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    L'année 2006 se termine bien. Je viens de finir ma formation à l'hygiène, et demain je commence ma période d'essai dans le salon de Rodolphe. Il va me former au métier de tatoueur, et si tout se passe bien, il m'engage à l'issue de cet apprentissage. Pour l'instant j'apprends à accueillir la clientèle, stériliser le matériel, et bien sûr je m'entraîne. Sur des pamplemousses, sur des peaux synthétiques. Avec des boulons fixés sur le crayon afin de lui donner le poids d'une machine à tatouer. Parfois même sur Roubine ou William, avec du henné.

    Tout va bien, ou presque. Je suis en passe de réussir au niveau auquel j'en espérais le moins durant mes années scolaires : au niveau professionnel. Néanmoins je me sens défaillir, entraîné dans une chute à me demander s'il existe un fond pour l'arrêter, quitte à me blesser ou en mourir.

    Roubine vient de changer son statut sur MSN. Il est en ligne, je vais alors lui parler. Et me confier. Les amis servent à ça. Personne ne sait à ce jour que j'ai déjà tué quelqu'un. À lui je peux l'avouer. Je vais lui envoyer ce qui me passe par la tête...

    — Arthur j'aimerais te dire quelque chose...

    — Bah vas-y...

    Il ajoute un smiley, une petite tête jaune qui sourit vaguement, ça doit signifier qu'il s'apprête à m'écouter.

    — J'ai déconné. Je suis parti trop loin.

   — Comment ça ?

   — Quelqu'un est mort par ma faute.

    Sa réaction se fait attendre. Pour le relancer je lui envoie un wizz.

    — T'as bu ? T'as pris des plombs ?

    Il croit que je délire ce con...

    — J'ai tué quelqu'un je te dis !

    — Ça fait des années que tu nous tues tous, à chaque fois que tu sors une connerie.

    Il prend ça sur le ton de la plaisanterie, sûrement trop accoutumé à mon humour noir. Il écrit un message, ça doit être long vu le temps qu'il y met...

    — T'es comme t'es Dany, avec tes fantaisies, ton côté sombre, et c'est ce qui fait de toi un bon allié. Dans la bande on a toujours eu deux protecteurs : Jason parce qu'il est balaise, et toi parce que sans être balaise tu dégages un truc qui repousse les indésirables, puis on sait de quoi t'es capable quand t'es énervé. Donc surtout ne change rien. Reste comme t'es, sans toi le groupe serait trop fade, un plat sans sel.

    Inutile d'insister, il n'est pas disposé à m'entendre. Après tout il pourrait bien avoir raison, je suis très bien comme je suis. Et il voit juste car si je repense à cette nuit d'été, ce fameux soir lors duquel j'ai engagé et remporté un combat féroce, je me rends compte que sans moi toute ma bande aurait regagné son foyer tête baissée, dans la honte d'avoir essuyé des insultes sans réagir. Vincent m'a d'ailleurs confessé, deux jours après cette soirée, que ce déchaînement de violence l'avait d'abord horrifié mais ensuite soulagé, car sans lui il aurait vécu des semaines dans le dégoût de sa personne, honteux d'avoir accepté une humiliation.

   Le voilà l'enseignement de cette petite conversation sur MSN, je me suis lancé dans une quête dangereuse, inavouable, toutefois bénéfique non seulement pour moi mais aussi pour mes amis, le petit monde qui m'entoure...

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