Le Spationef Coincé (26)

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Pensif, je songe encore aux dernières heures idéales que je viens de passer dans ce merveilleux hôtel. J’ai usé et abusé de tout sans complexe. C’est fou ce qu’on peut vite déraper quand l’argent n’est pas un problème à la fin du mois ! Le grand moment arrive à grands pas...

La limousine qui est passée me prendre tout à l’heure s’engage maintenant dans la dernière rue qui mène à l’accueil monumental de l’ONU. Elle s’arrête en douceur au pied d’un parterre en velours, au beau milieu d’une horde de photographes quasi-hystériques qui hurlent mon nom pour attirer mon regard. Les flashs crépitent comme une averse de grêle et j’en prends plein les prunelles. Obséquieux, un militaire en uniforme vert, au torse placardé de décorations, tend son bras pour m’indiquer la direction à suivre. Il suffirait de le mettre à un carrefour pour qu’il se charge de faire la circulation…
Je me sens bien seul au milieu de tous ces gens.
En haut de l’escalier, je reconnais Claudius Thivettius, Secrétaire Général des Nations Unies. Auguste, le mec ! Pour un peu, je l’imaginerais bien avec une noble toge lisérée de rouge, à la mode des antiques sénateurs romains. Il a l’air sympa. A ses côtés, quelques personnes que je ne connais pas mais qui semblent importantes. Je ne sais pas ce que je dois faire et j’hésite mais, heureusement, le service du protocole s’en aperçoit immédiatement et me prend en charge sans tarder. C’est ainsi qu’une jolie demoiselle décide de devenir mon guide de chien aveugle, avec moi dans le rôle de l’aveugle, bien entendu.

Elle me guide, tout en sourire et dans une langue étrangère. Illico, je comprends qu’elle me parle dans le dialecte du pays dont je suis sensé être originaire. Alors, pour couper court à tout malentendu qui pourrait m’être source de graves problèmes avec le service d’ordre, je lui coupe la parole :

-    Jolie demoiselle, accordez-moi le privilège de vous parlez dans la langue du pays qui me fait l’honneur de m’accueillir avec tant de charité, que je lui fais, flagorneur tout plein, en pensant même à me bricoler un drôle d’accent pour mieux brouiller les pistes.

 

Elle a du métier, la fifille… C’est à peine si elle a tressailli à m’entendre parler de la sorte. En attendant, elle embraye aussi sec, et me propose donc de la suivre. Je m’exécute sans rien ajouter, trop occupé que je suis à admirer une certaine partie de son adorable plastique.
Quelques instants plus tard, je suis invité à rejoindre un premier groupe de personnalités sur une petite tribune.
Cette fois-ci, c’est du sérieux : la plupart des chefs d’état des plus puissantes nations du monde sont là. Et moi, on me demande de me placer au milieu de tous ceux-là, avec le Secrétaire général Thivettius à mes côtés !
J’ignore comment ils ont fait pour être là avant moi. On ne m’a pourtant pas fait passer par l’entrée des artistes ! A moins qu’ils ne profitent des petits-fours depuis plus longtemps que moi ? Fort possible, me dis-je, prenant soudain conscience que certains sont visiblement plus égaux que les autres, ici. Ça augure plutôt mal pour la suite des évènements si on tient compte de l’accueil plus favorable réservé à ceux-là. Ça promet d'être un beau cirque, que tout cela.
Obama, roi des Zétazunidhâmerick, se fend d’un large sourire à mon intention, me tend la main en me glissant quelques mots que je ne saisis pas. Il est encore plus grand qu’à la télé.
Ses oreilles aussi..
D’autres magnats du monde, ne voulant pas rester en reste s’approchent à leur tour et me disent quelques mots, que je ne comprends pas non plus. Par pure politesse, je réponds quelques mots rapides, volontairement mal prononcés, mais avec un sourire radieux.
Au moins, je peux saisir l’importance que je représente, médiatiquement parlant, et je comprends un peu mieux ma valeur stratégique dans le plan de mes complices.

Pourtant, je me sens dépassé par les évènements, à franchement parler.  Un peu plus mal à l’aise à chaque instant quand quelque chose retient mon attention, quelques pas plus loin, dans la foule des journalistes présents.

Je fronce un peu les sourcils pour limiter l’aveuglement des flashs qui mitraillent toujours et je découvre, partagé entre soulagement et colère, Agent qui me fait des signes frénétiques !

Il est rouge de fatigue, essoufflé et le front en sueur.
A mon avis, il s’est passé quelque chose de terrible…

Je voudrais bien aller à sa rencontre mais, alors que je tente un pas hors de la tribune, Claudius Thivettius me retient d’un geste discret mais ferme ; ce n’est pas encore le moment d’aller pérorer auprès des médias. Je me dis aussi que cet honneur sera sûrement réservé à d’autres que moi, des valeurs sûres en termes de retombées médiatiques. Pas grave, mais me voilà bien embêté quand même. Et cela parce qu’Agent continue de s’agiter, presque au point d’attirer l’attention des gardes du corps qui surveillent la foule de près. Je ne comprends pas pourquoi il ne m'envoie pas de message télépathiques. Peut-être que l'ONU est équipé de systèmes de brouillages assez perfectionnés pour neutraliser ce genre de conversation ? Parce que le Secrétaire m'invite à le suivre, je fais un signe de la main, accompagné d’un soulèvement de sourcils appuyé à l'attention d'Agent. Il comprend, se calme un peu puis me fais signe de le rejoindre dès que je pourrai.

La tribune continue de se remplir et nous sommes bientôt au complet. Le Secrétaire général veille sur ses invités avec bienveillance. Il sourit sans faiblir, en vieux routard habitué à ce genre de réunions. Encore un peu de temps perdu à faire le rigolo devant les objectifs en furie et, toujours admirable en maître de cérémonie, le Secrétaire général nous invite à entrer dans l’énorme salle de conférence.

Tout le monde prend place, peu à peu, dans un brouhaha parfumé au foie gras et accompagné de quelques remugles de vins rares et capiteux…

Le temps risque de gâter sous peu pour moi ; Agent n’a toujours pas réussi à me rejoindre. Je glaglatte des genoux. Et dire que je vais devoir passer mon examen d’oral dans quelques minutes ! Je me fais tout petit mais je sais bien que je vais devoir parler à cette fichue tribune. Que vais-je dire si Agent ne peut pas me donner ses fameuses consignes ?

Le Secrétaire général, déjà au pupitre, applaudit l’auguste assemblée, autant pour la remercier d’avoir fait le déplacement que pour l’inciter à se taire pour que commencent enfin les débats.

Quelques secondes de flottement dans l’atmosphère, quelques conversations qui se terminent et puis…c’est parti !



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