14

2 minutes de lecture

Boris a reçu de l'argent de ses grands-parents pour Noël. Un joli billet bleu de cinquante francs, sur lequel apparaissait un Petit Prince, dilapidé à l'instant. Ses parents souhaitaient le déposer sur son livret A, mais Boris vient finalement d'acheter un jeu vidéo d'occasion. Tony Hawk's Skateboarding, sur Playstation. Mes parents n'ont jamais voulu m'acheter une console. Ils considèrent le jeu-vidéo comme une perte de temps improductive véhiculant souvent de la violence, et pourraient bien ne pas avoir entièrement tort. Boris consacre parfois des après-midi à triturer sa manette les yeux figés sur l'écran, puis n'apprend rien, ne s'ouvre pas l'esprit avec Resident Evil et Zelda. Ce qui bien sûr se répercute sur ses faibles résultats scolaires. Mais ses parents portent aussi une grande part de responsabilité dans l'échec de leur fils.

Les miens se plaisent à m'imaginer dans ma peau d'adulte, différente selon le moment, parfois en juriste, l'autre jour en pharmacien comme ma tante. Heureusement que je les aie mes parents, j'ai pris conscience ces derniers jours de l'importance du rôle qu'ils ont tenu dans ma prime jeunesse. Ces vieux numéros de Pif Gadget, datant de leur enfance, qu'ils m'ont mis entre les mains avant même que je ne sache vraiment lire, ont éveillé ma curiosité et ont façonné l'adolescent épanoui que je suis, puis créé l'homme accompli que je serai. Je ne connais pas encore ma future profession, mais elle m'assurera un niveau de vie assez aisé pour réaliser mon rêve : voyager le plus possible, dans des contrées exotiques, et faire de l'humanitaire durant une année sabbatique.

Je raccompagne Boris chez lui avant le dîner. Le ciel s'assombrit déjà, l'été touchant à sa fin. Me voilà seul sur le chemin de retour. Une fois arrivé chez moi, je vais finir mon Seigneur des Anneaux. Il ne me reste qu'une vingtaine de pages. C'était long, parfois ennuyeux, mais dans l'ensemble loin d'être inintéressant.

Un attroupement de gamins m'intrigue. Leurs cris aigus d'enfants, adressés à une passante, éveillent mes soupçons...

— Barre-toi sorcière ! crient-ils de leurs voix aigües d'enfants.

La femme attaquée, la quarantaine, des cheveux d'un noir éclatant, la peau grasse, un bronzage naturel terni de reflets pâles – une sorte de Joconde renfrognée –, accélère le pas, pressée d'achever son calvaire. Ses yeux globuleux marquent de la peur et de la honte. Elle marche vite, contient ses larmes de toutes ses forces dans un silence résigné. Une immense souffrance hante ses yeux noirs tournés vers le vide. Triste spectacle... Jamais l'idée d'insulter un innocent ne m'est venue en tête. Je ne comprends pas cette espèce de pulsion qui pousse certains à la cruauté, cette absence d'empathie que je constate ici mais aussi dans les couloirs du collège, à croire que le besoin de dominer, d'humilier, est pour certains un besoin naturel dont je suis dépourvu. Mais je n'envie pas leur situation, elle pourrait causer leur perte, un jour ou l'autre...

Annotations

Vous aimez lire Frater Serge ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0