Ils s’étaient évités les jours suivants, Cédric prétextant être en retard pour préparer l’exposé de leur cours de sciences. Pour leurs présentations, ils avaient tous fourni un effort vestimentaire, espérant grappiller ainsi quelques points supplémentaires. Adrien avait l’air un peu perdu dans son ancien costume deux pièces gris foncé. Sa musculature, contrairement à celle des autres garçons de la classe, ne se développait pas.

Pour un nageur, les cheveux courts facilitaient la mise en place du bonnet de bain pendant leurs entraînements. Maintenant, une crinière ondulée encadrait son visage. Cette modification d’apparence aurait pu passer inaperçue s’il n’avait pas attiré le regard sur ses yeux bleu marine en allongeant ses cils d’un épais trait de mascara noir.

Même s’il semblait ne pas vouloir choquer son entourage par un changement trop rapide, ses grands yeux expressifs montraient sa détermination. Ce mélange des deux genres troublait Cédric et, une fois le cours terminé, il s’empressa de rejoindre Barbara. Adrien n’était peut-être plus intéressé par les femmes, ce n’était pas son cas et il lui avait laissé le champ libre avec celle-là.

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Assis au pied de son maitre, Molosse, le chien d’Adrien, observait le cornet de saucisson accompagnant les bières des deux dames à côté d’eux. C’était un bouledogue français suffisamment calme pour accompagner son maitre lorsqu’il venait prendre un verre à la brasserie de la place. Et après son exposé, il avait bien besoin d’un petit remontant. Un peu dépité par le regard des autres, il était rentré se changer et il avait choisi des couleurs pastelles puis il avait emmené son chien en promenade. En chemin, il avait croisé Solène et s’étaient tout deux posé le temps de prendre un verre dans leur café-brasserie préféré. Assis à la fenêtre, ils observaient les fontaines disposées en losange et sortant directement du pavage.

• Je me rends compte que ma nouvelle apparence perturbe, finit-il par lâcher.
• Tu n’es pas le seul jeune à provoquer par son apparence, le rassura Solène en lui désignant du regard un client aux cheveux bleu à leur droite.
• Ce n’est pas l’image que je souhaite transmettre. Pas celle qui me correspond.
• Que voudrais tu montrer alors ?

Solène l’avait soutenu jusqu’ici et il se sentait prêt à l’informer de ses projets.

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La tante de Cédric était aussi son enseignante en histoire cette année. Hortense était la mémoire de leur petite île et les anecdotes qu’elle racontait à ses élèves rendaient ses cours particulièrement intéressants. La jeune génération représentait, pour elle, l’avenir de toute société.

Le baron invitait souvent sa sœur à partager un bon repas préparé par leur cuisinière. Tante Hortense préférait les vendredis, cela lui permettait de se poser et de marquer la fin de la semaine. Ce soir-là, Cédric eut l’occasion d’entendre un autre point de vue concernant les changements d’Adrien. Le corps professoral avait aussi observé la transformation du jeune homme et la conversation glissa naturellement sur le sujet.

• Je ne devrais pas en dire trop, et je tairais le nom de mes collègues, mais les enseignants sont divisés devant la situation, commença-t-elle. Certains sont plus mal à l’aise que d’autres.
• Pas besoin de les nommer, nous pouvons tous ressentir l'hostilité ou la fausse indifférence de certains de nos profs, s’agaça Cédric.
• C'est difficile pour tout le monde, certains sont effectivement choqués par le changement d’apparence d’Adrien. J'espère que ce sera temporaire. La majorité du personnel enseignant a du mal à se positionner.Et toi, Cédric, comment vis-tu la situation ? questionna-t-elle.
• J'observe aussi des moqueries mais je veux rester neutre... ne rien dire…

Charlotte, habituellement d'un naturel discret, ne pût s’empêcher de réprimander son fils.

• N’oublie tes nobles origines, mon fils. C'est à toi de montrer l’exemple, coupa-t-elle d’un ton dur.

Surpris par l’attitude de sa mère, Cédric se tourna vers son père qui acquiesça et poursuivit.

• Les autres jeunes te suivront. Même si j’utilise rarement mon titre, ils savent que tu es les fils d’un baron. J’attends de toi que tu montres l’exemple. Adrien t’a tenu la tête hors de l’eau, lorsque tu as failli te noyer. Il a toute notre reconnaissance.
• C’est difficile pour tout le monde, reprit Hortense. Il a mis sa vie en danger pour te sauver, tu lui dois bien cela.

Même Ludivine, de son air choqué, renforçait les remords de Cédric. Pour une fois, il aurait aimé entendre sa petite sœur se moquer de lui, cela lui aurait donné l’occasion de mettre fin à cette discussion avec de nouvelles chamailleries. Il n'était pas encore prêt à débattre sur ce sujet, surtout avec Adrien. Mais il essaierait de répondre, au moins en partie, aux attentes de sa famille.

• Ce n'est pas à nous de critiquer ses choix, cela ne devrait déranger personne, mentit-il pour mettre fin à la conversation.

Une fois de plus, il avait porté le masque de la tolérance, camouflant ainsi ses doutes. Mais, avant son départ, sa tante lui proposa de se renseigner pour lui. Une aide bienvenue.