Le Spationef Coincé (11)

7 minutes de lecture




Le Jedi débite sa litanie, m’expliquant par le menu la manière envisagée pour mettre le feu aux poudres. Et moi d’ouvrir de grands yeux…
La première information importante, me dit-il, c’est qu’aucune de mes qualités intellectuelles n’est requise. Voilà qui ne laisse pas de me vexer un peu, je dois bien l’admettre. Moi qui m’attendais presque à être déifié grâce à mon QI surnaturel sur Terre…
A son air un peu narquois, je déduis que je suis encore au stade de l’attardé pour eux. Je me prends donc ça dans les gencives et j’avoue que, sur le moment, je m’en trouve un peu meurtri.  Obi Wan n’a pas tort quand il disait tout à l’heure que les meilleurs finissent toujours par être la proie d’un meilleur qu’eux.

Autant en profiter pour faire un pas, même tout petit, sur la voie de la Sagesse. En attendant d’être plus sage, je reste quand même stupéfait parce que, malgré le pseudo-panégyrique qu’il vient de faire de moi, mon intervention à leur bénéfice me reste obscure. Et le mot n’est pas trop fort ; pour le moment, je ne comprends rien de rien.

Ce qui est ennuyeux avec ceux qui prétendent imposer leurs lois, leurs points de vue, leurs convictions, leurs opinions, leurs religions, mais aussi leurs ambitions, leurs peurs, leurs joies, leurs larmes, bref tout ce qui peut dominer leurs pensées, le plus ennuyeux avec ceux-là, donc, c’est encore qu’ils se sentent autorisés, pour ne pas dire obligés, de faire adhérer tous les autres. De gré, pour commencer ; de force, pour finir. Invariablement.
J’étais de ceux qui pensaient que des civilisations plus évoluées auraient été dégagées de ce penchant immodéré pour la domination mais je dois bien constater, aujourd’hui,  que je ne suis qu’un doux rêveur. Ainsi, la force reste le talon d’Achille universel de toute intelligence. A croire même que cette dernière ne peut se développer sans ce violent corolaire qui ne fait, somme toute, que ralentir le processus inéluctable qui mène à la Sagesse évoquée un peu plus tôt.

Quelque part, ce n’est pas fait pour me déranger. En effet, le principal des efforts à faire pour contrecarrer une force, quelle qu’elle soit, consiste simplement à trouver le meilleur moment pour activer le meilleur bras de levier et la soumettre pour en obtenir les effets escomptés… Or, en face de moi, j’ai de véritables Tortues Ninja de la Force. Loin d’être un handicap, leur puissance me sera donc d’une grande aide… pour que je puisse les maîtriser. Puisqu’ils veulent, Kenobi en tête, me soumettre à leur projet de couper la branche sur laquelle je suis assis depuis ma naissance, ils risquent de se heurter à un problème ; moi.

Je ne suis pas un surhomme, loin de là, mais je sais déjà que je vais leur poser le plus de problèmes que je pourrais… Je ne sais pas trop bien pourquoi, mais ça me rend le sourire. L'esprit de contradiction, pourquoi pas ?  Comment dire ? Ce n’est pas que ça m’embête d’entendre ce genre de despotes. Ils peuvent bien déblatérer toutes les théories possibles et imaginables, je veux bien les écouter. En fait, je suis d’une insatiable curiosité, alors tout est bon à entendre. Ce qui fait que, au moins au départ, je suis presque toujours content de me prêter à ce genre d’exercice. Le problème, et qui se pose très vite en général, c’est que celui que j’écoute,  probablement transporté de joie et de fierté à l’idée de croiser enfin un quidam qui prend le temps de s’arrêter à ses idées, se lance invariablement dans d’incroyables explications vaseuses qui n’intéressent personne. Et ce, presque toujours aussi, parce qu’elles ne concernent que celui qui les profère.

Et je sais de quoi je parle ; j’en suis !

Je suis là, enfin je ne sais pas exactement où, mais indubitablement prisonnier d’une chaise inconfortable, saucissonné comme une dinde de Thanksgiving, et je disserte silencieusement sur des idées philosophiques et inutiles qui n’intéressent personne !

Non, tout cela n’intéresse personne !
Et pourquoi ? Pour une raison toute simple : personne ne sait ce qu’il m’arrive ! Et pourtant, le projet dont il est question et dont Kenobi me donne tous les détails en ce moment, ben… ça concerne rien moins que l’Humanité entière, soit un peu plus de sept milliards de couillons de mon genre. Alors quoi ?

Alors, je me fais soudain la réflexion qu’il faudrait peut-être en faire part, à mes congénères. C’est vrai ; ils diraient quoi, mes contemporains, si on leur annonçait, avec un souci du détail qui reste à l’honneur du Jedi, comment s’y prendre pour éradiquer la race humaine, mais aussi toutes les espèces qui résident en même temps que nous sur cette planète ? Je ne suis pas sûr qu’ils apprécieraient, et rien que l’idée de faire ce vilain tour à mes geôliers me fait bientôt sourire à pleines dents. Bien sûr, rien ne garantirait pour autant la réussite d’une Résistance d’un nouveau genre, organisée pour détruire un ennemi encore jamais rencontré et d’une puissance phénoménale mais, après tout, de simples paysans communistes ou, ailleurs, quelques poignées de producteurs d’opium ont bien tenu têtes à des forces militaires infiniment plus puissantes pour, finalement, leur faire mettre genoux à terre avant de les obliger à renoncer, non ?

