La Porte Rouge

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Elle est là. Sous le plancher. La Porte Rouge. Elle l'appelle, lui murmure des secrets au creux de l'oreille, en un concert de voix enjoleuses aux timbres sensuels. Ces chuchotis éveillent en lui des désirs lubriques. Son corps répond à ses avances, réagit à la caresse des mots sur sa peau, promesses de jouissances insoupçonnées.

Dans son lit, Pierre pousse des gémissements de plaisir. Des images de luxure envahissent ses rêves. Derrière la porte, il voit une femme à la beauté saisissante. Elle est nue, ses longs cheveux bruns tombent en cascade dans son dos. Sa poitrine aux seins menus, les mamelons gonflés par l'excitation, sont une invitation à la débauche. Pierre souhaite toucher ce corps aux formes exquises, représentation parfaite de son idéal féminin. Il est devant la porte, nu, lui aussi. La femme parcourt langoureusement des yeux l'anatomie de Pierre. Une lueur gourmande brille dans son regard, à la vision de son membre dressé. Elle sourit, et d'un geste lascif, l'invite à la rejoindre. Le jeune homme ne se fait pas prier et avance lentement vers la beauté, son désir grandissant à chacun de ses pas.

Il brûle de s'unir avec cette femme, de se faire dominer par elle. Une vision de lui, à quatre pattes, fouetté par cette déesse, stimule son imagination enfiévrée. Il se débat dans ses draps imprégnés de sueur. Sa respiration s'accélère, à mesure que le songe devient plus obsédant.

Sa main s'apprête à toucher la peau de la fille, quand brusquement, la porte se referme en claquant. Pierre pousse un cri de désespoir, qui résonne longuement dans la cave. Derrière le battant, s'élève un rire cruel. Cette catin s'est joué de lui, réalise-t-il avec colère. Il frappe sur le bois de toutes ses forces, mais la porte refuse de s'ouvrir.

La peur s'invite, alors qu'une présence se manifeste dans son dos. Une respiration d'asthmatique emplit l'air étouffant du sous-sol. Pierre se fige. Le son se rapproche, des pieds raclent le sol et les sens de Pierre s'affolent. Il ferme les yeux et répète : ce n'est qu'un cauchemar, ce n'est qu'un cauchemar... Encore et encore, en une lithanie sans fin. Quand le halètement s'arrête et que personne ne semble plus avancer vers lui, il pousse un long soupir de soulagement. Avant de hurler de terreur ! Une main vient de se poser sur son épaule !

Il hurle toujours, bien qu'hors de danger dans son grand lit vide. Il est réveillé, mais l'effroi des dernières minutes reste gravé dans sa mémoire. Plaisir et angoisse se disputent une place de choix dans son esprit malmené. Comment son rêve avait-il pu déraper de la sorte ? Il constate avec dégoût que la frayeur ne l'a pas empêché de libérer sa semence. Il repousse ses draps souillés et s'assied sur le rebord du lit. Il repense à ce songe des plus perturbants.

Cela fait maintenant une semaine, qu'il réside au manoir. Seul. Au début, il s'était réjoui d'avoir décroché ce boulot. En apparence simple - garder la demeure en l'absence du propriétaire -, le poste avait tout d'un job de planqué. Mais plus les jours passaient, et plus Pierre se demandait s'il avait bien fait d'accepter.

Il avait accès à toutes les pièces du domaine, sauf une : celle avec la porte rouge. Cette porte, qui hantait ses pensées jours et nuits, le rendait dingue ! Il voulait absolument savoir ce qu'il y avait derrière.

Chaque jour, il se rendait à la cave, et restait planté devant le battant. Son rouge sombre lui évoquait du sang. Il passait des heures à l'observer, le regard perdu dans le vague. Les paroles du propriétaire se rappelaient alors à lui : n'ouvrez cette porte sous aucun prétexte ! Si j'apprends que vous avez passé outre cette simple consigne, vous serez viré sur le champ !

Si ce vieux fou n'avait pas attiré son attention sur cette fichue porte, il ne l'aurait jamais remarquée ! Que pouvait bien cacher cet imbécile, pour avoir instauré pareille règle ?

