Résiste

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La porte s'ouvrit dans un grincement perceptible. Un faisceau de lumière s'introduisit dans la pièce, plus éblouissant que les simples traits lumineux entre les volets fermés. Des vêtements sales jonchaient le sol depuis des jours. Les volets avaient été demeurés fermés depuis qu'elle était entrée dans cette chambre. À croire qu'il avait peur qu'elle s'enfuit par la fenêtre...

Les pas s'avancèrent du lit.

-Reste là-bas, Drex, tonna la voix grave de son père.

Assise sur le sol, le dos appuyé contre le lit, Alice sourit à l'appel du nom de son chien. Il était plusieurs fois venu lui tenir compagnie, dans cette chambre si obscure. Elle regrettait le temps passé à ignorer cet animal. C'était une brave bête, au final, même si sa carrure forte et élancée continuait de l'intimider.

-Viens, ordonna son père, une fois arrivé à sa hauteur.

-Ça fait une semaine que je t'ai dit que je suis clean.

-On va voir ça.

Impitoyable il était. Elle se leva, non sans difficultés et le suivit, les yeux s'habituant peu à peu à la lumière du jour. Elle n'était sortie que depuis quatre jours, mais le temps passait lentement dans cette chambre obscure. Arrivée dans le salon, il lui désigna le canapé d'un signe de la tête. Obéissante, Alice s'y avachit dans un grognement. Le regard noir de son père ne lui échappa pas, mais elle répliqua rien. Les bonnes manières ne faisaient pour l'instant pas parti des choses importantes.

Un claquement brisa le silence ambiant. Il avait jeté un paquet de poudre blanche sur la table. Alors c'était ça, le test ? La confronter à ce qui l'avait détruite ?

-Je suis censée faire quoi ?

-Me montrer que tu es capable de ne plus y toucher.

-Et si j'y touche ?

-On recommence.

Un rire la secoua. Nouveau regard noir qu'elle ignora royalement.

-Les gens vont finir par croire qu'on m'a kidnappée.

-Je gère ce genre de choses. Toi, contente-toi de résister.

-Mais c'est bon, je suis clean ! s'agaça-t-elle.

-Tu m'as dit la même chose il y a un mois avant de te jeter sur la bouteille de whisky posée malencontreusement sur la table.

-C'était de l'alcool, pas de la drogue !

-C'est la même chose.

-Papa !

Aussitôt prononcé ce mot, les deux s'immobilisèrent, chacun surpris de la sonorité qu'avait cette parole pourtant si normalisée hors de cette maison.

-Je... je voulais dire Père...

-Non. C'est bon.

Son souffle se coupa. Sans un mot de plus, il se précipita dehors et ferma les portes bruyamment. Un faible sourire se dessina à travers les larmes naissantes. Alors elle pouvait être une enfant normale à présent et appeler son père comme il se devait d'être appeler au vingt-et-unième siècle ? Pourquoi tout recommençait-il à être bien ? Qu'avait-elle fait pour mériter cela ?

Durant l'heure qui s'écoula bien trop lentement à son goût, la poudre blanche semblait agir comme un gyrophare pour son œil. Mais seulement pour son œil. Voilà trois mois qu'elle luttait contre ses pulsions addictives. Au début, son père avait continué à lui en donner. Elle n'avait pas compris pourquoi mais n'avait pas osé demander. Son bonheur s'était prolongé une semaine durant, une semaine à oublier, se perdre dans des délires flottants et à rire comme une folle à lier. Puis elle s'était rendue compte que les doses se réduisaient et le rêve s'était transformé en cauchemars. Elle avait commencé à frapper des poings la porte qui la maintenait enfermée dans sa nouvelle chambre. Ses cris n'avaient eu aucune réponse. Quand elle commençait à pleurer jusqu'à ne plus pouvoir respirer, le chien entrait, se collait contre elle et la calmait. Arriva un moment où il n'y eut plus de doses du tout et son corps avait commencé à lui envoyer des signaux de douleurs terribles. Elle était restée au lit sept jours, à vomir tout ce qu'elle avalait et se tordre en deux sous la douleur permanente de son estomac. Son père avait hésité à l'emmener aux urgences mais elle s'était remise au moment où la situation aurait pu dégénérer. Après cela, tout s'était résumé à une lutte acharnée entre sa raison et ses pulsions addictives. Elle n'avait cédé qu'une fois et avait compris que c'était la dernière chose à faire. À présent... la vue de la cocaïne ne lui faisait plus aucun effet. Elle n'avait aucune envie de rechuter. Elle avait goûté à la souffrance de l'autre monde et en avait eu assez. Alice n'était pas faite pour ça. Elle ne faisait pas partie de « la nuit » et l'avait compris.

