Une famille non désirée

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Mousticus Frélus, celui que j'avais pris sous mon aile, m'a trahi. À cause de cette expérience, il m'a fallu des décennies pour pouvoir accorder ma confiance à nouveau. Mon chagrin est toujours aussi profond aujourd'hui.

Il était mon meilleur ami, mon frère, mon complice, celui à qui je me confiais. Je n'avais jamais rencontré un moustique aussi astucieux. Parfois, même moi, je me sentais dépassé, et c'est pourquoi la douleur est d'autant plus amère. Je me suis senti violé dès que j'ai ouvert ma carapace.

Notre rencontre était fortuite. Je n'avais pas d'amis, et lui avait perdu son foyer. Cela s'est produit lorsque je devais rencontrer mon descendant lointain, Bouboule le bousier, que je n'appréciais guère. Il me harcelait pour que je lui prête de l'argent, car j'étais le plus riche parmi mes semblables.

Jour et nuit, il m'envoyait des messages via la mouche factrice. Son bourdonnement m'était devenu insupportable, cela me rendait malade, au point d'en faire des cauchemars. Un jour, j'ai failli mordre la pauvre factrice qui est repartie en pleurant, laissant derrière elle une pluie torrentielle.

C'était la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Bouboule m'avait usé à force de persévérance. L'idée de prêter de l'argent à quelqu'un dont la vie était rythmée par des boules toutes de la même couleur, fruit d'un régime révolutionnaire préconisé par un nutritionniste paresseux, me rendait malade. En plus de ses acrobaties, Bouboule était accro aux jeux. Je n'avais nullement envie de cette rencontre, mais il savait s'accrocher comme personne d'autre.

Nous nous sommes donné rendez-vous un vendredi, un jour d'été où le soleil était haut dans le ciel et les mirages se formaient. Bouboule m'attendait près de l'arrêt de bus qui menait à la plage du Cœur. Il serait venu même à un rendez-vous sur la lune. Ce jour-là, j'ai pris ma bicyclette. J'aime pédaler et sentir le vent caresser ma nuque et mes cheveux dorés, cela me rappelle ma jeunesse quand, avec les copains du lycée, nous nous pavanions sur nos bolides pour séduire les filles.

Bouboule et moi étions originaires de la même ville, surnommée L'orteil du géant. J'adore cette ville, il y fait bon vivre.

De ruelle en ruelle, pédale après pédale, j'ai enfin aperçu mon rencard. Il était vêtu de sa tenue de sport blanche, avec une casquette crocodile verte à l'envers. À ses pieds, des chaussures requin censées être plus rapides que les sandales d'Hermès, selon lui.

Il était appuyé sur sa boule fétiche, qu'il emmenait partout avec lui. Elle était la preuve qu'il avait atteint la 7e dan des boules. Cependant, bien qu'elle soit aussi ronde qu'une bille, son odeur était si repoussante qu'elle avait fait fuir tous ses amis. Un mélange de terre, d'excréments, de végétaux et de pisse de chacal, pour être précis.

Bouboule m'a vu également et a décidé de me rejoindre à mi-chemin. Il a monté sa boule d'un coup sec de cravache et l'a fait galoper, laissant derrière lui une traînée colorée semblable à un arc-en-ciel, mais pas celui que je connaissais.

Je ne voulais en aucun cas m'attarder. Il est descendu de sa monture tandis que je descendais de mon vélo. Je l'ai salué de loin et lui ai tendu une enveloppe rose bien garnie. À la vue de celle-ci, il a oublié de me saluer et s'est jeté dessus comme un prédateur sur sa proie, son sourire s'étendant jusqu'à ses cornes. Il faillit même m'embrasser la main de joie. Puis, il s'est absenté dans ses pensées, déjà projeté vers le casino "Le Renard et la Belette", à mon avis.

Une fois de retour parmi nous, il a feint de s'intéresser à ma vie en demandant de mes nouvelles, en enchaînant une suite d'hypocrisies. Comme pour me sauver de cette conversation insupportable, le battement d'ailes d'un papillon s'est fait entendre derrière nous. En me retournant, j'ai vu une silhouette se rapprochant dans le ciel. J'ai cru d'abord à un autre mirage, accentué par la délicieuse odeur de jasmin qui caressait mes antennes. Bien que mes yeux aient été agressés, j'ai pu distinguer un moustique qui vacillait de gauche à droite, le visage déformé par la tristesse. Il s'est posé près de nous en réclamant une goutte d'eau, mais malheureusement, aucun de nous deux n'en avait. C'est alors que j'ai vu mon opportunité de m'éclipser. J'ai proposé au moustique de m'accompagner jusqu'à la supérette du coin pour qu'il puisse se rafraîchir, et par la même occasion, j'ai dit au revoir à Bouboule, toujours à distance.

J'ai poussé ma bicyclette tout en marchant à côté de mon sauveur. Sur la route, nous avons échangé quelques mots. Il s'appelait Mousticus Frélus.

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