Pierre soupire. Il est trois heures du matin et une irrépressible envie de descendre à la cave l'étreint de nouveau. Le cauchemar aurait dû lui servir de leçon, mais c'est plus fort que lui. Il doit retourner la voir.

Avec lenteur, il s'habille, avant de se diriger vers le couloir. Il traverse l'immense vestibule et se rend dans une pièce à l'arrière de la maison. Une floppée de marches s'enfonce dans les ténèbres du sous-sol. Alors qu'il descend l'escalier, il se demande s'il va réussir à résister à l'appel de la Porte Rouge. Il se rend compte avec stupeur qu'il tient un pied de biche à la main. A quel moment s'est-il saisi de cet outil ? Il a l'impression de devenir fou. A chaque passage à la cave, il est prêt à forcer la serrure. Ses défenses s'émiettent un peu plus, tandis qu'il foule la terre meuble. Elle est là. Il la sent, avant de la voir. Il entend ses murmures cajoleurs. Ils lui demandent d'ouvrir, d'assouvir sa curiosité.

Tu ne le regretteras pas... lui sussurent-ils.

N'ouvrez pas cette porte ! lui hurle le propriétaire en retour.

Et s'il retenait quelqu'un prisonnier dans cette pièce ? La fille de son rêve peut-être ?

Pierre ne tient plus. Il doit savoir. Il va savoir !

Le proprio n'aura qu'à me virer si ça lui chante ! pense-t-il soudain. J'ouvre cette porte.

Il s'avance et lève le pied de biche. De toutes ses forces, il fracasse la serrure, qui ne résiste pas longtemps à la fureur de ses coups. La porte s'ouvre en grinçant. Une épaisse obscurité l'accueille, ainsi qu'une odeur nauséabonde. Une odeur de charogne...

Pierre vomit tripes et boyaux, incapable de résister à cette infection.

Qu'est-ce qui peut produire une telle puanteur ? se demande-t-il.

Malgré la terreur qui le consume, Pierre braque sa lampe-torche en direction de la pièce. Il écarquille les yeux de terreur. Une montagne de cadavres emplit la salle, jusqu'à presque toucher le plafond. Les corps sont dans un état de décomposition avancée.

Mon dieu, mais qu'est-ce qu'il s'est passé ici ?

Un rire cruel retentit dans son dos. Pierre se retourne aussitôt pour découvrir le propriétaire, debout, un rictus au coin des lèvres.

"Mais... depuis quand êtes-vous rentré ? balbutie Pierre.

— Je ne suis jamais parti. Je voulais savoir combien de temps il vous faudrait pour braver l'interdit.

— Je ne comprends pas...

— Vous avez tenu une semaine. Une semaine ! Bravo ! C'est mieux que vos prédécesseurs... Mais insuffisant ! Votre contrat était d'un mois. Il vous suffisait de tenir un mois !

— Mais...

— Pas de mais ! Vous êtes viré ! Mais comme je suis bon seigneur, je vais vous permettre d'assouvir votre curiosité. Vous allez passer le reste de votre existence dans cette pièce que vous avez ardemment voulu découvrir !"

Le propriétaire claque alors des doigts et les pieds de Pierre quittent le sol. Il est en lévitation ! Une main invisible enserre son cou. Son visage prend une vilaine teinte violacée.

Le vieil homme s'approche et l'observe, impassible :

" Profitez bien de votre séjour ! Je sais que la place se fait rare, mais vos collègues vous réserveront bon accueil. Vous serez à votre aise, j'en suis sûr..."

Un nouveau claquement de doigts et Pierre est propulsé dans la salle aux mille cadavres. Il s'écrase dans un choc mou et s'enfonce dans la gélatine, jadis des hommes comme lui, pauvres gardiens d'infortune.

La porte se referme en claquant. Le voilà prisonnier de la salle qu'il tenait tant à ouvrir. Il pourrira comme les autres, parmi les effluves de décomposition, parmi ses semblables, qui comme lui, ont appris à leur dépend que la curiosité est un vilain défaut.

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