Nous
Derrière la porte, c’est Maïllis qui vient pour m’emmener à une fête, encore. J’aime bien Maïllis, mais elle a le don de dire ce qu'il ne faut pas au pire moment et de toujours me déranger quand je veux être seule. Elle me sourit sous sa trop grosse couche de maquillage et agite sa poitrine devant moi de manière désagréable. Je n’ai pas envie de sortir, pas envie d’être dans le bruit, de voir des gens que je ne supporte pas et de devoir sourire alors que je rêve de mon lit. Mais elle insiste, minaude, pleurniche presque, et je finis par lui dire oui pour qu'elle arrête de faire une scène digne d'un mélodrame de série Z. Comme plus tôt dans la journée, elle ne dit rien sur mon apparence masculine. Je perds pied de nouveau. La fête est une cacophonie insupportable. Trop de bruit, trop de monde, trop de chaleur, trop peu d’espace pour circuler. Le simple fait d’être au milieu de cette foule me donne l’impression d’être étranglé. On me met un verre entre les mains, pour changer, mais le liquide à l'intérieur me donne la nausée et réveille les souvenirs de la veille.
Maïllis me rattrape rapidement, toujours aussi souriante, toujours aussi insensible à ma détresse. Elle n’est pas seule. Une fille, petite et rondouillette, avec une couche impressionnante de maquillage sur le visage et la jupe la plus courte que j’ai jamais vue, est accrochée à son bras. Elles se collent toutes deux à moi, hurlent dans mes oreilles, et font courir leurs mains sur la chemise que Maïllis a insisté pour que je mette avant de partir. Le contact me met mal à l’aise. Je ressens tout différemment, chaque effleurement est plus intense, plus intrusif. Je finis par me défaire d’elles sans trop savoir comment et trouve enfin une pièce vide, une salle de bain située au deuxième étage de cette immense maison. Je ferme la porte derrière moi et m’approche du lavabo pour m’asperger le visage d’eau fraîche. Protégée du monde, je respire enfin. Un mal de tête me gagne, et les larmes aussi. Encore. Cette routine commence à me fatiguer depuis ce matin. Je me sens minable, complètement perdue. Mais à qui parler ? Comment expliquer ce qui m’arrive sans passer pour une folle ? Pour un fou ?
Je ne sais même plus comment parler… J’ai vécu vingt ans dans le corps d’une femme, et je me réveille un matin dans celui d’un homme.
Inimaginable.
Je me laisse aller pendant quelques minutes, somnolant presque avant d’être interrompue par la porte que l’on ouvre. Aussitôt, je serre les dents, car les voix que je reconnais n’annoncent rien de bon. À peine le temps de penser que, déjà, on tire brutalement le rideau, laissant apparaître Maïllis et son amie qui, me découvrant ainsi, se mettent à glousser d’un rire qui empeste l’alcool et l’idiotie. Je soupire, persuadée qu’elles vont insister pour que je redescende avec elles en bas pour profiter de la fête. Mais ce n’est pas ce qui arrive. Mon corps se fige quand Maïllis s’allonge brusquement sur moi dans la baignoire, son poids m’écrasant contre le fond froid de la céramique.
— Qu’est-ce que tu fais ?!
Elle ne répond pas, se contentant de plaquer son corps contre le mien, sa poitrine épousant mon torse. Une vague de malaise me glace de l’intérieur. Je tente de me redresser, mais elle saisit mon visage, ses doigts s’accrochant à ma mâchoire, et écrase ses lèvres contre les miennes.
Mon souffle se bloque.
Sa bouche est contre la mienne. Mes lèvres sont immobiles, figées de dégoût. J’essaie de la repousser, mais elle s’accroche, pire qu’une sangsue. Derrière elle, son amie rit avant de nous laisser, prenant même la peine de refermer la porte, m’enfermant avec ce cauchemar. Elle essaie d’entrer sa langue dans ma bouche. Une terreur glacée me tétanise. Ses mains parcourent ce corps qui ne m’appartient pas, mais que j’ai pourtant l’impression qu’on agresse. Je veux la repousser, la dégager de moi, mais je ne sais pas comment doser ma force dans ce corps qui n’est pas le mien. J’ai peur de la blesser, peur aussi de mal réagir et d’empirer la situation.
