Le crépuscule des âmes
Du haut de la falaise, nous contemplons le grand Canyon. Au creux des roches profondes résonne le son ardent de la rivière intrépide. Je t’observe à la dérobée. Je me perds dans l’harmonie de nos profils similaires.
Toi, tes cheveux courts argentés.
Moi, ma coupe au carré.
Nous avons en commun nos sourcils marqués par une détermination sans faille. Mais nos mâchoires diffèrent : la tienne a les contours de l’expérience, de la force mêlée à la sagesse. La mienne porte encore des traces de révolte et d’impatience.
Notre nez a la même courbe affirmée.
Nos lèvres naturellement écarlates sont modelées par nos silences prolongés et nos émotions sporadiquement libérées.
Reste notre regard à la couleur d’une forêt profonde. Ici, se cache le reflet de nos âmes reliées jusqu’à la fin des temps.
Le crépuscule efface nos ombres sous un ciel bleu d’ambre. Des vaisseaux aux rayonnements d’argent s’envolent vers d’autres lunes. Dans un élan de protection, je me retiens de te dévoiler le fruit de mon inquiétude et te dis :
- Je pars demain, maman.
Ma voix a le même timbre que le tien, doux, fragile, plus ténu dans les dernières syllabes. Tu ne réponds rien. Ce léger tressaillement de ta nuque trahit ton déchirement. Tu as tant espéré que je reste. Mais mon envie de conquête, ma soif de voyages, mon impétueuse jeunesse, m’entraînent vers un ailleurs que je pense plus beau.
J’aurais voulu te prendre la main, entourer tes épaules, te serrer contre moi. Je ne parviens pas à prononcer un je t’aime, pétrifiée par ma pudeur extrême. Je dépose un baiser sur ta joue et tu me souris. Je te promets mon retour prochain. Tu acquiesces.
Nous n’avons jamais su nous dire au revoir. Le vent se lève comme un signal. Sur le chemin du retour, nous parlons de petits riens : de la fraîcheur du soir, du repas à venir, du bienfait de nos promenades.
J’ai pensé à toi maman quand j’ai quitté mon centre de gravité. À ce micro millième de seconde, lorsque nous avons atteint la vitesse de la lumière. J’ai su que je ne te reverrai jamais.
À toi, maman.
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