Je viens ce soir

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L'horizon se parait de rouge tandis que le clocher de l'église sonnait. L'heure était venue. Par sept fois, on entendit retentir la fin de la liberté. Le confinement tombait comme la nuit, inéluctable, sombre et froid. Et lui, lui qui ne venait pas. Elle sentit l'angoisse serrer son cœur comme elle tentait à nouveau de l'appeler sur tous les numéros qu'elle lui connaissait. Personne ne savait où il était, ni quand il était parti, il n'avait prévenu personne. Personne sauf elle. « Je viens ce soir », avait-il écrit.

Sortir durant le confinement revenait à se condamner à mort. La pandémie qui frappait l'Humanité était sans précédent. Depuis le Dégel en 2034, des maladies inconnues s'étaient abattues sur le monde, décimant sa population. La plupart étaient aujourd'hui maîtrisées, mais pas la Sycomore. Cette maladie relevait les morts. Ironiquement, on avait nommé cette maladie ainsi car l'arbre qui portait le même nom repoussait même après avoir été coupé à la souche.

Le système nerveux et sanguin était relancé, mais les personnes infectées se trouvaient reléguées au rang d'animaux nocturnes vivant en meutes. Le jour, elles se terraient dans l'obscurité des égouts, des grottes ou des caves. Les armes à feu s'étaient révélées inefficaces pour les arrêter, à moins de réduire leurs corps en charpie, ils se relevaient toujours. Leurs blessures semblaient cicatriser en l'espace de quelques secondes, les cœurs transpercés ne saignaient plus, les têtes mal coupées se recollaient. Seul le feu en venait à bout.

Bien avant la Sycomore, déjà, les grandes villes avaient disparu. Les guerres nucléaires avaient démontré que l’agglutinement rendaient les peuples vulnérables, et des nations prospères comme les Etats-Unis ou la Chine s'étaient retrouvées quasiment anéanties le temps d'un battement de cœur. Chaque cité ne pouvait dès lors comporter qu'un millier de foyers au maximum et devait être espacée de dix kilomètres par rapport aux autres. Une situation impensable avant la Troisième Guerre Mondiale, où le monde était surpeuplé.

« Peut-être a-t-il été appelé ? »

Elle se tourna vers sa mère qui se tenait sur le seuil seuil de la porte de sa chambre. Le courant avait été coupé comme d'habitude, seule la faible lumière d'une bougie éclairait son visage qui semblait rayonner de sa propre lumière. Sa mère, sa meilleure amie, sa confidente de toujours. Elle pourrait toujours compter sur sa présence. Mais ce soir, cela ne suffirait pas.

« Il m'aurait écrit. Il m'écrit toujours lorsqu'il est appelé, répondit-elle, mais... s'il lui était arrivé quelque chose ? »

Sa mère vint s'asseoir à ses côtés sur son lit. Malgré les 24 ans de sa fille, elle ne pouvait s'empêcher de la voir encore comme une enfant, sa petite fille qui courait après les papillons et vouait un amour sans précédent aux chevaux, les « dadas » comme elle aimait les appeler durant ses jeunes années. Et aujourd'hui, rien n'importait plus que ce quasi inconnu qui lui avait promis son cœur quelques mois auparavant. A bien y réfléchir, elle ne l'avait jamais vu elle-même. Sa fille se montrait très discrète à son sujet, mais elle semblait lui dévouer tout son être. Comme toutes les jeunes filles amoureuses, pensa-t-elle en un soupir intérieur.

« Je t'entends », lui rappela-t-elle.

L'inconvénient d'être née dans une famille de médiums reposait dans le simple fait que nul ne pouvait cacher ses pensées. Chaque personne lui apparaissait sans masque, dévoilant son aura nue malgré lui. Ainsi, l'honnêteté était naturelle au sein de la famille.

Pour s'assurer un minimum d'intimité, leur maison était isolée à l'érable, le meilleur qu'on puisse trouver sur le marché. Après la guerre nucléaire de 2055, le bois était devenu une denrée rare, tant et si bien qu'il avait fallu aller puiser dans les réserves de l'Arche, en Antarctique, pour replanter. Les recherches de l'AFM, l'Académie Française des Médiums, avaient franchi un cap lorsqu'elles avaient découvert les propriétés isolantes du bois pour les auras.

