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2 minutes de lecture

       C'est d'un ennui ce cours ! Ça fait à peine dix minutes qu'il a commencé, dix minutes écoulées comme deux heures... En plus elle rend les copies. Elle va encore me les briser, je vais avoir une sale note, c'est évident : je n'ai répondu qu'à la moitié des questions.

       — Thomas : c'est correct mais sans plus. Florent : très bien continue comme ça ! Malika : c'est bien mais il faut être plus rapide, les dernières questions n'ont pas été traitées. Dany...

        Elle prononce mon nom avec dédain, j'entends déjà sa petite morale.

        — Alors Dany il va falloir te mettre au travail, tu n'as pas lu le livre ?

       — Non.

      — Je te rappelle que depuis la rentrée t'es en quatrième, ce qui signifie que tes notes comptent pour le brevet.

      — Je m'en fous.

      — Au moins c'est clair... Tu te vois comment plus tard ? Tu penses un peu à ton avenir ? Tu sauras aligner plus de trois mots quand tu vas te vendre devant un recruteur ?

       Je hausse les épaules comme seule réponse. Elle lâche un soupire de résignation en me donnant furtivement la copie. Trois sur vingt ! Je ne pensais pas tomber si bas. Mais il est nul son livre, comment il s'appelle déjà ? Avec son nom italien... Mateo Falcone ! Il me semble que ça parle d'un Corse qui tue son fils parce qu'il a accepté une montre, c'est ce que m'avait dit Vincent avant le contrôle. D'ailleurs Vincent il a eu combien ? Je vais lui poser la question... Il m'a répondu seize. C'est une tête. Du moins en français. Pas étonnant, sa mère est prof de français, et son père un écrivain connu en Martinique. Ils le font lire depuis sa plus tendre enfance. C'est de là que lui vient son talent pour raconter des histoires. Il ira loin plus tard. Moi aussi j'irais loin. Quoi qu'en pensent mes parents, les intellos de la classe, ou mes profs comme cette Mademoiselle Langelot qui dandeline en distribuant les copies. Elle doit aimer sentir les regards éberlués des petits mecs de la classe sur ses petites fesses comprimées dans son pantalon serré.

       Oui je sais que j'irais loin, ce qui est indémontrable mais j'en suis intimement convaincu, parce que j'en ai la volonté. À l'âge adulte je ne serais pas professeur, carreleur comme mon père, standardiste comme Maman, ni même ouvrier, banquier, ou que-sais-je. J'ignore de quoi mon avenir est fait, mais une chose est sûre : je me tiendrai éloigné de ces zombies matinaux qui remplissent les bus, les métros et les périphériques, tourmentés par leur pénible journée de travail à venir, et qui tout juste rentrés à dix-huit heures anesthésient leur ennui à coups de jeux télévisés ou de sordides magazines d'actualités. Rien que d'y penser j'ai la nausée.

      Mais j'ai confiance en mon feu intérieur, cette force qui s'est réveillée en moi il y a quelques temps, quand j'ai frappé l'entrejambe de l'autre lourdaud à la sortie du cinéma, que j'assimile à un feu, qui me connecte avec ce que je suis, non pas ce que je dois être. Je ne peux évidemment parler à personne de ce feu qui s'attise quand j'en fais usage, au risque de passer pour un fou. C'est mon jardin secret. Un jardin de flammes irrigué par un déluge d'alcool...

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