Le Spationef Coincé (9)

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Bon, là j’avoue que je reste scotché à ma chaise. Première raison à cela : je suis toujours ligoté, malgré mes mains libres. Ensuite, quand je vois la chose que j’ai en face de moi, je suis sûr que personne n’aurait l’idée de bouger parce que tout le monde craindrait de se faire avaler tout cru…
D’ailleurs, je dois verdir à vue d’œil parce que les deux inconnus en face de moi me dévisagent avec curiosité. Je dis « deux inconnus »… si ça se trouve, ils sont bien plus nombreux que ça mais, jusqu’à maintenant, je n’en ai identifié que deux. Et encore n’en ai-je vu qu’un. Et celui-ci vient de se métamorphoser en une montagne gélatineuse infecte, un peu comme une de ces fameuses gélatines anglaises qu’on sert peut-être au dessert, à moins encore que ce ne soit un truc réservé comme ultime repas à un condamné à mort.
Et j’ai bien l’impression que c’est mon cas. En effet, je me sens condamné…à mort !
Finalement, celui qui s’appelle Spencer fait quelques pas, j’en reconnais déjà la lourdeur, et s’arrête devant la chose immonde avant de se mettre à brailler.

 

-    Mais qu’est-ce que tu as encore foutu avec ton sélecteur spectro-facial, bougre d’âne ? Non, mais regarde-moi ça ! On dirait un ectoplasme ! Tu t’es encore trompé dans le séquenceur, c’est ça ? Pourtant, ça fait au moins dix milliards de fois que je te dis de ne pas appuyer sur le bouton rouge. T’es bouché de la comprenette ou quoi ? Sûr que t’as pas ton pareil pour jouer du néon laser mais, alors, pour le reste, t’es vraiment le dernier des incapables !

Il s’empare d’un miroir qu’il pioche dans une sacoche près de lui et le présente au tas de viande immonde. Obi Wan Kenobi…ressemble à Obi Wan Kenobi après un long séjour dans une essoreuse ou pire.Et celui-ci se met à barrir des choses incompréhensibles, s’agitant en tout sens, trépignant de colère.

-    Euh…ça veut dire qu’il s’est raté, là ? demandé-je d’une voix mal assurée.

-    Il s’est raté ? Mais tu rigoles ou quoi ? Tu veux dire qu’il s’est mélangé les pinceaux, les pastels, la toile et tout le bataclan, oui ! Il ressemble à rien, ce vieux chnock ! Hé,  les gars, venez voir ! Il me faut un généticien d’urgence ! Grouillez-vous, à première vue, il n’a pas fini sa mutation, je vois des trucs pas catholiques qui lui poussent dans le dos ! Dépêchez-vous !

-    Et moi…je pourrais avoir un sac ?

-    Un sac ? Pourquoi faire ? demande-t-il, surpris.

-    Bah…je sens que je vais vomir…vite, s’il vous plaît !

Ma demande doit être stupide… il me tourne le dos, se penche sur Obi qui continue de gargouiller dans son coin.  Pour s’être raté…il ne s’est pas raté ! En plus, c’est vrai que sa mutation continue. Il change encore de couleur, de texture de peau. A mon avis, il fait des expériences sans le dire à personne, ce machin !

-    Allez me chercher Kirk ou Spock, vite ! Eux, au moins, ils savent ce qu’il faut faire. Bah oui, avec leur téléportation, ils ont l’habitude des molécules à décomposer-recomposer, tu comprends, fait-il en voyant mon air étonné.

Je n’insiste pas. D’ailleurs, je ne regarde plus : insoutenable pour un amateur de bons petits plats…
Ça commence à fourmiller tout autour d’Obi. Les deux membres de l’Entreprise déboulent, armés de gadgets que je serais bien incapable de reconnaître. J’en suis à me demander combien de temps ça va leur prendre pour remettre le Jedi en ordre de marche quand une voix s’immisce en moi.

