Les branches craquaient sous nos pieds, et au-dessus de nos têtes pléthore d'oiseaux de différentes tailles et couleurs sifflotaient gaiement. Que c'était bon, ce silence qui laissait sa place à la nature qui s'exprimait de la plus simple des façons, en existant et en abritant faune et flore. L'odeur du printemps flottait dans l'air, celle des feuilles mortes qui jonchaient le sol humidifié par la pluie fine de la nuit dernière, et la rosée du matin.
Je remontais la fermeture éclair de ma veste, enfouissant mon nez dans l'écharpe en laine qui réchauffait déjà mon cou. Les randonnées matinales...
Mes pas suivaient avec difficulté ceux de mon père dont les foulées étaient bien plus longues alors que je focalisai mon attention sur les épaisses racines qui, cachées sous les feuilles, pouvaient représenter des obstacles potentiels qui auraient bien pu me faire chuter.
Je m'étais mise à courir pour le rejoindre après quelques secondes d'arrêt, les yeux levés vers un pivert qui frappait le bois sans relâche, les joues rosies par la longue marche que nous avions déjà fait avant d'en arriver là.
Il m'avait intimé le silence, son index levé en travers de sa bouche. Ne pas parler. Respecter le silence de l'endroit. Il m'avait attiré par le bras, s'agenouillant à ma hauteur pour plaquer contre mes yeux clairs des jumelles à l'odeur de vieux grenier poussiéreux qu'il gardait dans un étui qui semblait dater de la guerre. Bientôt, j'avais entendu à mon oreille :
" Tu les vois? "
Comment les louper? Un troupeau de biches, et leurs petits qui se reposaient à leurs côtés dans l'herbe tendre d'une clairière en contre-bas. J'avais laissé échapper un " Oh" admiratif. La nature, dans toute sa splendeur et avait agité la tête de haut en bas pour signifier que oui alors que mes mains se plaçaient de part et d'autre des jumelles pour les tenir par moi même. Que c'était beau. Nous étions restés là à les observer quelques secondes encore avant de reprendre notre marche, ramassant au passage dans un seau de petites fleurs blanches qu'il utilisait pour en faire une liqueur chaque printemps. Il y en avait tant, juste à l'orée de la forêt. Près du sentier qui nous reconduirait à la maison.
Assise dans l'herbe humide au bord d'un sentier, encore entourée par la brume du petit jour, je me figeais soudain en apercevant l'herbe bouger juste en face de moi, à peine un peu plus loin au niveau d'une vieille souche donc l'écorce se détachait, creuse en son centre.
M'approchant en rampant presque au sol je stoppais tout mouvement, tapie contre la mousse au pied d'un sapin tel un matelas doux et accueillant.
Deux petites têtes couleur chocolat aux oreilles rondes étaient sorties de ce creux, semblant se réveiller d'un long sommeil. Leurs petits billes rondes d'un noir profond clignaient alors qu'un bâillement dévoilait quelques petites dents pointues, minuscules mais redoutables. Le poil sombre de leur dos et de leur tête contrastait avec la blancheur immaculée qui courait de leur poitrail jusqu'au bas de leur ventre, comme le plastron d'un costume. L'une d'elle se relevait sur ses pattes arrière, semblant guetter, chercher le danger ou peut être quelque chose à avaler.
Finalement rassurée, mère belette au ventre arrondi et son cher et tendre avaient repris leur petit bonhomme de chemin, fouillant autour d'eux, le museau au sol,en quête de quelque chose à se mettre sous la dent.
Je les regardais évoluer, grimper sur un rondin de bois. Leur petit nez pointu furetait ici et là, mais pas de petit rongeur à grignoter, pas plus qu'un oeuf au coeur nourissant. Les oiseaux malins, juchés à la cime des arbres, semblaient chanter leur victoire face aux petits rongeurs gourmands. L'un près de l'autre, tous deux formaient un bien beau binôme nullement perturbé par la présence humaine, si proche mais bien cachée, qui les observait avec fascination et curiosité.
Leurs pas, vifs, si légers, n'étaient aucunement perceptibles, nulle feuille ne bruissait alors qu'ils entamaient une course à travers la clairière en sautillant au dessus de l'herbe parfois haute, belotant comme pour exprimer leur joie de se dégourdir les jambes. Et ils s'éloignaient, rapetissant, s'évanouissant, disparaissant. Qu'elle était gracieuse, la traversée des belettes.