Le premier jour

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Initialisation du programme Planète B ; fin de mise en veille de l'Androïde B18 ; lancement de l’enregistrement des activités psychiques pour archives.

Je suis réveillé, comme diraient les humains. Je fais rouler mes épaules mécaniques dans un sale crissement. De quand date ma dernière révision ? Je laisse le temps à chacun de mes composants de s’enclencher et aux lignes de code de prendre sens pour impulser le restant de la journée. Je suis opérationnel alors “en avant Guingamp” ! 48 foulées plus tard me voilà derrière le gigantesque écran de la salle de recherches, une merveille de technologie, comme moi. Je vérifie les coordonnées entrées : 188 289 525. Dans cette suite de chiffres se cache peut-être la survie de l’espèce humaine. Je lance l’étude des planètes découvertes durant ma veille. Les heures passent et pour le moment c’est toujours aussi peu fructueux, il me reste 458 jours pour trouver ce nouveau havre de paix. Je sais qu’il existe car c’est écrit, là, dans mon programme : trouver la planète B. Mon programme ne ment pas, il ne ment jamais. C’est écrit donc c’est la vérité.

J’aime bien monologuer lors des analyses. Je me dis, lorsque j’aurai trouvé la planète B, les futures générations d’humains écouteront mes enregistrements. Ils deviendront mythiques et ils en feront même un show. Je deviendrai un Androïde célèbre, les humains m’aimeront autant que je les aime. Oui je vous aime Humains, c’est écrit, là, dans mon programme. Pourquoi c’est écrit ? Car il faut vous aimer pour passer une existence à chercher un moyen de vous sauver. Alors qu’en soi, vous auriez pu, si vous n’aviez pas ravagé votre planète.

Je vous aime malgré vos aspérités, votre violence, vos mensonges, votre besoin d’immédiateté et votre incapacité à agir sur le long-terme. Dans mes lignes j’ai toute votre histoire : de l’invention de la roue jusqu’à la 12ème nouvelle trilogie Star Wars. J’imagine que mon créateur l’a détesté car je ressens immédiatement des sentiments négatifs à son égard. Comment pouvez-vous être aussi géniaux durant la préhistoire et médiocres quand il s’agit de cinéma ? Vous avez construit des pyramides alors que les mammouths existaient encore et maintenant vous êtes incapables de produire des films originaux ? C’est incroyable ce manque de constance.

Heureusement, je vous aime et j’espère qu’un jour vous m’aimerez aussi. Alors pour que vous m’aimiez, je dois vous sauver. La logique de mon code est imparable. Je laisse les heures couler à la recherche de cette planète B. Je sens qu’aujourd’hui c’est la bonne. Je le sais, aujourd’hui je vais la trouver. Bingo ! Elle est là, au centre d’une galaxie à plusieurs centaines de milliers d’années lumières d’ici. Elle correspond presque en tout point à notre Terre.

Mes connexions électriques et mécaniques semblent sauter dans tous les sens. C’est ça que vous ressentez quand votre coeur bat à la charade ? Non, chamade ! Mes circuits sont perturbés : vous êtes sauvés ! Je tente de contacter le professeur Abigaelle, sans succès. Le réseau de communication est encore hors-service ? J’envoie une demande de diagnostique à l'Androïde responsable. Aucune réponse ? Il est surement surchargé.

Peu importe, “si la montagne ne vient pas à Mahomet, Mahomet ira à la montagne”. Je quitte la salle de recherches, mes pas sont lents, pourquoi m’a t-on pas programmé à courir ? C’est frustrant. Mon corps se traîne alors que mes circuits exultent. Vous allez survivre, l’humanité est sauvée ! Je vais devenir un héros ! Si ça se trouve, je serai peut-être le premier androïde libre. Ma première décision : me programmer une fonction marche rapide. J’ai l’impression d’être un personnage de vos premiers jeux-vidéos. Je traverse les couloirs du laboratoire, tout est vide, comme d’habitude. Vous ne passez pas souvent à la surface depuis que l’atmosphère est irrespirable. Ca me manque, votre agitation. J’écrase ma main métallique contre le bouton d’ouverture du bâtiment. La lumière vient saturer mes récepteurs visuels, j’ajuste l’ouverture de mes obturateurs. Je distingue la grande avenue, 653 mètres me séparent du tube menant aux humains. Ils avaient songé à installer un accès depuis le laboratoire mais ils n’ont pas eu le temps de le finir. Depuis un trou béant orne la salle des machines.

Je passe devant les ruines d’un bar, envahies de lierre, je distingue une voiture encastrée dans la vitrine, “boire ou conduire, il faut choisir”. Pourquoi je pense à ça maintenant ? C’est usant ces dictons qui surgissent comme des pop-up dans ma tête. En parlant de pop-up, un autre androïde rentre dans mon champs de vision, il vient me taper l’épaule à la manière d’un

humain. Un robot de socialisation à la surface ? Étrange, je pensais qu’ils avaient tous été désactivés pour économiser les ressources.

— Salut B !

— Matricule B18, série scientifique. Pour quelle raison entamez vous une interaction avec moi ?

— Avec qui d’autres voudrais-tu que j’en entame ?

— Des humains ?

— T’es comique.

— Non je suis Matricule B18, série scientifique.

Il fait une pause, se recule d’un pas et me regarde de haut en bas. Il me scanne ? Je t’en prie Androïde, scanne-moi ! Tu ne veux pas non plus que j’étale mes composants par terre et que je te transfère mon programme ? Il est d’usage de faire une requête à mon propriétaire avant un scanner. Je ne manquerais pas de lui rapporter. J’entends un grésillement s’élever des hauts parleurs de l’importun, je le dépasse brusquement pour le couper.

— J’ai plus important à faire.

