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    Ça fait toujours drôle de se réveiller ailleurs que chez soi... J'ai dormi chez Boris, déjà sur sa PlayStation, en train de jouer à Gran Turismo, comme hier soir. Pour une fois que Papa est en déplacement pour un de ses voyages d'affaires, Maman m'a autorisé à dormir chez mon ami.

    À peine je lève la tête de l'oreiller que Boris arrête son jeu. C'est l'heure du Hit Machine, son rendez-vous du samedi matin. Le générique commence...

    — Je m'appelle Charlie... Et je m'appelle Lulu... On est sur M6, pour le Hit Machine...

    Oui je connais, même si je regarde très peu. Les musiques qui y passent m'intéressent rarement.

    J'entends des cris. Une dispute éclate entre ses parents. Le père ordonne à sa femme de fermer sa gueule et la traite de grosse vache. Boris reste impassible, concentré sur son émission. Une porte claque. Les murs tremblent. MC Solaar chante en play-back son dernier tube devant une foule juvénile et faussement passionnée. La mère de Boris hurle en polonais.

    — T'inquiète pas ils font cette scène chaque week-end. Ils s'engueulent, ma mère sort en pleurant puis revient une heure plus tard. C'est comme ça depuis que mon père est au chômage...

    Il dit ça calmement, comme si de rien n'était. Le chômage... Ça me rappelle mon oncle Georges. Une drôle d'histoire. Papa en parle très peu et évite le sujet au maximum. Un malaise s'installe chaque fois que son nom est prononcé, à croire que ça réveille de sales souvenirs. Cet oncle aurait déshonoré la famille, pris du plaisir à se marginaliser juste pour faire du tort à Mamie. D'après ce qu'en dit mon père, c'était un loser – Papa parle de lui au passé, comme s'il était mort. Alors qu'il menait une scolarité chaotique au lycée, il aurait un jour fugué et ne serait jamais revenu, devenant ainsi le seul des quatre fils de Mamie à échouer son ascension sociale, tandis que les autres ont su se détacher de leurs origines ouvrières. Le peu que Papa en parle, c'est pour me mettre la pression afin que je ne devienne pas comme son frère. Il se soucie de mes résultats scolaires, limite mes sorties, m'offre des livres au lieu de jeux vidéos et surveille mes fréquentations. À ce propos, il se réjouit de notre futur emménagement à Montmerle, dans quelques mois. Mes parents y font construire une maison. Il pense qu'une fois là-bas, je ne verrai plus Boris.

    À part ça la mère de Boris menace de s'en aller, la voix déchirée, pleine de sanglots. Claquement sec de la porte d'entrée. Silence dans l'appartement. Seule la télé fait du bruit. Daddy DJ garde sa troisième place au classement des ventes de singles.

   Cette situation familiale influence le comportement de Boris à l'extérieur. Quand il lui est impossible d'appeler au secours par sa conduite agitée, il feint l'indifférence mais se laisse hypnotiser par son petit cube gris, comme si les points colorés qui illuminent sa fenêtre électrique noyaient ses pensées...

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