Ange déchu

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-Quoi ?

Elle se releva si brusquement qu'elle ne sut si c'était la terre qui avait bougé ou elle qui ne savait plus se tenir debout. Elle se rattrapa au lampadaire et le regarda comme si il était le Diable incarné. Putain. Putain de merde.

-Pour... pourquoi...

-Je voulais te faire payer ce que tu avais fait l'année dernière, répondit-il, le regard désolé. Je voulais te montrer ce que c'était de sombrer sans avoir le temps de se rattraper, de ne plus pouvoir se détacher de cette merde blanche. Je te haïssais, et avant de voir que j'avais fait une connerie, tu avais déjà plongé...

-Non... dis-moi que tu mens, dis-moi que...

Mais non. Tout en lui lui hurla que c'était vrai. Qu'elle consumait réellement de la drogue, qu'elle était une droguée, une vraie. Voilà pourquoi la fumée ne sentait pas pareil que le tabac que l'on pouvait sentir dans un bar. Voilà pourquoi Jessica lui avait dit qu'elle les achetait à la frontière. Voilà pourquoi elle ne pouvait plus passer une journée sans en consumer. Tout s'expliquait.

-Tu es un vrai connard en fait.

-Ce n'était pas ce que tu voulais ? Tu ne voulais pas changer ?

-Mais putain, pas avec de la drogue !

-Et tu crois que c'est quoi, le tabac !

-C'est... c'est différent, et tu le sais ! C'est illégal, merde !

Un rire nerveux le secoua.

-Ça y est, tu reprends tes allures de gentille fille sage qui respecte la loi ?

Cette remarque la piqua. Elle n'allait pas le contenter en redevenant celle qu'elle détestait, non. Elle n'allait pas faire chemin arrière, recommencer, rembobiner alors qu'elle avait goûté la saveur de l'oubli. Quitte à s'enfoncer, autant creuser plus profond.

-Ok, fit-elle en hochant la tête. Tu voulais me voir sombrer ? Tu voulais me détruire, comme tu t'es détruit toi ?

Il la regarda sans comprendre. Il redoutait déjà ce qu'elle allait dire, ce qu'elle allait faire, mais surtout, ce que lui avait fait. Sasha avait condamné une âme innocente au diable. C'était lui même qui avait signé pour elle, lui qui avait décidé pour elle. C'était à cause de lui qu'elle était comme ça.

-Alors installe-toi bien et regarde le spectacle commencer. Tu ne regretteras pas d'avoir payé la première place.

Avant qu'il n'ait plus répliquer quoi que ce soit, elle avait déjà disparut dans la nuit noire. Elle était partie, presque envolée. Et il n'avait rien pu faire pour la retenir.

***

Elle ouvrit les portes de son armoire dans un geste presque rageur. Elle allait lui montrer le chaos présent en elle. Elle allait devenir une autre, une tout autre Alice, une Alice que personne n'aura jamais vu. Et le monde entier sera suspendu à ses lèvres, à son corps, à ses gestes. Ce soir, elle allait montrer à tous qu'un ange déchu était bien pire qu'un démon.

A l'évidence, ses vêtements n'étaient pas pour ce genre de folie. Dans un soupir, elle referma le meuble avec brusquerie et regarda sa montre. Elle avait une heure pour se rendre en ville, acheter le nécessaire et une heure de plus pour se préparer. Jessica lui avait envoyé les coordonnés et l'heure par message. Allez savoir comment elle avait obtenu son numéro.

Son père travaillait encore, ce qui l'arrangea. Les week-end, il était presque toujours absent ; à croire que le patron était le seul à ne pas avoir de repos. Elle sortit de la maison et se dirigea vers l'immense garage qui abritait toutes les voitures de son père. Le chauffeur qui la menait au lycée la semaine était assis sur le devant, les bras croisé, la mine toujours aussi sombre. Il ne lui demanda pas pourquoi elle l'avait appelé pour la conduire ici, ni la raison de ses bleus sur son visage. Il se contenta seulement de rentrer dans l'habitacle de la Mercedes et allumer le moteur, tandis qu'elle montait à l'arrière.

