Le Spationef Coincé (14)

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Aujourd'hui, même avec un peu de recul, j'en suis toujours à me demander comment tout cela a pu arriver. C'est juste...impensable. Par soucis pour les générations à venir, je me sens obligé de tout relater.
Je forme donc, ici et maintenant, le vœu de ne rien dissimuler, de tout dire, d'en raconter le plus possible avant que ma mémoire me trahisse ou n'enjolive les faits. Ou alors, avant que je sois réduit à l'état de particules ou de plaquettes alimentaires... on ne sait jamais. 
Je vais donc remonter dans le temps, aussi loin que je pourrais m'en souvenir.

C'était il y a plusieurs mois, des dizaines de mois peut-être. Des années ? Bah oui, ça doit faire ça, peut-être bien.
En attendant, je me souviens parfaitement de ce jour où je sortais des ruines de mon logis pour me retrouver nez-à-nez avec un inconnu qui me donna un curieux engin, juste avant de prendre la poudre d'escampette. C'était un baladeur, un truc de ce genre, au moins une machine destinée à diffuser des sons par le biais d'un petit casque audio.  Pour mon cas, il s'agissait en fait d'un lecteur... de message. A peine les écouteurs posés sur les oreilles, je me suis retrouvé dans un état second, comme hypnotisé ; mon corps ne m’avait plus obéi plus dès cet instant. Et, le plus étrange, c’est que ce fut l’occasion d’une cascade de surprises. 
C’est vrai…

A commencer par le fait que je me suis directement rendu à l’aéroport pour prendre le premier vol pour Washington. Mon esprit me disait bien, mais à voix basse et sans influer sur mes actes, que c’était une idée un peu surprenante pour un type qui n’avait jamais quitté Frisco mais bon… il me fallait admettre que je pensais avec mes pieds puisque c’est eux qui décidèrent de m’emmener à l’autre bout du pays.
Qu’allais-je donc bien faire dans les rues de la capitale ? Ou, plutôt, dans les allées du Capitole parce qu’elles furent les lieux de mes premières actions. Enfin, juste après quelques menus achats chez un armurier…
J’en profite quand même pour remarquer qu’il est bien pratique, et même bien agréable entre nos chères frontières libérales de pouvoir se procurer aussi facilement  tous les engins de mort possibles et imaginables avec tant de facilité.
J’en veux pour preuve les efforts que la vendeuse fit pour me rendre la tâche aisée. Une pulpeuse blondasse un poil trop maquillée pour rester belle, certes, mais aux proportions avantageuses et savamment exposées…
Le mieux fut sans doute qu’elle ne tiqua pour aucune de mes demandes ; armes de poing en petits, moyens ou gros calibres, assorties de tous les types de dragées conçues pour ce genre de quincaillerie, mais aussi des fumigènes, des grenades assourdissantes, aveuglantes, pétaradantes… Bref, tout le matériel requis pour organiser un petit safari, au moins une petite chasse urbaine.
A vrai dire, la seule vraie préoccupation de la donzelle fut de s’assurer de ma solvabilité.
Heureusement, ce jour fut pour moi la concrétisation de rêves et d’attentes comblées de tout genre, même si mon visage n’exprima jamais la moindre hésitation ou encore le plus petit doute.
En effet, quand elle me demanda de m’acquitter de ma note, une petite somme bien rondelette qui dépassait allègrement le montant de mes revenus annuels, primes incluses, je dégainai… ma carte de paiement. Sans frémir !

Difficile d’imaginer que pour cet achat une partie de ma conscience restait assez lucide pour me conseiller de prendre mes jambes à mon cou et de me sauver à l’autre bout du monde. Et, un peu plus tard, cette même conscience me traitait de tous les noms parce qu’elle savait qu’il me faudrait des siècles pour rembourser tout ce bazar !

Mais tout ce tintamarre intérieur resta sans effet sur mon corps. Celui-ci paya à ma place, sans marquer le moindre trouble, sans paraître s’inquiéter de rien.
Je ne m’appartenais plus ! Et s’il décidait soudain d’être frappé d’incontinence ?
Mais je n’eus pas le temps de protester en silence; les surprises continuaient. Pendant que je suais à grosses gouttes mentales, mon corps tendit donc ma carte pour payer ses achats à lui.
Et là…j’aurais bien demandé à ma mâchoire de pendre comme du linge entre deux façades italiennes quand je pus constater le solde de mon compte courant qui s’affichait sur le petit terminal de la vendeuse. J’étais plein aux as, avec une somme disponible qui se terminait par une sacrée ribambelle de zéros. Et avant la virgule !

Malheureusement, mes yeux ne s’attardèrent pas sur l’écran ; il reluquèrent un court instant les poumons généreux de la jeune femme avant de se planter dans les rétines vertes de celle-ci pendant que ma voix exigeait que le tout soit livré en toute discrétion dans un hôtel dont je ne suspectais même pas l’existence !
En plus, ce devait être un hôtel constellé d’étoiles parce que la nana sembla très impressionnée. Elle se fit de plus en plus obséquieuse, peut-être impressionnée par ma prestance et mon charisme tout neuf, ou peut-être par la fortune stockée à ma banque.
Non, je suis en dessous de la réalité du moment ; cette garce me faisait carrément du rentre-dedans. Constatant cela, mon corps décida d’abuser de la situation. J’aurais bien aimé en profiter moi-même mais, quand j’entendis ma voix demander des armes plutôt que l’heure de sa fin de service, je fus très déçu.
Parce qu’en plus, il lui demandait maintenant des armes lourdes, de celles qui éveillent l’attention des Services de Lutte contre le Terrorisme !
Mais, c’était à croire que j’étais Don Juan réincarné parce que, sans la moindre hésitation, elle déclara que pour ces engins-là elle devait me présenter sa meilleure amie. En l’occurrence, sa patronne.

Cette dernière saurait assouvir toutes mes envies, y compris les plus folles et, ce, dans la plus grande opacité nécessaire pour ce genre de transaction.
Donc, je demandais bientôt de très gros calibres, pour faire de très gros trous ; armes de guerre ; munitions ; équipements divers, diurnes et nocturnes, et ainsi de suite…
Toutes mes demandes furent acceptées, sanctifiées à chaque fois par les crépitements électroniques de l’imprimante qui se chargeait de résumer mes achats en jolies facturettes. Tout y passa.
Même l’achat du véhicule blindé des rêves de mon corps...

Malgré tout, le summum fut atteint quand elles me dirent qu’elles se chargeraient elles-mêmes de la livraison, à une adresse qu’elles me communiquèrent entre deux œillades appuyées ! Il me suffirait d’attendre quelques jours, à peine. Délais qu’elles se proposèrent d’occuper au mieux…
Bien entendu, je refusai poliment.

Je me préparais à devenir assassin.
Pas maquereau !

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