Oui, il faut que j’en parle à mes contemporains. Cela va à l’encontre de mes habitudes, moi qui ne vis que dans le confort d’un anonymat jalousement entretenu mais, comme on dit, nécessité fait loi.
J’ai beau tourner le problème dans tous les sens, quand je fais le bilan de mes pensées, je me dis que je n’aimerai décidément jamais qu’on essaie de me forcer, de me contraindre, encore moins de me soumettre. Alors, je ne sais pas encore comment, mais je sais que je vais tout faire pour leur mettre leurs prétentions quelque part, bien au chaud…

J’ai pas le look d’un Navy Seal, c'est vrai, ou alors celui d'un peloton complet, mais j’ai le tempérament requis pour semer la zizanie dans leurs plans, au point d’en faire une boulette à scarabée, qui deviendra un vulgaire coprolithe, exposé dans un musée quelconque, sous les yeux rieurs des enfants qui survivront au carnage annoncé…
Na !
Je confesse qu'à cet instant je ne sais pas encore comment je vais m’y prendre pour leur nuire mais il me paraît déjà évident que, seul contre tous, je ne pourrais prétendre à rien, et surtout pas sauver le monde. Puisqu’il est bien question de ça.

Les autres, en face de moi, sont trop occupés à récupérer un faciès présentable pour leur maître vénéré et ils n’ont rien capté de mes pensées révolutionnaires. Un comble, non ? Ceci ne fait que me rendre plus déterminé. Ils sont trop sûrs de leur puissance, de leur invulnérabilité. A mon avis, ils sont là depuis trop longtemps. Les rudes barbares de l’espace ne sont plus que des soldats à l’avidité amoindrie, à la cruauté endormie, à l’insensibilité en léthargie. Autant en profiter pour faire quelques expériences fondamentales…

-    Messieurs… fais-je d’une voix un peu enrouée pour attirer leur attention.

Mais ces ahuris sont trop occupés à me tourner le dos. In petto, je me dis que je rate là une occasion en or pour me carapater sous leurs yeux mais mes liens ne sont pas de chanvre. A bien y regarder, je constate que mes chevilles et mon torses sont entravés dans des lumières bleues. Un champ magnétique ? Cela ne m’étonnerait pas. En attendant, c’est efficace et smart tout plein. Certes, cela ne fait pas mes affaires, mais je me dis que d’autres occasions se présenteront forcément. Il me suffit d’attendre et de me préparer. Les évadés d’Alcatraz doivent m’envoyer leurs affectueuses pensées.

-    Ho ! les affreux !

Rien à faire. Ils bricolent toujours. Je les comprends ; le Jedi continue sa mutation et ressemble de plus en plus à une pelletée de purée trop beurrée. Il devient liquide ! Ça ne le dispense pas de rouspéter contre tous ceux qui tentent de le rendre à son état d’origine, mais, en attendant, tous m’ignorent totalement ! Pas grave…je vais leur faire la démonstration que la race humaine est prédatrice absolue de cette planète grâce à ses merveilleuses capacités d’adaptation.
Alors, je fixe le mousquetaire des étoiles, enfin ce qu’il en reste, et je tente de localiser ses yeux. Après bien des hésitations, je pense avoir trouvé ce que je cherche et je darde mon regard de bigleux en plein dedans.
L’exercice consiste, puisque c’en est un, à protéger mon esprit de toute intrusion de la part du maître Jedi. J’agis comme dans toute aventure de bon aloi. Véritablement, je ne sais pas comment m’y prendre mais, après tout, il suffit d’ouvrir un peu son esprit à une quelconque idée pour le rendre hermétique à toute autre, non ? Et puis, il faut bien débuter quelque part. Donc, je me concentre sur ses yeux, je ne veux plus rien voir que son air stupide, avec cet effroyable vide qui s’ouvre derrière ses pupilles violettes.

D’abord inattentif, Kenobi paraît soudain alerté par une sonnerie intérieure, ou un truc de ce genre. Je vois alors son regard s’animer, et j’y vois bientôt, et dans l’ordre ; de la surprise, de l’ironie, de l’inquiétude, de la force. Beaucoup de force…
Ensuite, et mes soucis débutent réellement à cet instant ; de la fatigue, une profonde lassitude, presque de l’ennui, de l’épuisement, de l’irritation, de l’impatience.
Quand arrivent ensuite la colère puis, tout de suite après, la fureur, je commence à ressentir les premiers effets de sa véritable puissance télépathique. A présent, je sens deux mains invisibles, posées de chaque côté de ma tête et qui s’acharneraient à briser mes tempes. Terrible océan de douleur qui s’empare de moi et me ballote en tous sens. J’ai l’impression que le vieux combattant, montrant sa véritable nature, pétrie de violence et d’intolérance, tente de croiser les dix doigts de ces mains-étau, avec ma pauvre cervelle entre tout ça. J’ai de plus en plus de mal à contrer les attaques du Jedi. Bientôt, quand explose enfin sa haine, pure et totale, je n’ai plus que le temps de ressentir l’immense déchirement des méandres de mon esprit malmené puis, un instant plus tard, je déclare forfait. La force qu’il exerce contre moi est trop intense, elle me brise comme une brindille et je n’ai plus assez d’énergie pour résister plus longtemps.

Alors, les plombs sautent ; coupure électrique généralisée au centre de mes neurones à moitié carbonisés ! Brûlante sensation du bouillonnement d’une huile surchauffée où j’aurais imprudemment plongé la tête. Quelque chose de ce genre. Mes pensées se volatilisent en une myriade d’étincelles multicolores puis, dans la foulée, tombe le voile noir. Piteux naufrage dans le néant ; fusibles grillés. Comme quoi, ma première proposition pour réparer leur engin n’était pas si bête.

Suis-je réparable, moi ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Frédéric Leblog ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0