« Papa ! Papa ! Le loup chante ! »

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Son rôle de médiateur terminé, Maï retourna dans la cuisine à peine éclairée par les rayons grisâtres de la pleine Lune. Il frissonna lorsqu’il posa ses mains sur le rebord de l’évier : l’hiver était bien installé. Afin d’aider le poêle à maintenir la chaleur du chalet, il jeta des bûches dans le four massif.

« Un Esprit frappe toujours deux fois. » La pensée de sa grand-mère se répétait alors qu’il ajoutait de la paille dans le foyer. Comme pour lui répondre, un loup hurla au loin. Maï scruta l’extérieur par la fenêtre et entendit le cerf s'agiter dans son étable. Avant même qu’il ne s’en rendît compte, Maï croisa les yeux cuivrés de la bête noire. Son corps ne lui répondait plus, il était contraint de soutenir son regard. Quand le loup le libéra de son emprise, une sensation qu’un éclair le traversa l'atteignit jusqu'aux tréfonds de son âme. Son énergie quitta son corps et le rendit aussi frêle que le lapin qu’il venait d’offrir à sa fille.

Ayanna… Elle se levait déjà du canapé. Sans doute avait-elle entendu le loup et perçut le flux d’énergie spirituelle. Pourtant, pas une once d'inquiétude dans sa voix… :

« Papa ! Papa ! Le loup chante ! »

Elle l'avait appris de sa mère qui, depuis son enfance, avait su interpréter leurs hurlements. Si la fillette n'en comprenait pas encore l’exacte signification, elle pouvait déjà très bien les percevoir ; pussent-ils avoir hurlé depuis l’autre bout de la forêt. Ce « chant du loup » était si puissant qu’il avait dissimulé le sort lancé contre son père.

Ainsi, le sourire d'Ayanna s’effaça dès que le corps massif jonchant le sol entra dans son champ de vision. Des larmes lui montèrent aux yeux et elle se cacha le visage dans le pelage de son compagnon qu’elle portait toujours. Son père lutta pour se redresser et s’approcher d’elle. Pour la rassurer, il l'enlaça et entonna la comptine que sa mère lui avait apprise :

Le Loup Roi de la Forêt chantait

Jusqu’aux confins de la contrée

Nombres d’âmes il avait sauvées

Sans jamais avoir été remercié

Le Loup Roi de la Forêt espérait

Qu’une enfant vint le rencontrer

Juste au moins pour lui confier

Que chaque jour sa tristesse grandissait

Ayanna se joignit à son père alors qu’il l’étreignit, la berçant au rythme de leur chant.

Le Loup Roi de la Forêt hurlait

Jusqu’aux confins de la contrée

Une enfant l’observait cachée

Alors que son esprit déchantait

Le Loup Roi de la Forêt sentait

L’enfant qui courageusement approchait

Ses deux mains elle lui tendait

Pour lui montrer sa confiance qu’elle lui offrait

Maï sentit les fourmillements et la douleur s’effacer peu à peu. Son corps devint plus léger, jusqu’à regagner toute son énergie. Le visage perplexe et inquiet d’Ayanna, reflétant sa propre mine, l’aida à reprendre ses esprits. C’était la première fois qu’il expérimentait le don de sa fille. Plus que jamais, il sut qu’il devrait la protéger envers et contre tout : mauvais esprits ou escrocs. Il effleura sa tête et embrassa son front pour la remercier, bien qu’il ne sût pas vraiment si elle avait été pleinement consciente des soins qu’elle lui avait prodigués.

Maï prit le lapin dans une main, sa fille sur son bras, puis les emmena sur le canapé. Ayanna s’allongea sur les genoux de son père qui lui détressa et dénoua ses cheveux. Le lapin, quant à lui, s’installa à l’autre bout du canapé, prêt du poêle.

« Dis, Papa ?

— Qu’y a-t-il ?

— C’est qui l’enfant dans la chanson ?

— C’est l’amie du Loup.

— Elle n’avait pas de nom ?

— Je ne sais pas.

— Elle le savait, maman ?

— Sûrement qu’elle le savait.

— Mais elle ne t’a rien dit ?

— Je n’ai pas pensé à le lui demander.

— Dommage… »

Il n’était plus rare qu’Ayanna mentionnât sa mère. C’était encore avec une part de tristesse, mais elle arrivait à un âge où elle avait besoin d’en parler. Après tout, une mère aimante est toujours un modèle pour sa fille.

Elle s’endormit après s’être remémoré des souvenirs joyeux de l’époque où ils vivaient aux abords de la ville. Ayanna avait aussi évoqué ses quelques amis. Maï n’avait pas encore osé lui avouer qu’à partir du moment où il eût choisi de se retirer dans cette forêt, tous les avaient reniés. Il lui arrivait de s’en vouloir de la laisser si seule. Peut-être était-ce la raison qui le poussait à lui trouver de nouveaux compagnons.

Maï souleva la fillette dans ses bras, contourna le canapé et la porta dans sa chambre sans la réveiller. Après l'avoir posée et couverte dans le lit, le lapin sembla lui adresser une question.

« Très bien, petit garnement ! »

À peine Maï eut-il posé le lapin sur la couette qu'il se colla contre Ayanna, sûrement en quête de chaleur.

« Prends bien soin d’elle… »

Une fois de retour dans la pièce, il réfléchit au malaise qu’il avait ressenti un peu plus tôt. Devrait-il consulter un shaman, juste au cas où ? S’il ne le faisait pas pour lui, au moins devait-il le faire pour Ayanna. La comptine chantée par sa fille s'était transformé en un précieux remède. Difficile de nier l'évidence : un maléfice l'habitait... Comment apaiser la colère de l'Esprit Loup, alors même qu'il n'en saisissait pas l'origine...?

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