JALOUSIE

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Ce matin, je suis enveloppée d’une paix nouvelle.

Le voile de l’angoisse s’est dissous, évaporé dans l’immensité de l’univers. Je me place face à la lumière du soleil, ses rayons caressent ma peau, chauffent mon visage, comme une caresse apaisante qui cherche à réparer ce qui a été déchiré Ils réchauffent mon astre intérieur, ravivent cette flamme endormie en moi.

Assise en tailleur, ma Douch’ lovée entre mes jambes, les yeux clos, je me laisse porter par le silence.

Respiration après respiration, mon corps s’efface, se fond dans l’instant, hors du temps. Paumes ouvertes vers le ciel captent cette lumière, elle m’embrasse entièrement Un cocon doré m’enveloppe d’une bulle impénétrable, protectrice. La pièce s’illumine, baignée dans cette clarté solaire, comme un signe de l’univers, une présence invisible qui veille sur moi.

La méditation m’ancre, m’apaise. Elle n’est pas qu’un refuge, elle est une énergie, un souffle qui traverse mon être. Un guide. Une force qui m’accompagne dans chaque acte du quotidien. Elle est le chemin de la bienveillance, de l’amour, de la compassion, et de l’acceptation.

Au-delà du bien-être du corps physique, elle touche l’infini. Elle est une ressource salvatrice, ma lumière intérieure.

Elle est spiritualité.

Un souffle profond. Une dernière gorgée de lumière avant d’affronter le monde. J’ouvre doucement les yeux. « Encore un instant, un instant équilibre, avant de replonger dans le chaos de cette vie tourmentée. » Doucement, je me lève.

Une douche rapide, un café noir, puis l’inévitable, la bascule dans le quotidien.

L’hôtel m’attend.

Je pousse la porte de service, et déjà, la vibration de l’endroit me gagne.

Je prends les escaliers qui descendent aux vestiaires. Chaque marche marque une séparation entre l’instant de méditation et la réalité du jour. L’atmosphère change. Le calme que j’avais en moi se dissipe à mesure que j’approche.

Dans les vestiaires, le brouhaha m’engloutit immédiatement. « Il y a trop de bruit, j’ai du mal à supporter tout ce vacarme. »

Des éclats de rire fusent, des chuchotements glissent d’un casier à l’autre. L’odeur de lessive mêlée à celle de parfums bon marché flotte dans l’air. Les femmes de chambre se changent, discutent, s’interpellent d’une voix vive.

Je recherche Isabelle dans tout ce désordre de piaillement. Je l’aperçois près de son casier, occupée à ranger ses affaires. D’un geste, je l’attire un peu plus loin, dans un coin plus calme.

Elle arque un sourcil, intriguée.

Je m’approche, hésitante mais déterminée.

— Oh ! Bonjour ma chérie ! Comment vas-tu aujourd’hui ? me demande-t-elle en se dirigeant vers le miroir.

Je réajuste ma tenue, mal à l’aise, mais résolue à parler.

— Ça va, pourquoi ?

— Mais, pour rien... J’ai tout de même le droit de m'inquiéter du bien-être de la personne que j’estime être de mon niveau intellectuel !

Elle passe une main dans son carré plongeant, réajuste une mèche avec précision.

Je fronce les sourcils.

— Tu plaisantes là ?

Elle rit franchement.

— Mais oui, mais bien sûr... Tu le sais très bien, tu es juste un échelon en-dessous.

Tout en me disant cela, elle se retourne vers moi, agrippe mes épaules et me secoue comme un prunier, un geste vif, familier, mais légèrement condescendant.

Je soupire, mais ne recule pas. J’ai besoin de savoir.

— Dis-moi, Isabelle… C’est quoi le bonheur ?