-    Hum, hum… Que tout ceci ne nous empêche pas de poursuivre notre petite conversation mon ami, fait justement Obi d’un air un peu embarrassé. Je m’adresse à toi par télépathie. Ne t’inquiète pas, c’est une ligne cryptée, personne ne saura rien de ce que nous allons échanger. Contente-toi de penser ta réponse pour qu’elle me parvienne, d’accord ?

Je pense que la bordée d’injures que je formule alors lui arrive bien entre les deux oreilles…
Parce que, à la fin, pourquoi tout ce bazar ? Si je suis bien celui qui doit les aider à mettre la touche finale au changement d’embrayage de leur guimbarde interstellaire, pourquoi me faire subir tout ceci ?

La réponse ne se fait pas attendre :

-    Parce que tu risques de ne pas être d’accord si je te disais tout de go la nature de mon plan…

-    Mais quel plan ??? Vous me bassinez depuis des jours avec votre vaisseau en panne, vous me faites faire le tour du propriétaire, j’ai découvert une bande de tordus, ivrognes à n’en plus pouvoir, ensuite vous me montrez votre moteur de Solex en panne, et puis…me voilà ficelé comme un jambon face à un truc en pleine transformation ! Qu’est-ce que c’est que ce cirque, à la fin !?

-    Bon…tu as raison. Alors, accroche-toi ; tu risques de ne pas apprécier, ok ?

J’ai dû le vexer…il me parle avec vivacité, ce qui ne semble pas être dans ses habitudes. Et puis, aussi, je sens que maintenant, il va falloir que je m’accroche à ma chaise parce que les révélations qu’il me promet m’ont l’air bien carabiné !

-    Alors, pour aller chercher les substances au centre de ta planète, on va devoir prendre quelques risques.

-    Mais vous êtes malades ? Pression, chaleur, et tout le tintouin, vous en faites quoi ?

-    Rassure-toi, nous allons envoyer une navette spécialement conçue pour résister à tout ça. Il n’y aura que des robots à l’intérieur et tout sera piloté depuis notre base dont tu n’as encore découvert qu’une infime partie.

-    Alors, en quoi est-ce que ça devrait me choquer ? Vous me prenez pour une fillette, ou quoi ?

-    Bah… pour faire tout cela, nous allons être obligés de révéler notre présence à l’Humanité…

-    Vous n’y pensez pas ? Une bande de poivrots, des babas-cool à la noix ? Personne ne vous prendra au sérieux !

-    Il suffira de faire quelques « miracles » pour que tout cela devienne crédible aux yeux des tiens, même les plus réfractaires, crois-moi… Non, le problème n’est pas là…

-    Alors, je vous écoute ; décidez-vous une bonne fois !

-    Voilà : pour perforer le manteau rocheux de votre planète, il nous faudra un maximum d’énergie.

-    Ça, je m’en doute !

-    Certes, mais c’est bien là, la partie un peu « inacceptable » de mon projet…

-    C’est-à-dire ?

-    Eh bien, nous ne disposons pas d’assez de générateurs pour percer les premiers kilomètres de couches rocheuses…

-    Donc… ? fais-je pour l’obliger à continuer.

-    Donc, nous allons faire appel à vos compétences, voilà !

J’avoue que je ne comprends toujours pas où est le problème. Forer la terre, c’est vrai qu’on sait le faire, mais je ne vois pas ce qu’il peut y avoir de désagréable pour nous. Ma pensée est arrivée directement à Obi qui me répond alors.

-    Eh bien, après avoir étudié toutes les solutions possibles, nous avons conclu que seule une énergie terrestre, largement disponible en surface, nous permettrait de résoudre notre problème sur les premiers kilomètres de forage.

-    Parce que, pour les autres kilomètres… ?

