Le Spationef Coincé (39)

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Pendant que je ramasse ma mandibule, tombée de surprise, il me regarde de son éternel air goguenard. Je ne sais pas comment il peut s’y prendre mais il n’a pas l’air inquiet. Au contraire, je peux lire dans ses yeux cette assurance tranquille que je n’aurais jamais.

Que je vous décrive un peu le type, quand même. C’est l’archétype du baroudeur bon chic-bon genre. Belle gueule d’amour, mâchoire carrée, petite fossette au coin des lèvres, le tout juché sur un corps d’athlète. Peau brûlée sous les soleils des tropiques. Un grand voyageur, quoi. Aventurier dans l’âme, curieux de tout, posé et calme et, pourtant, toujours prêt à toutes les expériences possibles. Rien ne l’arrête, celui-ci. Plus la tâche semble rude et plus déterminé il est !  Pour finir, tenue de rigueur : jeans délavés, usés jusqu’à la trame, tee-shirt gris clair, débardeur en cuir, chaussures tous terrains.

-    Dis-donc, fait-il, le regard rivé sur les combattants, ils vont vraiment tout casser, ceux-là… Tu crois pas qu’il serait judicieux de nous éloigner un peu ?

Il dit cela d’un ton paisible. Pour Adolphe, rien n’est jamais perdu, encore moins désespéré. C’est peut-être pour ça que cette rassurante sérénité fascine tant les femmes. Joignant le geste à la parole, il me tape brièvement sur l’épaule et m’invite à le suivre.
J’ignore où il va mais je ne suis pas inquiet : lui, il sait !

Nous nous faufilons en silence pour changer de quartier, là où le tumulte ne s’entend déjà presque plus. N’est-il pas surprenant, une fois encore, qu’il suffise de ne plus voir et ne plus entendre la réalité pour se dire que, finalement, tout va bien ? Je sais que le moment est mal choisi pour philosopher au coin de la rue, mais je me promets d’y réfléchir à mes heures perdues, un de ces jours.

J’ai du mal à suivre son pas rapide et léger. Il cavale allègrement pendant que moi, je peine. Tout autour de nous la vie semble suivre son cours normal. Enfin, presque. Comme prévu, tous les magasins sont pris d’assaut et les quelques flics présents tentent en vain de limiter la casse.
Indifférent à tout ce grabuge, Adolphe tourne enfin dans une petite ruelle qui se termine en impasse. Il pousse une porte rouillée et me pousse à l’intérieur des réserves d’un magasin de prêt-à-porter. Il semble bien connaître les lieux et se dirige d’un pas tranquille vers le fond.

-    On dirait que tu as mis un sacré coup de pied dans la fourmilière, non ? me fait-il soudain.

-    Tu parles de l’ONU ? Je n’y suis pour rien, je t’assure… lui fais-je, dépité.

-    Sérieusement ? Mais alors, pourquoi diffuse-t-on ta photo partout à la télé ?

-    Qu’est-ce que tu racontes ?

-    Bah, tu fais la Une de tous les journaux télévisés de L’État, voire, du pays entier, mon pote ! Il doit bien y avoir une raison, non ?

Médusé, j’ai de la peine à croire ce scoop. Alors qu’il m’invite à m’asseoir dans un gros fauteuil défoncé, il m’impose le silence d’un doigt posé sur sa bouche puis se dirige vers une autre porte. Moi, je tente de comprendre par quel prodige j’ai bien pu devenir célèbre à mon insu ! Enfin, célèbre… ce n’est pas le cas, peut-être ? Et si on me cherchait pour me faire la peau ?
Fatalement, je pense à Kenobi et aux Agents. A vrai dire, je ne vois qu’eux pour avoir le bras assez long et faire de moi une vedette. Voudraient-ils faire de moi le représentant de l’Humanité après avoir neutralisé toutes les grosses huiles du monde ?

-    Et…que dit-on de moi, au juste ? demandé-je à Adolphe avant qu’il ne quitte la pièce.

Il se retourne un instant, la main sur la poignée de la porte et me dit :

-    Rien de spécial, je crois. Les trucs habituels qu’on raconte à propos des inconnus…

-    Mais c’est incompréhensible ! ça revient à parler pour ne rien dire !

-    Tu sais, la télé se fout pas mal de ce qu’elle diffuse. L’important pour elle, c’est le prix d’une seconde de publicité entre deux reportages, hein ?

-    Je n’en reviens pas ! fais-je, de plus en plus surpris.

-    Ça, c’est sûr ! Parler pour ne rien dire, c’est une profession de foi, pour ceux-là. Mais quand on rajoute une prime de dix millions de dollars sur la tête d’un inconnu, je t’assure que ça fait grimper l’audimat !

-    Mais qui a bien pu faire une chose pareille ? m'étranglé-je.

Il sort enfin, éclatant de rire pendant que je prends une belle couleur salade-bien-fraîche…
Maintenant seul, j’accuse le coup et je tente de comprendre.

Un coup de ce fumier de Kenobi, c’est sûr ! Il ne peut y avoir le moindre doute. Lui seul peut avoir des idées aussi tordues. Me voilà recherché par ses mercenaires débiles, une bande d’Agents féroces et, comme si cela ne suffisait pas, me voilà aussi poursuivi par plus de trois cent millions d’américains. Me v’là frais !

Adolphe revient. Je l’entends. Il doit traîner quelque chose de lourd et d’encombrant. Lourd : parce qu’il peste comme un boucanier. Encombrant : parce que j’entends le quelque chose cogner dans les murs…
Quand il repasse le seuil de la porte, il traîne effectivement une caisse en bois, marquée de signes étranges. Mais mon ami a dû perdre la raison : il tente de faire passer une caisse en bois plus large que la porte ! Trop chamboulé pour l’aider, je le regarde faire pendant que je continue de penser à voix haute :

-    A moins qu’il ne s’agisse des Agents ?

-    Tu veux dire ceux que je suis allé visiter ? me répond-il alors qu’il tire de toutes ses forces. Aucune chance ; j’ai foutu le feu à leur centre. N’en reste plus rien, je peux te le garantir !

-    Mais qui alors ? fais-je, un peu excédé de ne pas comprendre.

-    Pas dur… répond-il. C’est moi !



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