Le trajet se déroula comme à l'habitude, dans un silence pesant et désagréable. Alice remercia le bon dieu pour arriver si vite dans le quartier commercial et sortit sans un mot de plus. Voilà que commençait la grande aventure.

Premièrement, elle essaya les grands magasin tels que Zara ou Pull&Bear, mais tout était trop sage, trop simple. Il lui fallait quelque chose qui de plus voyant. Quelque chose qui ferait regretter Sasha de l'avoir conduit là-dedans.

Ainsi, elle se dirigea vers les plus petits, mais les plus spécialisés dans le style recherché. Elle y trouva de tout ; des collants troués, des tee-shirts qui ressemblaient plus à une brassière qu'autre chose. Découragée, elle fit appel à une vendeuse au sourire bien trop large.

-Je... je cherche une tenue de soirée, dit-elle, hésitante.

-Une soirée... ?

-Oui, enfin, une soirée de jeunes quoi.

-Bien sûr, fit-elle, amusée. Je m'imaginais mal autre chose.

Elle lui rendit un sourire forcé, et la laissa la détailler de haut en bas afin d'évaluer le meilleur à porter.

-Je pense que quelque chose de serré ne vous conviendrez pas. Vous être bien trop...

-Maigre, je sais.

Elle hocha la tête, la bouche crispée. Elle devait penser avoir à faire à une anorexique, vu son reflet. Finalement, après quelque minutes de « allons par-là » et de « voyons voir ça », elle sortit un haut très court aux manches longues, qui recouvrait seulement la poitrine et les bras mais laissait entrevoir un décolleté assez plongeant. Elle lui présenta également un slim noir en cuir orné de chaînes argentées. Cela la fit sourire en repensant aux chaînes du pantalon de Sasha.

-C'est parfait, dit-elle après essayage. Je prends.

La vendeuse également parut satisfaite et Alice ressortit du magasin le sourire aux lèvres. Elle fit un détour chez Sephora et prit tout ce qui s'apparentait au noir ainsi qu'un font-teint des plus efficaces. Le trajet du retour fut aussi silencieux qu'à l'aller et Alice retourna dans sa chambre de bonne humeur. Il lui restait moins d'une heure pour se préparer.

Après avoir revêtit la tenue acheté plus tôt dans l'après-midi, elle fut fière en remarquant que sa maigreur ne se voyait pas. Le slim soulignait sa taille et mettait en valeurs le dessin de ses muscles. Le haut laissait apparaître son ventre, mais recouvrait tout de même les côtes trop voyantes. C'était parfait. Dans son élan de bonne humeur, elle s'installa devant son miroir et noircit le contour de ses yeux autant qu'elle put. Le rouge à lèvre noir lui conférait un air noble qu'elle apprécia aussitôt. Enfin, elle noya son visage dans du font-teint pour faire disparaître les traces de coups de son père. Sa peau paraissait aussi lisse que celle d'un bébé.

Enfin, elle lissa ses cheveux et les rangea derrière ses oreilles, laissant apercevoir la petite chaîne qui s'accrochait à son lobe pour se planter dans le trou de la peau. En se regardant tout entière, elle sentit un élan de joie la parcourir de haut en bas. Ses talons la rehaussaient légèrement, son sac à main la rendait plus adulte. Personne ne se douterait qu'il s'agissait d'Alice Laena. Personne ne croirait qu'une fille pouvait changer aussi rapidement.

Et alors elle leur montrerait à tous, à ceux qui l'avaient sous-estimé, à ceux qui s'étaient moqué qu'elle était tout ce qu'ils ne seraient jamais. Elle leur feraient regretter de l'avoir cru petite fille sage et gentille.

Satisfaite, elle appela un taxi et sortit de sa villa en silence, tandis que la nuit se posait lentement sur la ville comme un linceul recouvrerait un mort.

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