-    Une fois dans le magma, notre navette n’aura plus besoin de la même puissance, la fluidité des roches en fusion peut être facilement modulée et les problèmes de pression interne seront facilement contournés grâce à quelques astuces magnétiques. Non, le problème n’est toujours pas là…

-    Kenobi, Jedi de mes fesses, allez-vous vous décidez un jour ! explosé-je.

Il hésite encore pendant que tous les autres continuent de s’agiter pour lui rendre une forme présentable. Il continue de ne pas me lâcher le morceau. Je finis d’ailleurs par me demander si ce type n’est pas complètement dément…

-    Non, je ne suis pas fou ! Si je l’étais, alors tous ces ahuris seraient morts depuis longtemps !

-    Alors, décidez-vous !

-    Ok, après tout… tu n’es qu’un humain !

Vraiment…je n’aime pas du tout ce genre de remarque.

-    Pour percer l’écorce terrestre sur les trente premiers kilomètres, il nous faudra faire usage des armes nucléaires de tous vos arsenaux. J’ai d’ailleurs été obligé de laisser une nouvelle nation en fabriquer quelques unes de plus pour gagner un peu de temps. Dans d’autres circonstances, j’aurais pu faire en sorte de réunir tous ces missiles primitifs mais je manque de ces fameux générateurs pour le faire. Alors, il me faut encore une fois provoquer une petite guerre entre vous pour faire exploser plusieurs centaines de bombes en des points très précis de la surface pour fragiliser le manteau et le rendre accessible à notre navette. Voilà !

J’avoue que, sur le coup, je ne comprends pas trop ce qu’il vient de me lâcher… C’est vrai que ce n’est pas tous les jours qu’un alien me dit qu’il va provoquer une nouvelle guerre. Et, compte tenu des armes, il s’agit de la Troisième Guerre Mondiale !
Incrédule, je reste assommé par la folie de cette chose. Ces extra-terrestres sont d’une cruauté absolue, insensible à toute considération à notre égard. Je me fais soudain la réflexion que ces étrangers sont effectivement…inhumains.
Sans trop comprendre pourquoi, je me lance alors dans une curieuse réflexion personnelle, me disant qu’à leur place j’agirais certainement de la même façon. Me reviennent à l’esprit les paroles qu’Obi Wan avait dites en me demandant ce que je ferais vis-à-vis d’une fourmi… Et la conclusion s’impose d’elle-même ; je l’écraserais sans seulement me préoccuper de cette vie que je piétinerais d’un geste indifférent. C’est exactement ce que ces types s’apprêtent à faire.

Leur seule ambition est de retourner dans les étoiles, pour retrouver leur propre univers, leurs planètes, leurs familles ou je ne sais pas quoi d’autres. La chose immonde en face de moi respecte mon silence. Peut-être comprend-elle le chaos en moi, suite à ses révélations. Je me sens impuissant, coupable même.
Je préfère fermer les yeux, baisser la tête et ne plus rien entendre de la démence de ce plan. Seul humain à connaître la prédiction de la destruction de l’Humanité, je ne sais plus quoi penser. Je voudrais faire quelque chose mais je sais bien que je ne peux rien, seul et emprisonné, face à des ennemis dont les technologies dépassent très largement les nôtres. Je cherche une solution, une objection, un argument pour les faire changer d’avis, mais rien n’y fait. Écouterais-je la fourmi avant de l’écraser ? Et quand bien même je l’entendrais, pourrais-je seulement la comprendre ? Me suis-je jamais posé la question de savoir le prix d’une vie d’insecte ? Non, bien sûr. Alors, comment ceux-là pourraient-ils penser autrement vis-à-vis des hommes ? Le verdict est tombé depuis longtemps, parce qu’ils ont jugé ensemble que nous ne valions rien de plus que des insectes.  

Je comprends. Oui, je comprends que je suis celui qui aura hérité le terrible secret de la fin des hommes sur Terre. Tout est limpide à présent.
Reste à savoir comment ils prétendent faire de moi le bourreau de mes semblables.

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