LE PRIX DU CHANGEMENT
Sac de sport sur l'épaule, je n'oublie pas mes bonnes résolutions. Telle une machine de guerre, ma mâchoire d'acier grande ouverte, prête à dévorer le savoir. J'achète : "Père riche, père pauvre", "La semaine de quatre jours", "Comment se faire des amis".
Armée de ma future intellection, le vent en poupe, je me permets une petite flânerie au gré du vent.
Je ne devrais peut-être pas !
Je fais un calcul rapide de mes dépenses. Abonnement à la salle de sport : quatre-vingt-cinq euros, l'orthodontiste : cent-cinq euros, toujours mensuels... Plus les livres : cinquante euros. J'ai fait danser beaucoup d'écus ! "Tu n'as pas besoin d'être belle, pour qui ? Pourquoi ? Regarde ton reflet dans la vitrine... Cela te servirait à quoi ?" Oui, mais.... J'en ai envie.
Je pousse tout de même la porte.
Dès mon entrée, l’odeur sucrée du shampoing mélangée aux effluves de laques et de soins capillaires flotte dans l’air.
Une vague de chaleur m’envahit, contrastant avec le froid extérieur. Mes narines captent l’ammoniaque des colorations, un mélange artificiel qui semble presque oppressant.
Le bourdonnement continu des sèche-cheveux enveloppe l’espace, ponctué par les ciseaux qui claquent avec une régularité mécanique.
Des bribes de conversations flottent dans le brouhaha ambiant. Ça parle de tout : — "Tu as vu la météo pour demain ?" — "Et alors, ce dîner avec ta belle-mère ?" — "Ah non, ma tarte était complètement ratée, une catastrophe !"
Les voix se superposent, étouffées par le rythme effréné du salon.
Soudain, je ressens une légère pression dans ma poitrine.
Pourquoi suis-je ici, déjà ? L’excitation s’efface légèrement sous l’appréhension.
Je m’approche du comptoir.
— Bonjour, Madame, ce serait pour mes cheveux…
Ma voix vacille. Je bredouille, et dès les mots prononcés, je comprends l’absurdité de ma phrase.
Quelle idiote je fais !
Pourquoi ai-je dit ça comme ça ? Un frisson d’agacement traverse ma colonne vertébrale
La coiffeuse, habituée à ce genre de bafouillage, ne relève pas.
— Oui, bien sûr, veuillez me suivre.
Je la suis, tentant de réprimer la gêne qui s’accroche encore à moi.
Je suis propulsée dans un fauteuil, côté bac. Tête renversée, les yeux fermés, j'apprécie le shampoing. Des sensations de bien-être agitent mon corps grâce à la pression ferme des doigts de la coiffeuse.
— Je vous fais un soin ?
Mon cœur manque un battement. Un soin ? Pourquoi faire ? Combien ça va coûter, j'espère que j'ai assez d'argent sur moi ? Mes doigts serrent les accoudoirs. J’ai trop dépensé aujourd’hui.
— Non, merci. Une seconde d’hésitation. La peur de dire oui par réflexe.
Assis à ma gauche, un petit garçon s'amuse à faire tourner son fauteuil. Tandis que sa mère explique à la coiffeuse ce qu'elle souhaite pour son rejeton. À ma droite, une femme de corpulence assez imposante, aux sourcils épais, broussailleux, garde son nez plongé sur une grille de sudoku. Elle ne lève la tête que pour gratter son crâne sale avec son stylo, pour ensuite le sucer, s'il lui arrive d'avoir un doute sur son jeu.
Face au miroir, je regarde les ciseaux danser. Je m'inquiète en me demandant s'il va m'en rester un peu. J'ai hâte de sortir. J'ai une drôle de tête ainsi coiffée. "Je t'avais prévenue !" me rappelle la petite voix.
Après une journée bien remplie, je rentre. C'est alors que j'entends une voix.
Le soleil décline, ses derniers éclats de lumière se reflètent sur les glaces des boutiques.
Les vitrines attirent les regards, certaines clientes s’attardent, hésitent avant de pousser la porte. Une maman s’agite après son enfant, qui manque de bousculer les badauds sur le trottoir avec son vélo, tandis qu’un klaxon impatient résonne.
Soudain, une voix me tire de mes pensées.
— Kalia ! Eh bien alors, tu fais semblant de ne pas m’entendre ?
Je tourne la tête.
— Eh ! Cédric ! Toujours aussi beau mon légionnaire !
Son sourire, large et confiant, attire mon regard malgrés l’agitation de la rue.
Céd, ancien tireur d’élite, trois mariages au compteur, la cinquantaine assurée. Une silhouette élancée, un brin squelettique, mais une prestance indéniable.
Son geste habituel ne tarde pas : il remonte ses lunettes sur le dessus de son crâne avec la nonchalance qui lui est propre.
Nous marchons côte à côte.
— Tu vas bien ? Tu travailles toujours dans ton hôtel ?
— Ben oui ! Et toi, je ne te vois plus au Monoprix ?
— Non, j’ai été muté à celui de la rue Belles Feuilles, à côté de la rue de la Pompe.
— Ah ! D’accord, et tu t’y plais ?
— Oui, l’équipe est sympa… Enfin, pour le moment !
Céd s’arrête à l’angle.
— Je te laisse, je prends cette rue à droite.
— D’accord, à plus alors, on s’appelle !
Nos pas s’éloignent, la ville continue de vibrer autour de moi.
Enfin chez moi. C'est avec une certaine désinvolture que je jette mes affaires sur mon lit, comme le ferait une dame du grand monde, épuisée par sa journée shopping.
Ma chatte me regarde bizarrement l'air de me dire "Tu as vu l'heure à laquelle tu rentres ?" De petit gabarit, elle appartient à la race des écailles de tortue, sa robe est grise, ses yeux couleur orange.
"Eh bien, ma Douchka, tu n'aimes pas ma nouvelle coupe de cheveux ?" Je me penche vers elle pour lui faire un câlin, elle décide de me snober, tourne ses coussinets, sort sur le balcon. Je laisse la demoiselle bouder.
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