Prologue

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La brute le traînait violemment par les cheveux. Aveuglé par la douleur et incapable de résister, Kaufman ne pouvait retenir ses sanglots, sa main droite repliée sur son poignet gauche.

— Et voilà qu’il chiale ! s’esclaffa Diana. Quelle mauviette ce lampion ! Tu l’as trop amoché, Forlo !

Derrière elle, Forlo se contenta de grogner et de suivre.

Le groupe d’enfants arriva en haut de la colline, et le leader, Tarl, lâcha enfin Kaufman. Il s’adressa à lui d’un ton menaçant :

— Tu sais où on est, Kauffie ?

Incapable de s’arrêter de pleurer, le petit garçon ne put que secouer la tête frénétiquement.

— Tes parents géniaux et riches doivent pourtant savoir ? l’interrogea Diana, une fille à la musculature impressionnante malgré ses onze ans.

— Clairement, acquiesça Tarl. Patrouiller à la Frontière, c’est quelque chose que ta mère a dû faire, non ?

Le chef du groupe, Tarl, n’était pas spécialement grand ni musclé, mais on pouvait déceler dans son regard une maturité et une intelligence très inhabituelle chez un enfant de douze ans. Les yeux froids de ce blondinet aux cheveux courts semblaient creuser un sillon calculateur et cruel dans les rétines de son interlocuteur.

Le quatrième enfant restait quelque peu à l’écart. Forlo était l’arme de guerre de Tarl : aussi grand que large, la montagne protégeait son camarade même lorsque ce dernier commettait les plus grosses bavures.

Sur le chemin du retour de l’école, Kaufman s’était fait sauter dessus par ces trois-là. Tarl et Diana l’avaient roué de coups pendant que Forlo l’immobilisait de son simple poids.

Se sachant battu, il n’avait pas résisté et s’était fait trimballer comme un chiffon jusqu’en haut d’une colline, tout au nord du village.

Il savait en réalité ce qui se trouvait sur cette butte : la Frontière.

Sa mère, ancienne Défenseure, lui en avait souvent parlé mais surtout formellement interdit de s’en approcher. C’est donc la première fois qu’il l’observait et le phénomène dépassait tout ce qu’il avait pu imaginer.

La Frontière était un mur lisse s’étendant à l’infini en hauteur et en largeur. Regarder l’obstacle donnait l’impression de plonger ses yeux dans un chaos visuel : les couleurs et les formes apparaissaient et disparaissaient brusquement, la lumière y était parfois réfléchie, parfois distordue ou tout simplement bloquée.

La barrière semblait onduler de façon irrégulière, comme un rideau face au vent, mais sans jamais cesser de paraître solide et infranchissable.

Il avait beau lever le regard aussi haut que possible vers le ciel, il n’en voyait pas la fin. Qu’il tourne la tête à gauche ou à droite, le même obstacle s’étendait sur des dizaines et dizaines de kilomètres à perte de vue.

— Allons, fit Tarl d’une voix faussement douce. Tu as l’air fatigué le lampion ! Pourquoi ne t’adosses-tu pas à cette magnifique Frontière ?

L’intéressé était complètement figé par la peur. Le leader fit un signe et Forlo saisit brusquement le gringalet aux épaules. Ce dernier se débattit violemment mais inutilement pour échapper à l’emprise de la montagne.

— Arrête ! cria Kaufman. Mon uniforme, tu vas…

Il fut plaqué à la Frontière. Une fumée noire et épaisse s’échappa du dos de l’enfant, qui glapit de frayeur.

Il s’était préparé à hurler de douleur, mais constata au bout de quelques secondes que la principale souffrance qu’il ressentait venait des coups de Diana qu’il avait reçu quelques minutes plus tôt.

Son dos nu contre la frontière était parfaitement intact malgré le tissu de son uniforme qui avait intégralement brûlé, dissous par la paroi opaque. C’était désormais comme s’il était adossé contre un mur froid et compact.

— Dommage, lança Diana avec un air déçu. J’avais espéré qu’il fasse « pouf » dans la Frontière !

— Tu sais bien que ça marche pas comme ça, répliqua Tarl.

— Oui, oui je sais bien mais…

— Alors ferme-là, aboya le blond d’un ton glacial.

Il était en rogne, c’était évident. Diana était heureuse de ne pas en être la cause principale et se tut, priant pour ne pas le devenir.

Tarl s’approcha dangereusement de Kaufman et se baissa à sa hauteur pour lui murmurer :

— Qu’est-ce que tu caches sur ton poignet, merdeux ? C’est bien ce que je pense, hein ?

L’enfant terrorisé resta muet, se pliant en deux pour cacher son trésor.

Tarl explosa. En une fraction de seconde, de la glace se matérialisa autour du bras gauche du leader blond, façonnant une énorme griffe de givre autour de sa main qui fonça sur le visage de Kaufman, cognant brutalement sa tête contre la Frontière.

Presque assommé, l’enfant laissa tomber ses bras, révélant un joli bracelet en tissu tressé à son poignet.

— Alors ? fulmina Tarl. Pourquoi cacher ce beau cadeau de Gwen hein ? Peut-être parce que tu ne le mérites pas, en fait ?

Le leader était complètement hors de lui. Il continua en hurlant presque :

— Tu sais comme moi que tu l’as reçu parce que tu as réussis à lui cacher ta médiocrité !

Toujours à moitié sonné, Kaufman perdit un instant toute notion de prudence. Il put répliquer :

— Et tu sais comme moi que tu ne l’as pas reçu car tu n’es qu’une sale brute détestable, jamais Gwen ne te fera un aussi beau cadeau…

Comme réalisant le sens de ses paroles, l’enfant brun paniqua et tenta brusquement de s’échapper de la griffe de glace de Tarl. Bougeant frénétiquement la tête et frappant de toutes ses forces sur la massive poigne gelée qui le maintenait bloqué, il n’arriva pas à se dégager de la poigne du leader.

Une terreur oppressante naquit en lui lorsqu’il croisa le regard de son bourreau.

Vif comme l’éclair, Tarl saisit le poignet de sa victime de sa main libre et voulut l'amener vers la Frontière. L’enfant brun résista tant bien que mal, tremblant d’efforts pour que son bracelet ne rentre pas en contact avec la barrière.

Sur le point de céder, Kaufman poussa un ultime cri de détresse ; mué d’une pulsion totalement primaire, il afflua instinctivement tout son Pouvoir vers son poignet gauche. Une puissante lumière blanche naquit de sa main, aveuglant momentanément Tarl qui hurla, lâcha prise et se couvrit les yeux avec le coude.

Profitant de l’occasion, l’enfant prisonnier voulut replier son bras pour protéger le bracelet. Au même instant, un pilier de glace émergea soudainement de l’avant-bras de Tarl pour se jeter brutalement sur le poignet de Kaufman.

Dans un effroyable craquement d’os, l’articulation de l’enfant se brisa violemment sur la surface dure de la Frontière.

Kaufman hurla.

De rage, pas de douleur, malgré son poignet en miettes.

Une fumée noire s’échappait de son bras et un bracelet en tissu carbonisé tomba sur le sol en même temps que les larmes de l’enfant.

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