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Vivre, Terre 2
Faire naître un monde, le voir grandir, puis le peupler, développer son bestiaire, ça demande du temps. C’est évident. Du savoir-faire également, il allait de soi, ce n’est pas donné à tout le monde. Fort heureusement, les parents de Pyramide, c’étaient des gens sages ; des mondes, ils savaient où les trouver. De mondes, l’espace en regorgeait. Ils n’en étaient pas à leur galop d’essai. C’était une bonne nouvelle. En effet, personne, dans l’équipage, ne dit posséder de telles compétences, créateur de mondes. Ce qui ne les surprit pas, même s’ils eurent espéré le contraire.
Ils en étaient tous là de leurs interrogations : comment allons-nous faire ?
Car, malgré l’aide que leur promettait les parents pyramides, la démarche à suivre était peu claire, et ils étaient même forts dubitatifs.
Leur mission, désormais, c’était d’élever un monde. Mais un monde, est-ce que ça s’éduque comme un bio ? Comme un méca ? Existait-il seulement un mode d’emploi ?
En fin de compte, la pyramide leur donna un conseil. C’était le suivant, fort simple, et comme toute chose simple, difficile à appliquer, voire même à en accepter l’idée : ne vous en faites pas.
— Blawrf !
On opina du chef. Jack avait parfaitement raison. Ne vous en faites pas : facile à dire pour une pyramide.
Mais, effectivement, il n’y avait pas à s’en faire. Tout se passerait des plus naturellement.
Les parents de la pyramide, ils avaient dit que, sur la planète Blawrf !, ils y vivraient et ils y demeureraient si longtemps qu’on ne les oublierait jamais. On raconterait leurs histoires pour des siècles et des siècles, et ils nous survivraient même, par-delà le temps et les apparences, car ils étaient des êtres extraordinaires. C’était d’ailleurs ce que leur répétaient les enfants, et Jack ne le savait que trop bien, ça l’épuisait.
Les parents pyramides, ils installèrent une autre planète, juste en dessous de Blawrf ! Comme ça, depuis Blawrf ! tous pourraient surveiller ce qu’il se passerait en bas, sur cette nouvelle Terre. Terre, c’était son nom, personne ne souhaitait chercher midi à quatorze heures. Jaspert plaida bien pour Terre 2, il s’agissait de marquer la spécificité de la planète vis-à-vis de Terre 1, mais on lui rétorqua bien à propos que les habitants de Terre 2 ne comprendraient pas. Pourquoi Terre 2 ? Il s’est passé quoi avec Terre 1 ? Non, personne ne voulait savoir. On appela la planète Terre.
C’était facile de créer la vie quand on était bien accompagnés. Les parents pyramides se chargèrent de tout. Ou presque : ils amorcèrent le processus de vie sur Terre, ce qui était un bon début, ça leur enlevait une épine du pied, parce que cette étape, c’était celle qui leur posait le plus de questions. Mais les pyramides, avant de partir, elles punirent absolument tout le monde. Ils étaient sévères, on ne pouvait rien contre leur courroux. C’étaient tout de même des créateurs de monde. Leur petite Pyramide, ils la transformèrent en humaine. Enfin, c’était approchant. D’humaine, du moins, en avait-elle l’apparence. Et l’habit ne fait pas le moine, elle en avait encore sous la pédale, de sacrées compétences en réserves. Aussi, tout le groupe devint immortel, recevant une part des pouvoirs de la pyramide. Jack, il accusa le coup, parce que de fait il était forcé de vivre sur la planète Blawrf ! pour un bon bout de temps encore et de regarder, impuissant, éclore la vie sur une planète sur laquelle il eût volontiers passé le restant de ses jours. À défaut d’une Mars ou approchant. Immortel, ça lui paraissait long, il sentait l’embrouille.
