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Alors, comme ça, je dois écrire pour toi. Je n'ai pas encore compris exactement pourquoi ; mais j'ai bien compris que tu en as besoin. A mon avis, ça doit avoir un rapport avec Shoncor. Tu as dit un jour que je suis probablement ta seule arme contre lui et je crois que, armée d'un stylo, je pourrais être une arme bien plus puissante encore. Sauf que je ne suis pas capable de tenir un stylo ; je ne suis qu'une mouche. Mais une machine à écrire peut s'avérer tout aussi efficace qu'un stylo. C'est un peu épuisant de voler de touche en touche, de me laisser tomber sur chacune aussi lourdement que je le peux et de repartir aussitôt vers une autre, mais on dira que ça me fait faire de l'exercice. Et, surtout, j'ai l'impression que ça en vaudra la peine.

Commençons au début. Je vais me sentir bête d'écrire des choses que tu sais déjà, mais, comme Shoncor pourrait un jour attenter à ta mémoire, je me dois de le faire. Commençons par moi. Je suis une mouche ; je l'ai déjà dit. Mais une mouche mignonne ; ça, c'est toi qui l'a dit, mais ce n'était pas encore écrit. A ce que tu m'as avoué un jour, avant que je n'apparaisse tu ignorais qu'une mouche puisse être mignonne. Heureusement que je suis apparue dans ta vie pour diminuer ton ignorance alors ; car tu as peur d'elle peut-être même autant que de Shoncor. Donc, je suis une mouche. Mais ça n'a pas grande importance ; je pourrais aussi bien être un criquet, une cigale, ou n'importe quoi d'autre. L'important, c'est que je suis là, en interaction constante avec toi. L'important, c'est que je suis toujours présente pour toi ; toujours à ton écoute et aussi et surtout toujours à ta réponse.

Passons maintenant à toi, Persil. Tu es un être humain. Dois-je vraiment le préciser ? Sait-on jamais ; si moi je suis une mouche, tu pourrais très bien être une herbe aromatique. Tu es un petit-garçon, ou un jeune-homme, ou les deux à la fois. Ça dépend un peu de Shoncor, et aussi un peu de mon regard sur toi. Mais peut-être qu'au final ça ne change pas grand chose, comme ça ne change pas grand chose pour moi d'être une mouche ou quoi que ce soit d'autre. Tu dois en être à un cinquième de ton existence, peut être un quart. Peut-être aussi carrément plus ; mais ça semble quand même moins probable. Comme beaucoup de choses, c'est entre les mains de Shoncor.

Que dire sur toi ? Tu es en avance ; c'est ce que disent les gens. Tu es en avance, mais tu te sens en retard. C'est peut-être d'ailleurs parce que tu te sens toujours en retard que tu en es arrivé à être si en avance. Ça, ce n'est pas ce que pensent les gens : ta famille, et tous les autres. Eux, ils pensent que, si tu es en avance, c'est parce que tu as un surcroît de brillance. Mais moi, je me dis que, quand même, c'est peut-être surtout à cause de ta peur de Shoncor. Félicitations Persil, tu es arrivé ici avant tous les autres ! Enfin, pas vraiment avant tous les autres, mais avant tous ceux qui étaient partis en même temps que toi ; c'est déjà pas mal.

On a défini « moi » (même si on peut difficilement considérer ça comme une définition adéquate), on a défini « toi » (et on peut en dire exactement de même dans ce cas là) ; reste à définir « ici ». Ici, c'est somme toute un endroit assez joli ; vu de loin du moins. C'est d'ailleurs pour ça que tu étais si pressé d'y arriver. Une jolie clairière, le ciel bleu, l'air frais, les fleurs, le chant des oiseaux (le chant des oiseaux on ne de voit pas de loin bien sûr, et ne s'entend pas non plus ; mais peut être imaginé). Et surtout, au milieu des fleurs, plus majestueux qu'elles et poussant bien plus vite : les bureaux. Les bureaux, ça te faisait rêver. Combien de fois tu as supplié Shoncor de t'en donner un dès que possible ? Il a finalement accédé à ta requête. Et maintenant, tu es là, avec tous ces autres, au milieu de la clairière, assis derrière ton magnifique bureau, trop occupé pour faire attention aux fleurs qui l'entourent, et assez près pour constater que le brouhaha de tous ces gens assis à leurs bureaux masque complètement le chant des oiseaux (si chant d'oiseaux il-y-a).

Et « ici », du point de vue de Shoncor, ce n'est pas juste un bureau dans une clairière, c'est aussi et surtout le début. Le début de quoi ? C'est là toute la question ; n'est-ce pas ? Le début de quelque chose qui vaut suffisamment la peine pour que tu me demandes de l'écrire. Ou, à l'inverse, le début de quelque chose qui ne vaut tellement pas la peine que tu dois me demander d'écrire pour que ça vaille un minimum quelque chose. Malheureusement, je penche plutôt pour la seconde hypothèse. Tu n'as pourtant pas tort au fond ; moi aussi, je suis convaincue que les choses valent toujours un peu plus le coup avec des mots posés dessus. Sauf que les mots sont lourds à porter au dessus des choses. Peut-être que s'ils me font me sentir si légère, c'est juste par effet de contraste. Ils sont lourds à porter au dessus de toutes ces choses qui sont tellement imposantes bien que pourtant dérisoires. Et, bien entendu, devoir effectuer des tâches comme celle-ci serait beaucoup plus envisageable, beaucoup moins contraignant, si on n'avait pas Shoncor à nos trousses.

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