Chapitre 5

7 minutes de lecture

Jake puisait dans ses dernières réserves d’énergie pour rester conscient.

— C’est une bonne endurance que tu as là, mon gaillard ! dit l’inconnu d’un ton toujours jovial.

L’homme les suivaient en trottinant innocemment autour d’eux. S’appuyant sur Kaufman de son bras valide, Jake n’avait pas la force de répondre.

— Qui êtes-vous ? Pourquoi étiez-vous bloqué dans ce cristal ? Vous savez quel est cet endroit ? demanda Kaufman tout en tentant de s’orienter.

— Tant de questions, tant de questions ! s’étonna l’individu. Si seulement je le savais, hélas ! Il semblerait que la mémoire ne me fasse défaut. Ah, si ! Je pense m’appeler Gale.

— Vous pensez ? ironisa Kaufman.

À force de détours et recherches, il avait réussi à se repérer et le groupe rejoignit la caverne principale, toujours éclairée de l’étrange lumière verte venant de l’entrée.

Ils arrivèrent devant le portail vert et Kaufman posa sa main dessus comme son compagnon l’avait fait pour entrer. Cependant, malgré un léger bruit sourd qui se fit entendre au contact de sa main, il ne passa pas à travers le rideau comme il l’avait fait en entrant.

Voyant que sa main ne passait pas, l’épéiste appuya autant qu’il le pouvait pour forcer le passage.

Le portail ne bougea pas d’un centimètre, pas plus que la main de Kaufman ne put traverser.

Refusant de se laisser abattre, Kaufman dégaina son épée.

— Je ne ferais pas ça si j’étais vous, fit remarquer Gale en se curant le nez.

Ce dernier ne pris pas en compte la remarque de cet individu visiblement dérangé, et abattit son arme de toutes ses forces sur la barrière. Un son grave et puissant retenti au moment de l’impact, en même temps que le cri de Kaufman qui fut projeté en arrière.

— J’ai failli me démancher l’épaule, bordel !

La barrière était totalement intacte.

— Je te l’avais bien dit ! fit l’homme à moitié nu derrière lui, visiblement amusé par la situation. Si tu tiens toujours à ton projet de ne pas tirer le drake du sommeil, je te conseille d’arrêter de forcer ce passage !

L’instant d’après, un hurlement effrayant, mêlant douleur et fureur retenti des profondeurs des galeries secondaires.

— Oups, trop tard ! remarqua Gale, détendu.

Le drake s’était réveillé. Paniqué, Kaufman tenta encore de forcer la barrière verte en donnant de grands coups d’épaules dessus, sans aucun autre succès que d’endommager un peu plus son articulation.

— Putain, faites quelque chose si vous êtes si malin ! tempêta Kaufman. Vous ne savez rien, ne pouvez pas nous aider mais vous vous permettez quand même de donner des conseils ?

— Quand ai-je dis que je ne savais rien ? demanda Gale en souriant.

Puis il ajouta en agitant la main comme si le sujet était sans importance :

— Mais il est peu intéressant de parler de moi. Mon garçon, dites-moi, vous qui tentez de forcer cette sortie en frappant dessus, que savez-vous sur cet endroit ?

— Rien ! Absolument rien… désespéra Kaufman. Nous avons été envoyés en mission par le commandant Yakor pour vaincre le monstre qui s’y trouvait mais… Comment ont-ils pu croire que…

L’homme s’effondra. Il sanglota, incapable de continuer.

Gale, une lueur de compassion dans le regard, posa sa main sur l’épaule de l’épéiste.

— Là, là. Ça va aller mon petit, ne t’inquiètes pas. Pourquoi vous a-t-ont envoyé ici sans aucune information ?

Jake, adossé à la paroi de la caverne, pris la parole d’une voix rauque et affaiblie.

— Un piège. Je pense qu’on veut se débarrasser de nous.

— Ah ! s’étonna l’inconnu. Vous êtes donc des criminels ?

— Pas du tout ! s’indigna Kaufman, des larmes pleins les yeux. C’est le contraire même, on est des chasseurs de primes, ça se voit non ?

— Hm, des chasseurs de primes, vous dites ?

— Ben… Oui, comment pouvez-vous ignorer ce que sont des chasseurs de primes ? C’est le plus vieux métier d’Abta avec les Défenseurs !

Gale se gratta la tête.

— Très bien très bien. Et Abta, donc, c’est quoi ? Le nom de cette Zone ? Elle n’est pas Régulée si je comprends bien ?

Jake plissa les yeux d’incompréhension.

— Une zone ? Quelle zone ? Non, Abta c’est le nom de notre monde et celui de la cité qui le gère ! Depuis combien de temps étiez-vous enfermé ici ?

Des grondements se firent entendre, de plus en plus proches.

— Laisse tomber Jake, ce mec est complètement taré, cria Kaufman, affolé. Il faut qu’on trouve quelque chose, qu’on sorte d’ici !

— Je sais bien, figure-toi ! s’énerva son compagnon en toussant. Si tu crois que ça me plait de te laisser crever ici !

