Partie I - Déni (1.10)

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1.10 - Ayden Chase

[Mardi 8 septembre, 18h45]

J’avais oublié à quel point les journées de cours pouvaient être longues. Et ennuyeuses. Mais j’ai quand même tenu. Huit heures. Huit heures, les fesses assises sans bouger tantôt sur la chaise en bois dure des salles de cours, tantôt sur les chaises rembourrées mais tout aussi dures des amphithéâtres. Et je n’ai strictement rien dit. Je ne me suis pas plaint. De toute la journée. Un exploit selon Zeïa.

Mais lorsque la sonnerie annonçant les dix-huit heures retentit enfin dans les couloirs, me libérant donc de ma chaise, ma bougeotte me rattrape au grand galop. J’attrape donc rapidement mon sac et le passe par-dessus mon épaule avant de gagner la sortie. Les couloirs se remplissent petit à petit de foules d’étudiants échangeant quelques derniers mots sur les cours de l’après-midi avant de récupérer leurs affaires au casier et quitter les bâtiments des cours.

Je me félicite intérieurement de m’être dépêché afin de ne pas avoir à subir la pression du groupe et enfile la capuche de mon sweat ample par-dessus mon visage afin de passer inaperçu. C’est stupide je sais car avec un tel monde dans les couloirs, personne ne prête attention à un garçon ressemblant comme n’importe quel autre à un étudiant mais je ne sais pas pourquoi, ça me rassure quelque part.

Je franchis donc seul la double porte en verre menant à l’extérieur du bâtiment et presse le pas dans le froid vigoureux du jour tombant. Les chemins dans les jardins de la fac sont totalement déserts alors je prends le temps de choisir une playlist accrocheuse et, mes écouteurs enfoncés dans les oreilles, je traverse le campus en direction des dortoirs, dissimulé par la semi-obscurité environnante. Honnêtement, j’ai bien cru que ce premier jour ne finirait jamais. Le vent mordant de la nuit m’arrache un frisson malgré l’épaisseur de mon sweat, pourtant relevé jusque sur ma nuque.

Je me faufile habilement entre les bras d’un couple afin de franchir la porte de la bâtisse regroupant les chambres universitaires et monte quatre à quatre les marches menant au premier palier. Les portes des chambres, toutes identiques les unes aux autres, s’étalent sur le flanc gauche des couloirs avec une symétrie presque impeccable. A droite, l’un des battants menant aux douches communes s’ouvrent sur un colosse au physique impressionnant, occupé à ébouriffer ses cheveux noirs déjà en bataille, une simple serviette passée autour de la taille, mais je passe devant sans lui prêter la moindre attention et gagne ma chambre à grands pas.

Je pousse un long soupir en refermant la porte dans mon dos. Du silence… Juste un peu de silence… Enfin… Je savais que ce retour dans le système scolaire – même bref – serait une épreuve redoutable, mais je n’avais jamais réellement mesuré à quel point. Je laisse mon sac glisser par-dessus mon épaule et s’écraser sur le sol avec un bruit sourd. Un écho qui se répercute tout autour de moi de façon assez désagréable.

En quelques secondes, je me revois, huit mois en arrière, refermant derrière moi la lourde porte en bois sculptée de la maison familiale en annonçant joyeusement « Je suis rentré ». Accueilli par le visage défait de ma mère. Les larmes creusant ses yeux cernés et ses pommettes saillantes. Je revois ses yeux brillants, j’entends à nouveau sa voix brisée. Elle tente de me dire quelque chose. De m’annoncer quelque chose. Je ne l’entends pas. Je n’y parviens pas. Ce n’est pas possible…. Mon sac chute lentement de mon épaule. Tombe lourdement sur le sol. Et l’écho nous enveloppe comme une bulle elle et moi.

Non. Je secoue la tête afin de revenir à la réalité et renifle négligemment en essuyant les larmes malencontreusement échappées. Je ne veux pas revivre ça.

- Alors ? C’est comme ça qu’on accueille un poto mec ?

J’ouvre grand les yeux et plante mon regard dans le gars à la peau basanée fiché devant mon lit. Il sourit largement et tend ses bras en avant comme si j’allais y plonger en riant bêtement comme un gamin. Et c’est ce que je fais…

- Merde ! Theo ! lancé-je, hébété.

- Dans mes bras mon pote !

Il n’a rien perdu de son étreinte chaleureuse. Ses bras impressionnants me serrent à m’en étouffer.

- Putain, tu m’avais manqué ! laissé-je échapper.

- Toi aussi mec ! Mais dis-moi [Il s’éloigne un peu pour me jauger des pieds à la tête], t’as pris du muscle non ?

Je n’ai pas le temps de me vanter. Et pourtant, ça aurait aidé à me remonter le moral.

- Que dalle ! C’est toujours une même masse squelettique !

Zeïa entre dans la chambre sans même prendre la peine de demander.

- Tu es juste jalouse, fait remarquer Theo, toutes les filles vont lui tomber aux pieds ici.

- C’est déjà le cas, admet la jeune femme. On se bat rien que pour avoir la faveur d’un regard…

Theo semble sincèrement surpris et ça me blesse profondément quelque part.

- Ben mon vieux…

- Oh, t’en fais pas ! Il n’est pas doué pour ce qui est de se taper des filles ! Il a déjà du mal à leur dire bonjour…

Regard outragé. Sourire ravageur.

- Ouais, c’est pas nouveau. C’est aussi un peu pour ça que je suis là.

- Quoi ? demandé-je, étonné.

- Ouais… [Theo se laisse tomber mollement sur le matelas du lit] Parait que ce vous préparez est exigeant…

- Plutôt oui, on sort largement de notre zone de confort habituelle.

- Alors considère que je viens donner un peu de crédibilité. Et ça commence par te donner un coup de main avec les nanas. Crois-moi mon pote, la fac, quand t’es célibataire, c’est vraiment cool ! Je vais t’apprendre à profiter un peu de la vie, ça te fera du bien…

Zeïa lève les yeux au ciel.

- Pour ce qui est de profiter de la vie, on repassera…

- L’écoute pas ! poursuit Theo avec un signe de la main, t’as un physique de tombeur men, le seul truc qu’il te manque, c’est le p’tit coup d’pouce du poto au bon moment et clairement – sans me vouloir me vanter – là, je suis l’homme de la situation.

J’ouvre la bouche mais ne trouve rien à redire. Clairement, j’en doute. Et Zeïa aussi. Mais elle s’abstient de tout commentaire.

- On va faire de toi une bête de scène mon pote…

***

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