Elle soupire, secouant légèrement la tête, puis se penche vers le miroir et ajuste son rouge à lèvres d’un geste précis, et prend son temps à l’appliquer. Puis, sans même me regarder, elle lâche dans un souffle :

— Ah non... ! Ne recommence avec tes questions existentielles. C’est quoi le bonheur, c’est quoi l’amour… ? Tu fais un blocage du genre affectif ou quoi ?

Ses yeux croisent les miens dans le miroir. Son sourire est léger, à la limite moqueur.

La bulle que nous avons créée dans ce coin reculé semble se fissurer.

— Je ne te demande pas ton diagnostic, je te pose une simple question.

Elle roule des yeux.

— Oh là là ! T’es mal lunée toi aujourd’hui, tu devrais aller consulter…

Je ne la laisse pas finir sa phrase. Sans un mot, je la quitte et pars faire mes chambres. Contrariée, perdue dans mes pensées, en quête de réponses.

Je passe devant trois ou quatre femmes de chambre, solidement installées sur le palier de l’ascenseur, comme si l’entrée leur appartenait. Ici, on ne se contente pas de circuler. Il faut exister. Elles ne bougent pas. Leur posture est ancrée. Elles ne sont pas en transit, elles tiennent leur place, bien campées sur le sol, mains sur les hanches, enracinées dans cet espace qu’elles prennent pour leur territoire. Comme un troupeau de ruminants dans un champ, elles restent là, massives et immobiles, surveillant le passage sans jamais céder un pouce de terrain.

Elles communiquent, chuchotent dans une langue qui m’est étrangère. Un ricanement discret. Pas une hostilité directe.

Je poursuis mon chemin, sans ralentir, sans chercher à comprendre.

— Eh ben alors ! Mam’zelle ch’fait la chourde, hein ? Cha y est, on est trop bien pour répondre ?

Un éclat de rire fuse derrière moi, un rire qui ne semble pas méchant, non, plutôt un ricanement moqueur, envieux, jaloux. Je relève la tête.

— Oh ! Pardon, j’étais partie dans mes pensées. Bonjour les filles !

Elles échangent un regard, un sourire en coin.

— Ah, t’entends quand même ! Onch’ demandait si onch’ devait t’envoyer une invitation écrite.

Un autre gloussement, plus étouffé.

— Tsss... On chait pas dire b’jour, maintenant ?

Une phrase lancée, comme une invitation à la provocation. Je sens leur regard me détailler. Les chuchotements se poursuivent.

Je passe outre et continue.

Arrivée à mon étage de travail, dans le couloir, un effluve de parfum me titille le nez, une odeur sucrée, chaude et de savon m’interpelle. Cette fragrance, familière et presque envoûtante, se glisse dans l’air. Je jette un coup d’œil à ma fiche : cette chambre est bien sur ma liste aujourd’hui. Devant la porte, trois coups discrets. "Housekeeping." J’annonce ma présence, selon le protocole. Un bref silence. Puis j’ouvre doucement la porte, comme un passage vers un autre monde.

J’entre. Dans la salle de bain, autour de la vasque, sont disposés avec soin des produits de beauté : Chanel n°5, des crèmes et des soins pour le visage Guerlain, du maquillage Dior. Sur les côtés de la baignoire, gels douche, lait pour le corps, huile d’argan de Cavaillès sont alignés avec précision.

Dans la chambre, sur le lit, repose un superbe manteau en fourrure. Avec délicatesse, je le prends et le pose sur un cintre. Dans l’armoire, des pantalons et des robes aux multiples formes et couleurs se côtoient. Sur le sol, escarpins, bottines et baskets attendent leurs sorties : un restaurant, un théâtre, ou simplement un shopping ?

Le chic et le bon goût à l’état pur.

Je me tiens là, dans cette atmosphère feutrée, entourée de luxe. Un instant, j’inspire profondément, laissant mon regard glisser sur chaque détail.

– Que c’est beau… Tout est fait pour sublimer, tout respire l’élégance.

– Oui, enfin, cela n’a pas été créé pour des thons comme toi.