— Ah tu penses à moi, maintenant ? Il aurait peut-être été temps de le faire avant de m’amener tout droit vers la mort avec toutes ces missions…

— Bon, l’interrompit Gale d’une voix autoritaire, puissante et rassurante.

Les deux chasseurs de primes fixèrent l’inconnu. Il s’était exprimé d’une façon bien différente de son ton habituel. Sans réfléchir et poussés par un instinct trop primaire pour qu’ils puissent l’expliquer, les deux hommes se turent et attendirent de voir ce que cet étrange individu avait à dire en dépit des hurlements du drake qui se rapprochaient.

L’homme balafré réfléchissait. Il passait la main sur sa légère barbe et son regard alternait entre Jake, Kaufman, la barrière verte et le sol. Après de longues secondes qui parurent interminables, il hocha silencieusement la tête, comme si il avait réglé un conflit intérieur.

— Il y a deux manières de sortir d’ici messieurs, annonça-t-il. La première consiste à remporter l’épreuve, c’est-à-dire vaincre ce drake.

Il contempla la réaction du duo avec amusement, semblant se délecter de l’impossibilité et l’affolement que cette solution évoquait dans les yeux des chasseurs de primes.

— Et la deuxième manière ? demanda Kaufman en déglutissant.

— Prier, répondit Gale.

— Vous vous foutez de nous ? s’énerva Jake.

— Pas du tout, répliqua-t-il sans parvenir à totalement cacher son amusement. Il vous faut prier, là, devant cette barrière verte. Si votre prière est assez convaincante et que les dieux sont cléments, peut-être – je dis bien peut être – que le passage s’ouvrira.

Il se gratta la tête d’un air gêné avant de poursuivre :

— Ça serait plus simple si vous pouviez tuer le drake mais bon, puisque c’est hors de votre portée, il ne vous reste plus que ça, j’en ai bien peur !

— Il se fout de nous, affirma Kaufman en constatant le demi sourire sur le visage de Gale. C’est fini.

Brisé, il tomba à genou et contempla le sol, le regard vide.

Par deux fois en si peu de temps, Kaufman Bergen se résolu à sa propre mort, qu’il savait imminente.

Gale s’approcha et Kaufman repoussa la main qui tirait sur sa tunique, refusant la compassion de cet inconnu complètement dérangé.

— Qu’est-ce que tu fous, abruti.

Ce n’était pas Gale qui le tirait, mais Jake. Il s’était relevé tout seul et le regardait.

Il tenait à peine debout. Les blessures recouvrant son corps et la moitié de son bras manquant le vidait de son sang et il tremblait comme une feuille, mais était debout.
Une flamme brillait dans ses yeux. Une détermination non pas à survivre, mais à faire survivre.

Jake saisit le col de Kaufman de son bras valide et, avec une force qu’il ne lui soupçonnait pas, le souleva de terre, porta son visage au même niveau que lui, l’étranglant presque.

—Tu es si pressé de mourir ? demanda Jake.

— C’est peut-être pas si mal, quand t’es mort… murmura Kaufman. Quel autre choix avons-nous de toute façon ?

Jake regarda son ami droit dans les yeux.

— Écoute moi bien triple crétin, tu auras tout le temps d’être mort, l’éternité même. Mais en ce moment, tu es vivant, alors tu vas me faire le plaisir de le rester, et de venir avec moi prier devant cette merde de portail vert.

— Pourquoi ? À quoi bon, c’est évident que c’est une pitrerie…

— Bien sûr, grogna Jake en désignant Gale. Ça crève les yeux, lui-même n’y crois visiblement presque pas. Mais réfléchis bordel, réfléchis. Même si c’est sans doute une pitrerie, même si il n’y a qu’une chance sur un million que ça marche, ça vaut le coup. Qu’as tu as perdre ?

Les jambes de Kaufman prirent de l’assurance.

Jake lâcha le col de son camarade et se plaça devant le portail vert pendant que les grognements du drake s’intensifièrent. Et il pria.

Kaufman à ses côtés, tremblant encore plus que lui et ruisselant de larmes qui priait également.

Le visage crispé par la peur et la détermination, ils ne savaient pas quoi ni qui prier, mais ils prièrent.

De toute leur force, de toute leur âme, de tout leur être, Kaufman les mains jointes, Jake le poing placé sur son cœur, les deux hommes prièrent admirablement.

Au moment où le drake entra dans la caverne principale et repéra ses proies, ils crièrent leur prière au portail, ils crièrent à s’en écorcher les cordes vocales.

— Je ne peux penser qu’on reste indifférent à une telle dévotion, remarqua Gale, souriant et admiratif.

Aussi puissant que fut le cri de Kaufman et Jake, il fut facilement couvert par un bourdonnement d’une intensité surpuissante.

Toute la caverne trembla, le monde paru se déchirer et, l’instant d’après, une brèche s’ouvrit sur la barrière verte. Elle était suffisante pour faire passer un homme mais commençait déjà à se réduire sur elle-même.

Sans l’ombre d’une hésitation, Jake et Kaufman s’engouffrèrent dans la brèche qui se referma derrière eux, un drake géant rugissant dans leur dos.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Aïro ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0