Astrid, la mère de Mei, y était pour beaucoup. C'est elle qui avait lancé les recherches et expérimenté pour atténuer les crises de sa fille, alors hyperempathique. Enfant, elle pouvait ressentir les auras de chaque être vivant, humain ou animal, à cent mètres à la ronde, tandis qu'un médium moyen avait une capacité d'une dizaine de mètres tout au plus.

Les enfants hyperempathiques étaient généralement isolés dans des maisons individuelles à la campagne, loin de leur famille dont l'inquiétude ne faisait qu'amplifier le phénomène, jusqu'à ce qu'une longue et fastidieuse procédure les autorise à être drogués au Safsa. Ce mélange de safran et de santal en poudre coupait toute réception chez les médiums, ainsi que toute émotion propre. Astrid n'avait pu se résoudre à réduire sa fille à l'état d'être apathique et morne. Et aujourd'hui, elle se sentait impuissante, en tant que chercheuse et en tant que mère, pour apaiser son angoisse.

« Je ne veux pas revivre ça, continua Mei, je ne le supporterais pas. »

Son aura fonça un peu plus, signe qu'elle s'inquiétait plus encore. Le décès de son père l'an passé avait été une tragédie pour toute la cité. Frappé par la Sycomore, il avait caché la maladie de peur d'être rejeté. Ce n'est qu'après avoir été heurté par un camion qu'il fut découvert, trop tard, qu'il était infecté. Mei avait vu son aura disparaître tandis que son père se relevait malgré ses côtes enfoncées et son œil pendant. Elle avait crié. Quelqu'un d'autre avait crié, puis le feu s'était abattu sur l'homme qui l'avait élevée toute sa vie. Elle se remémora le visage de son père, fondu par les flammes, tandis qu'il se débattait entre les chaînes des Cherchemorts, l'unité chargée de traquer et purger les infectés. Ils avaient su. Ils l'avaient surveillé.

Elle ouvrit la fenêtre. Au moins, il était encore autorisé d'espérer. Sa chambre donnait sur l'extérieur de la cité. Sa mère la rejoignit tandis que son regard se perdait à l'horizon. Les premières étoiles brillaient déjà, illuminant les champs de céréales qui se succédaient aux plaines en jachère, parsemées de collines verdoyantes. En bas, les douves brûlaient doucement, jetant sur les murs des ombres louvoyantes. Au loin, on pouvait observer la lumière vacillante d'une autre cité, avec les mêmes douves flambantes.

L'aura de sa mère la rassurait un peu. Sa couleur émeraude rappelait celle de ses yeux. Elle n'en avait pas hérité, à son grand regret. Au lieu de cela, elles partageaient la même curiosité pour tout ce qui vivait, et une paradoxale attraction pour le sport et la crème glacée. Ce dernier point avait provoqué la rencontre de ses parents, et sa rencontre avec l'homme qu'elle attendait. « L'histoire se répète, se dit-elle intérieurement, en des points si insignifiants qu'ils en deviennent importants. »

Sa mère acquiesça silencieusement. Elle caressa affectueusement les longs cheveux de sa fille, un geste inhabituel. Comment calmer une peur si profonde en ces temps troublés ?

Le téléphone de Mei s'alluma entre ses mains, laissant paraître l'image de son père en fond d'écran, et en lettres capitales : LUI. Elle décrocha aussitôt : « Où es-tu ? » s'écria-t-elle.

Sa mère avait retiré sa main. L'aura de Mei s'était adoucie mais brillait toujours de la même intensité.

« Je suis en bas, désolé du retard. »

Mei et sa mère descendirent en trombe. Ouvrir sa porte la nuit était très risqué, les infectés risquant de surgir des égouts à tout moment, les rues étaient interdites à la fréquentation dès les lueurs du jour tombées. Mei composa le code d'ouverture tandis que sa mère allumait d'autres bougies. Seules les portes restaient alimentées en électricité durant la nuit, pour accueillir au besoin des réfugiés. Cela arrivait fréquemment, certaines cités ne disposaient pas des mêmes sécurités et il n'était pas rare de voir arriver des gens de passage. La solidarité s'imposait.

Mei valida le code, la porte s'ouvrit dans un faible chuintement, laissant entrer un homme imposant. Affairée sur ses bougies, Astrid se retourna et s'arrêta net, stupéfaite. L'homme qui enlaçait sa fille, l'homme qui venait d'entrer dans sa maison, cet homme avait quelque chose de très spécial. Ou plutôt, il lui manquait quelque chose. Cet homme n'avait pas d'aura.

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