Quand la porte s’ouvre de nouveau, je n’ai jamais ressenti un tel soulagement. Plus encore quand elle me lâche et se tourne vers la personne qui l’interrompt. Mon regard, encore perdu, rencontre celui du garçon de l’arbre. Il me voit. Il comprend. Il s’approche et attrape Maïllis par le bras, sans ménagement, pour lui faire lâcher prise. Elle pousse un cri outré et déverse une flopée de jurons à son encontre.
— Il est avec moi, rétorque-t-il froidement.
Sans perdre une seconde, il saisit ma main et me tire hors de la baignoire avant de nous faire sortir rapidement, zigzaguant entre les nombreux invités. Il nous entraîne dans une petite pièce sombre et referme la porte derrière nous.
J’inspire une bouffée d’air tremblante. Le silence nous enveloppe. Puis, sans prévenir, je ris. Un rire nerveux, incontrôlable, presque hystérique. Tout ça est tellement absurde, tellement surréaliste. Entre moi, devenue un homme, Maïllis qui me bave dessus et ce type qui me sauve de nulle part, mes nerfs lâchent. Son rire le rejoint, un peu cassé, rauque, comme s’il fumait trop. Quand enfin nous réussissons à nous calmer, le silence revient. Il est là, tout proche, et je réalise soudain que je ne sais même pas son nom. Je devrais dire quelque chose. Le remercier. Mais les mots restent coincés. Soudain, il effleure mon bras du bout des doigts. Je sursaute violemment.
— Pardon, murmure-t-il aussitôt. Je ne voulais pas te faire peur…
Il retire sa main, mais, dans un réflexe que je ne comprends pas moi-même, je l’attrape avant qu’il ne s’éloigne.
— Non, tu… tu ne m’as pas fait peur, mais je suis encore à cran à cause de… Maïllis.
— C’est ton amie ? demande-t-il, un sourcil levé.
— Oui enfin… C’est ce que je pensais.
Il rit doucement, comme pour briser le malaise qui s’installe dans ma gorge. Puis, lentement, sa main se pose sur mon torse. Je frissonne.
C’est étrange. Mon corps est différent, et pourtant ce contact m’atteint comme jamais auparavant. Sans ma poitrine, je ressens tout autrement. Je me sens plus vulnérable, plus exposée. Il fait glisser sa paume sous ma chemise et je tressaille, un soupir rauque s’échappant de mes lèvres sans que je le contrôle. Mon propre son me surprend. Ses doigts, légèrement froids, effleurent mon ventre, déclenchant un frisson qui remonte le long de ma colonne vertébrale. Il semble attendre, comme s’il me demandait silencieusement la permission. Je ne bouge pas. Je ne veux pas bouger. Ce n’est pas comme avec Maïllis. Je n’ai pas envie de m’échapper. Il passe sa main dans mon dos et m’attire à lui, mon cœur explose dans ma poitrine, je ne sais pas quoi faire de mes mains, tout est trop nouveau, trop brut. Je pose une main hésitante sur son bras, tandis que l’autre glisse contre sa nuque, son souffle caresse mon visage.
Il est plus grand que moi. Nos lèvres se frôlent, légères, hésitantes, et soudain, quelque chose éclate en moi. Un besoin. Un désir brut, que je ne comprends pas encore.
Je l’embrasse violemment, comme si mon corps savait enfin quoi faire, sa bouche est ferme, brûlante et la sensation est intense, plus physique, plus viscérale que tout ce que j’ai connu. Mon ventre s’embrase, et je sens une chaleur étrangère envahir mon bas-ventre. Mon pantalon me serre, et je réalise soudain ce qui est en train d’arriver. Ma respiration se bloque. Mais lui ne s’arrête pas. Son corps contre le mien me fait tourner la tête, je ne peux plus réfléchir. Il me plaque doucement contre le mur, sa main posée sur ma hanche, nos souffles s’entremêlent, nos bouches se cherchent. Mon cœur bat bien trop vite. Sa main sur moi fait grimper cette chaleur incontrôlable.
C’est perturbant. C’est obsédant. Et je n’ai aucune envie que ça s’arrête.
Finalement, être un homme ne serait peut-être pas une si mauvaise expérience.vaise expérience.
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