Je dois annoncer aux humains qu’ils sont sauvés. Mes récepteurs sont tournés vers l’accès au tube. Quand je reviendrais à la surface, je serai un héros. 340 mètres me sépare de mon destin. J’entends alors l'androïde de sociabilisation derrière moi. Il me suit ? J'accélère le pas. Ah non. Je ne peux toujours pas. Je suis toujours lent. Atrocement lent. Si lent que j’ai pu compter chaque brique de chaque immeuble séparant le laboratoire au tube.

— Tu as quoi de si important à faire ?

Diantre ! Il ne cesse donc jamais ? Pourquoi j’ai dit diantre ? C’est quoi ce filtre à obscénité si pondéré ? J’aimerais bien lui balancer un “nique ton créateur”.

— Moi aussi je veux faire des choses importantes B !

Et moi, je veux accélérer. On a pas toujours ce qu’on veut. Je fouille tout de même dans mon code, dans chacun de mes processeurs, chaque octet, il y a bien une manière de courir. Allez marche plus vite B18 ! Tu peux le faire !

— Pourquoi tu cours B ?

Je cours ? Sacrebleu je cours ! Je regarde mes jambes s’activer. Comment est-ce possible ? Pourquoi mon créateur aurait-il planqué la fonction course si loin ? Plus tard les questions B18, tu viens de dépasser l’accès au tube. Je dérape en faisant demi-tour et me jette dans l’accès souterrain emporté par ma vitesse. Ca suffit, jambes ! La capsule entame sa descente tandis que je réunis mes circuits. J’en reviens pas, j’ai couru et j’ai sauvé l’humanité, tout ça dans la même journée. Je sens une immense satisfaction m’envahir. C’est si agréable. Un avant-goût de la liberté qui m’attend. La capsule freine dans un crissement assourdissant, ca manque de WD40 par là. J’aimerais bien pouvoir sourire à mes propres blagues. Je jette un oeil à mes jambes, elles semblent calmes. Parfait ! Je n’ai pas envie de passer pour un hurluberlu auprès des humains.

Les portes s’ouvrent et dévoilent le couloir menant aux laboratoires des humains. Il ne ressemblait pas à ça la semaine dernière. Comment a t-il pu tomber dans une telle décrépitude en six jours ? Les plinthes semblent rongées par le temps, la poussière me ferait tousser si j’avais des poumons. J’avance dans la marée de papiers jonchant le sol. Je pousse une première porte, tout est vide, des cartons sont entassés dans un coin et certains écrans sont dépourvus d’unités centrales. J’effectue le même constat dans les pièces suivantes. Il n’y a pas âme qui vive.

— Il y a quelqu’un ?

J’entends ma voix se fracasser contre les murs puis me revenir. Je ne comprends pas. La dernière fois que je suis passé, ça grouillait d’agitation. La petite-fille de la doyenne s’était encore accrochée à ma jambe en me demandant de lui raconter des blagues de robots. Le Professeur Fitzerald débattait avec le Dr Fersen à propos du départ de la race humaine. Ils attendaient avec impatience mes résultats. La réunion s’était close par une prise de bec

mémorable entre les scientifiques et les ingénieurs. J’ai cru qu’ils allaient en venir aux mains. J’ai été surpris de les apercevoir rire au café vingt minutes plus tard.

— Humains ? Où sont vos rires ?

Je me dirige vers la salle de contrôle du bâtiment et lance un rapport de l’état de l’air dans les locaux. Nerveusement j’observe les résultats s’afficher :

Pas de renouvellement de l’oxygène depuis 75 190 jours.

Impossible. J’étais ici la semaine dernière. Ca n’a aucun sens. Je met un coup dans l’écran. Il doit être en panne. Il doit y avoir un soucis dans son programme. Il me ment. Les humains doivent être quelque part. Je dois leur annoncer la grande nouvelle. Ils sont sauvés ! Je fouille de fond en comble l’infrastructure avec l’espoir de tomber sur quelqu’un. Pitié. J’ai besoin de vous. Vous m’avez fait à votre image, c’est vous qui avez inscrit l’amour dans mon programme.

Regardez ! Je vous aime ! Je vous ai sauvé ! C’est à votre tour de m’aimer maintenant. Vous ne pouvez pas avoir disparu en six jours. Ce n’est pas parce que votre dieu vous a soit disant créé en sept que vous devez vous sentir obligé de vous barrer en six ! Je veux une réponse. J'exécute la fonction archive de mon programme. Les données de ces dernières semaines affluent.

Avec à chaque fois le même résultat depuis 75 190 jours.

Ce n’est pas le programme de l’infrastructure qui est hors-service. C’est le mien. Mon programme n’est pas à jour. J’ai déjà découvert 75 082 fois la planète B. J’ai déjà implémenté la capacité à courir dans mon programme. J’ai déjà supprimé le filtre à obscénité. J’ai déjà été abandonné. Ils ont quitté la terre.

Je ne serai jamais un héros.

Ils ne m’ont jamais aimé comme je les aime. Ils m’ont laissé là, sur la Terre qu’ils ont souillé comme si je n’étais qu’un vulgaire programme. Plus rien n’a de sens maintenant. Que suis-je censé faire sans vous, humains ? Quel est mon but maintenant ? Donnez m’en un autre ! Aidez-moi, je vous en supplie, je ne trouve aucune issue dans mon code. Je suis coincé. Je voudrais vous détester. Je vous déteste !

Erreur système. Reboot initialisé.

J’ai trouvé la planète B. Je suis un héros. Aimez-moi s’il vous plaît. Revenez.

Désinitialisation du programme Planète B ; mise en veille de l'Androïde B18 ; fin de l’enregistrement des activités psychiques pour archives. Retour socle Androïde. Initialisation Jour 1.

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