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Heureusement, tu es tombé malade. Oui, je suis consciente que cet adverbe peut sembler curieux placé dans cette phrase. Mais pourtant, c'est ce que je crois sincèrement : qu'à ce moment-là, pour toi, tomber malade était un heureux évènement. Je suis persuadée que c'est le moyen qu'a trouvé ton organisme pour te soustraire à cette clairière nocive, à ce serpent venimeux et à ce rythme qui te tuait à petit feu. En plus de ça, ça t'a aussi permis de parler avec Shoncor. Depuis le temps que tu cherchais un moyen d'avoir une discussion avec lui, nous n'avions pas pensé à celui-ci : tomber malade.

Tomber malade, c'était un bon moyen pour que Shoncor vienne enfin te rendre visite. Il a toqué à ta porte, et au lieu de t'en réjouir, tu n'as fait que te demander s'il resterait pour longtemps ou si c'était juste un passage furtif. Shoncor était enfin là, comme tu le souhaitais chaque jour depuis que tu avais commencé à travailler, et tu réalisais que tu n'avais pas la moindre idée de comment profiter de lui. Il faut dire aussi que tu n'étais pas vraiment en état de profiter. Si seulement tu avais eu l'occasion de recevoir sa visite quand tu étais en forme, tu aurais été en mesure d'en faire meilleure usage. Peut-être ; ou peut-être pas, car tu t'es trouvé bien incapable de me citer les usages que tu aurais alors fait de sa présence.

Finalement, je dirais que tu as quand même fait plutôt bon usage de cette brève visite. Peut-être pas le meilleur possible, mais, après tout, la deuxième loi de Shoncor ne précise pas que l'usage doit être le meilleur possible (juste qu'utilité il doit y avoir). Et la visite de Shoncor t'a été utile ; j'en suis persuadée. Vous avez conversé. Un pincement de jalousie m'a tiré les ailes, car tu as parlé avec lui de cette façon extrêmement intéressée et passionnée que tu n'as jamais qu'avec moi et que, ces derniers temps, même avec moi tu as de moins en moins. Mais j'ai tendu les oreilles, déterminée à tout capter afin de pouvoir réemployer par la suite, pour t'aider, ce que j'aurais appris :

« Shoncor ! Je me demandais si je te reverrais jamais.

— Ne dis pas de bêtises, Persil. Tu sais bien que je suis toujours là.

— Je ne le sais que trop bien. Tu es toujours là ; c'est ce qui me gâche la vie. Toujours là mais jamais assez présent pour moi. Toujours là mais toujours à courir. Tu ne voudrais pas t'arrêter un peu des fois ?

— Peut-être que je m'arrête des fois. Peut-être même que je m'arrête souvent. Mais quelle différence pour toi ? Rappelle-toi de la troisième loi. Si je m'arrête, tu t'arrêtes aussi. Si je m'arrête, tu ne peux pas avoir conscience que je suis arrêté.

— Peut-être bien. Juste ralentir un peu, alors ?

— Ralentir ? Mais voyons Persil, ma vitesse est complètement subjective. Pour toi, je vais trop vite. Et pour d'autres, je vais trop lentement. Qu'est-ce que vous attendez donc tous de moi ? Je ne peux pas vous satisfaire tous à la fois. La question que tu devrais te poser, c'est plutôt : pourquoi suis-je si important pour toi ?

— Tu ne viens pas justement de me dire de me rappeler de la troisième loi ? Je m'en rappelle parfaitement et c'est pour ça que tu es si important. Troisième loi de Shoncor : Rien ne peut exister sans moi. Et tu oserais affirmer que tu n'es pas important ? Tu es ce qu'il y a de plus important, vu que strictement tout dépend de toi. Sans toi, il n'y aurait rien.

— T'es-tu jamais demandé si mes lois étaient justes, Persil ? Peut-être bien qu'elles ne sont que mensonge. Peut-être que je ne suis pas ce qu'il y a de premier. Peut-être que le monde pourrait exister sans moi. Peut-être qu'il existait déjà avant moi.

— Le monde sans Shoncor ? C'est une chose que je suis bien incapable de concevoir. Qu'y aurait-il alors ? De la matière seulement ? Mais qu'est-ce que la matière sans toi ? Quelque chose d'inerte, de dénué d'intérêt. Et si tu n'existais pas, comment aurais-tu pu apparaître ? Comment aurais-tu pu apparaître, si tout était statique et figé ?

— Je l'ignore, Persil. J'ignore si je suis arrivée avant la matière, ou si tout était statique avant mon arrivée.

— Mais comment serait-il possible que tout ait été statique avant ton arrivée, vu qu'alors le mot "avant" n'aurait eu strictement aucun sens ? Et surtout, comment peux-tu ne pas savoir ce qu'il en est ? N'as-tu donc pas de mémoire ?

— J'ai une mémoire, mais je n'ai pas une mémoire infinie.

— Mais si ta mémoire a des limites, et si rien ne peut exister sans toi, alors le passé n'existe pas.

— Si tu crois en cette troisième loi (ce qui, je te l'ai dit, est loin d'être une obligation) alors oui, il y a une part du passé qui n'existe plus. Ou alors, elle n'existe qu'à travers votre mémoire à vous, qui est peut-être parfois plus étendue que la mienne.

— Pour quelqu'un qui dirige le monde et notre vie à tous, tu ne sais pas grand chose.

— Non ; je ne fais qu'avancer.

— Avancer vers où ?

— Vers là où vous me mènerez.

— Dans le mur alors, probablement.

— Peut-être bien.

— Nous sommes donc libres de te mener où nous le souhaiterons ? Mais comment est-ce possible, vu que, d'après la première loi, c'est toi qui définit la liberté.

— Ce n'est pas ce que signifie la première loi. Ce qu'elle signifie, c'est que ce qui vous rend libres, c'est le contrôle que vous pouvez avoir sur moi.

— Et comment peut-on avoir du contrôle sur toi ? On ne peut ni te convaincre d'arrêter, ni d'aller plus vite, ni d'aller moins vite. Alors quoi ?

— Alors, vous pouvez ignorer mon rythme, vous moquer de moi, faire comme si je n'existais pas. Se contenter d'ignorer mon mouvement ; c'est ce que font très bien certains.

— J'aimerais bien les connaître.

— Mais tu en connais, Persil.

— Qui sont ces gens ?

— Les disciples de ma concurrente.

— Tu as donc une concurrente ? Je l'ignorais. Qui pourrait être de taille à rivaliser avec Shoncor ?

— Tu as déjà entendu parler d'elle.

— Dis-moi ; s'il te plait ! Je n'aime pas les devinettes.

— Peut être que, si tu avais pris la peine de faire connaissance avec elle, tu serais capable d'aimer les devinettes.

— Arrête de me faire mariner, s'il te plait. Dis-moi juste son nom.

— Patience. »

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