Je serre la mâchoire, fixe une robe longue en soie.

– L’habit ne fait pas le moine, je le sais, mais… Il aide. Il transforme. On ne peut pas ne pas se sentir belle en revêtant ces merveilles.

– Ah, tu veux jouer la grande dame maintenant ? Et avec quoi, ton argent imaginaire ?

Mes doigts effleurent le tissu avec précaution, comme un rêve que je n’ose toucher.

– J’ai appris. Je me suis instruite, j’ai évolué. J’ai passé du temps dans des livres, pris soin de moi, … Je suis là, inscrite en salle.

– Inscrite, peut-être. Acceptée, c’est une autre affaire.

Je serre la mâchoire, fixe mon reflet dans le miroir.

– Ça suffit.

Silence.

– Tais-toi maintenant.

Elle ne répond pas.

Alors j’avance d’un pas.

J’inspire profondément. L’image de la cliente flotte dans mon esprit : une femme à la silhouette parfaite, aux gestes gracieux, à l’assurance tranquille d’une beauté qui ne se questionne pas. Un instant, je ferme les yeux et j’essaie d’imaginer… Si j’étais elle. Si j’étais moi, autrement.

J’en ressors presque à regret.

Et c’est tout en poussant mon chariot qu’une employée me bouscule violemment. Le choc me déséquilibre. Les serviettes propres, soigneusement empilées, glissent du chariot et s’étalent sur la moquette. Un instant, je les regarde, éparpillées comme des lambeaux d’élégance souillée.

Je relève les yeux vers elle.

– Eh ! Tu ne peux pas faire attention ? Tu ne m’as pas vu venir ?

Tout en parlant, je me baisse, mes mains s’activent, ramassent les serviettes éparpillées au sol. Je les tapote légèrement pour en enlever la poussière, les empile et les replace sur mon chariot. Accoudée au sien , elle me regarde avec un air détaché.

– Non, excuse-moi, j’ai pas fait gaffe. Me dit-elle avec un haussement d’épaules.

– Alors, prends garde la prochaine fois !

Je la regarde s’éloigner, encore agacée.

Ce n’est pas l’une des femmes de chambre de tout à l’heure ?

Puis je reprends mon chariot et pousse un soupir. Courage, la journée est presque finie. Elle continue son chemin tandis que je finis ma journée. Mes clefs et mon téléphone en main, je monte au bureau. Assise derrière son ordinateur, coiffée d’un carré plongeant aussi rigide qu’elle, la gouvernante générale veut attirer mon attention.

- Madame, La Chance, pourriez-vous m’expliquer pourquoi un tel comportement vis à vis de l’une de vos collègues ?

Je fronce les sourcils, prise au dépourvu.

– Mais… Madame, elle m’a… Bien sûr, c’est toi !

L’image me revient soudainement.

Toi, là-bas, sur le palier de l’ascenseur ce matin. Avec les autres…

- Mais… Madame, je poussais mon chariot, alors qu’elle… Sans que j’aie pu terminer ma phrase, d’un revert de la main, elle me stoppe net.

– Madame N’Kondo est venue me voir, TOTALEMENT tremblante et choquée, pour me dire que vous l’avez agressée verbalement !

Je tourne la tête et la vois, près de la gouvernante, presque recroquevillée. Elle serre un mouchoir entre ses doigts fins, le tortille nerveusement. Son regard fuit le mien.

– Écoutez, je ne peux tolérer un tel accès de colère de la part de mes employés au sein de mon établissement.

Un frisson me parcourt la nuque. Cette réprimande tombe comme un couperet. Je reste figée. Moi ? Ici, devant cette gouvernante inflexible, accusée tort sans pouvoir me défendre ?

– Oui, Madame.

Les mots sortent presque mécaniquement, alors qu’un tourbillon d’incompréhension grandit en moi. C’est avec les larmes aux yeux que je quitte le bureau. Tout en me jurant que...

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