Son père finit par revenir une heure plus tard, le regard illuminé d'une lueur d'espoir si bien camouflée. Il reprit le sachet aussi vite qu'il l'avait jeté et s'immobilisa devant une des hautes fenêtres qui donnait sur le jardin entretenu.

-Tu vas partir.

-Quoi ?

Alice s'était attendue à tout excepté à ça. Partir où ? Un centre de désintoxication ? N'avait-elle pas prouvé qu'elle pouvait résister ?

-J'ai déjà préparé tes valises.

-Tu m'envoies où ? demanda-t-elle, la voix tremblante.

-Chez ta mère.

D'un côté, elle fut soulagée. Elle s'était imaginée tout un tas de stratégies pour s'enfuir d'ici avant qu'il ne l'envoie dans ces centes de torture qu'il lui avait épargné. De l'autre, une colère vive enflamma son esprit.

-Jamais, cracha-t-elle, pleine de haine.

-Je ne t'ai pas demandé ton avis, la rembourra-t-il d'une voix sèche.

-Elle m'a abandonnée ! Elle a choisi son cher nouveau mari à moi pendant que...

-... je te frappais ? termina-t-il, se tournant vers elle d'un geste vif.

Alice ne sut que répondre. La vérité ne pouvait être niée. Depuis ce fameux jour où elle était entrée dans le salon, trempée, des bleus pointant sous sa peau, il semblait se rendre compte de l’atrocité de ses actes. Il ne le disait pas, mais ce n'était pas bien difficile à deviner. Chaque fois qu'il s'énervait légèrement, il rassemblait toute la volonté du monde pour viser autre chose qu'elle. Dans quelques années, à ce rythme, sa main ressemblerait à un amas de chair déchirée.

-J'ai été un mauvais père, Alice. Je ne veux plus que tu en subisses les conséquences. J'ai réparé mes erreurs, maintenant je fais en sorte d'éviter de les refaire.

Ces mots lui coûtait. Il n'était pas le genre d'homme à parler de ce genre de choses. Lui, il préférait tout amasser et évacuer par la violence.

-Mais elle, elle est pire. Je refuse de la revoir. C'est une lâche et une traître.

-On était tous les deux jeunes et désorientés, soupira-t-il. Un de nous devait partir et refaire sa vie. Elle a choisi de le faire en considérant qu'elle n'était pas faite pour être mère. Au final, aucun de nous n'était fait pour ça.

-Ça ne change rien à mon opinion.

-Laisse-lui une nouvelle chance.

-Je ne pardonne pas la lâcheté. Si elle veut vraiment me récupérer, alors qu'elle vienne me chercher.

Son regard était empli de gratitude. À travers ses mots, elle lui faisait comprendre qu'elle lui laissait une seconde chance, à lui aussi. Même si elle savait qu'il resterait toujours cet homme froid et violent, tant qu'il arrivait à gérer la destination de ses coups, ça lui allait.

-Qu'il en soit ainsi.

Puis il partit sans un regard de plus, sans un mot gratifiant. C'était sa manière à lui de dire « merci ».

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