te dois quelque chose ? demanda Kraken en se relevant. »

S’il n’essayait pas maintenant, il n’arriverait jamais au bout de tout ça, c’était son moment :

« Je dois me rendre sur l’archipel des bois blancs, tu pourrais m’arranger ça. Bourg ***** est le seul village assez développé pour me permettre ça et je n’arriverais jamais sur l’archipel sans bateau avec les monstres qui traînent. »

La guerrière éclata de rire :

« Tu cherches donc de l’aide pour te buter, je peux t’y aider ».

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