Les parents de pyramide, ils avaient dit ceci, à peu près, car, en effet, les témoignages de cette époque restent évasifs et peu précis sur ce moment en particulier :
Depuis la planète Blawrf ! vous veillerez sur les nouveaux humains. Ils naîtront jeunes, inexpérimentés, sans la parole, sans l’habit, sans aides pour survivre, hormis leur volonté, et votre bienveillance. Vous leur êtes redevables. De l’aube des temps, jusqu’à ce qu’ils se libèrent de votre faute primordiale, qu’ils vous surpassent en tout, alors, seulement, vous serez libérés de votre corvée. Pyramide, alors, pourra retrouver les siens.
Puis ils partirent, et c’en fut fini, et l’équipée se retrouva bien seule sur la planète Blawrf ! qui leur paraissait bien exigüe, et ces petits chérubins de néo-réincarnés qui ne comprenaient rien à ce qu’il se passait, ils étaient tout étonnés avec leurs ailes nouvelles qui venaient de pousser. Et ils riaient, car ça leur rendait la vie plus palpitante encore. Rien n’entamait leur bonne humeur, surtout en présence de cet incroyable parterre de dieux vivants. C’était somme toute réconfortant. Ils s’amusaient déjà comme de petits diables, avec leur arc et leurs flèches. Georges, il était cependant bien triste. Les pyramides lui avaient pris la sauvegarde du SA, pour la déverser sur la Terre, comme une semence que l’on sème aux vents. Un déluge de vie, primitive, nue, dépourvue en tout s’écoula sur Terre. Les esprits du SA, ce fut la graine, la source vitale qui initierait le début de l’espèce humaine. Encore. Mathias, il se confondit en excuses, répéta n’avoir jamais imaginé de telles conséquences, qu’il n’avait pas pensé une seule seconde être dans l’incapacité de leur rendre une enveloppe corporelle, et qu’il faudrait semer toutes ces petites vies numériques, et les arroser d’amour, et attendre de les voir grandir. Sur Terre, mais une autre. Vraiment, il sombra dans la dépression, là, tout de suite, découvrant ces humains primitifs éclore un peu partout sur Terre.
Les pauvres néo-terriens, ils avaient l’air déboussolés. Pour commencer, ils ne faisaient que se taper sur la gueule, à coup de massue, de pieds, de mains, sales, les mains, et ils mangeaient de la viande crue, et beaucoup d’herbes, de fruits, de baies, et ils souffraient de diarrhées dantesques, quand ils ne mouraient pas empoisonnés, la merde au cul. Et quand ils ne décédaient pas d’intoxication, ils se prenaient des coups dans la tronche, et ils décédaient quand même. Toujours avec la merde au cul. Même Georges, il n’avait pas été aussi efficace dans le SA, il y avait de cela des siècles, pour anéantir des bios. C’était ignoble, insupportable. Quelle déchéance !
Jack, cette situation, ça le sidéra. Ça l’intersidéra, même. Il en vida tout le sac qu’il avait gros sur la patate, il vidangea son surplus émotionnel, il hurla, il était tout colère, il éructa, il catharsisa :
— Blawrf !
Un Blawrf gigantesque, ultime, astronomique, universel, divin. Il bigbanga.
Et sa colère, sa tristesse, son désarroi, ils étaient sans borne, ça le mettait en feu, ça faisait trembler la Terre. En colère, on ressentait tout le pouvoir de Jack, il était mi-bio, mi-pyramidal. 50 % divin, 50 % Jack.
Et sur Terre, ce fut une avalanche d’éclairs, d’orages, un tonnerre de Brest, un tonnerre de Dieu, de foudres, les foudres de Jack. Terrible Jack.
Les livres disent que ce fût là l’un des premiers miracles de la vie sur Terre, quand les êtres humains, faibles et misérables comme un ver, découvrirent puis domestiquèrent le feu, le feu sacré, le divin feu, tombé du ciel, offrande des dieux, offrande de jack.
Bientôt, le monde, à jamais, serait bouleversé. Et le monde, il était entre de bonnes mains.
— Blawrf !
Ainsi parlent les livres.
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