2 - Corruption and justice (1/3)

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 Ici, dans le centre des affaires, on parle... affaires bien sûr. Et qui dit affaires, dit aussi magouilles et corruption. Cela rend le quartier un peu moins chic. Heureusement que tout le monde ferme les yeux sur ce qui se trame ici. Il ne faudrait pas qu'on apprenne que l'honorable voisin de palier fait du trafic, ça ferait mauvais genre.

Non, si Karmapolis est connu pour être la « cité du crime » c'est uniquement à cause de ces banlieusards qui volent les riches et qui s'entre-tuent dans les bas-fonds pour quelques produits illicites. Allons, allons, qui pourrait soupçonner un honnête avocat ou un grand médecin trahir sa conscience professionnelle pour de l'argent. Voyons, ici c'est impensable. Pourtant, c'est exactement ce qui se passe en ce moment même dans l'un des bâtiments les plus importants de la ville.

Non loin de Financial Town, dans le vieux Karma, se trouvent tous les services publics. L'imposante mairie fait face au square fleurit et sa grande fontaine illuminée. Son horloge immense en chiffre romain est acclamée tous les 31 décembre par la population de Karmapolis qui fait la fête en masse sur la place. La statue de Georges Washington trône en plein milieu de cette dernière et observe sans sourciller le bâtiment d'en face qui n'est autre que le palais de justice.

Gardé par deux énormes lions en bronze, au pied de l'immense escalier de pierre, le palais impressionne par sa splendeur. Les bas-reliefs finement sculptés sont maintenus par une dizaine de piliers gros comme des troncs d'arbres. Ils atteignent une hauteur d'au moins huit mètres et dissimulent une imposante porte en bois en ébène tout aussi finement travaillée. Le tout est habillé par des étoffes aux couleurs nationales, les fameuses bannières étoilées. Mais ce sont les bâtiments adjacents qui nous intéressent. En effet, au dernier étage du plus ancien d'entre eux se trouve le bureau du Gouverneur de Karmapolis, Estelle Isobel Simpson.

D'extérieur, Mrs Simpson est une femme simple et respectable. Elle est toujours chiquement habillée d'un costume ou d'un tailleur sombre qu'elle accompagne d'un foulard en soie. Elle est âgée d'une cinquantaine d'années et sa chevelure, crépue et grisonnante, est maintenue par une pince qu'elle change tous les jours en puisant dans son impressionnante collection. Ajoutez à cela une paire de lunettes à monture épaisse et vous lui trouvez un air d'intellectuelle.

Selon ses propres soutiens, elle est la femme de la situation pour être la Gouverneure de Karmapolis. Pour ses détracteurs, en revanche, elle ne tient son poste que par le fait qu’elle soit une femme et une personne dite « racisée ». Le combo gagnant dans ce monde ou la méritocratie se mesure à son intersectionnalité.

Ces termes sont apparus très récemment dans la société. Mais ils ont su s’imposer comme une norme à coup de propagande victimaire porté par la révolution féministe. Bref, sa couleur de peau, son sexe mais surtout, ses relations, semblent même prédire qu'elle pourrait devenir la prochaine présidente des États-Unis, rien que ça.

Cependant, Mrs Simpson n'a pas les mains aussi propres qu'on pourrait le prétendre. Si elle occupe un poste aussi important que celui de Gouverneur d'État, ce n'est pas grâce à son élection, comme on se l'imaginerait, mais bien grâce à un homme. Un homme qui se trouve justement dans son bureau en ce moment même, dans cette nuit étoilée et avec qui elle entretient une conversation très privée.

— Comment veux-tu que je ferme les yeux sur de tels agissements, Frank ? demande Estelle en tournant le dos à son interlocuteur.

— Si tu as été élue à ce poste, Estelle, fait remarquer Mamford assis dans son fauteuil derrière le bureau du Gouverneur. C'est justement pour que tu fermes les yeux !

— Enfin tout de même ! s'exclame-t-elle en pivotant sur elle-même. Tu me demande d'ignorer un triple homicide en pleine rue... et en pleine journée en plus ! Que va croire l'opinion public, hein ? Je te le demande !

La discussion semble animée depuis longtemps déjà. Les deux protagonistes s'expliquent avec force et caractère tout en gardant un calme olympien. Le bureau est plongé dans la pénombre et n'est éclairé que par les lumières du square et des buildings du centre des affaires à l'horizon. La pièce est vaste et finement décorée. Les meubles datent de l'époque victorienne et les ornements ajoutent encore plus de richesse au lieu. Les toiles accrochées aux murs semblent venir d'une époque aussi lointaine que le mobilier. Le lustre en cristal et les chandelles disposées sur quatre les quatre murs apportent la quantité suffisante de lumière pour faire briller cette décoration clinquante. Les fauteuils en bois vernis sont équipés de rembourrages en tissus brodés et aux motifs floraux.

Le bureau, quant à lui, déborde d'objets divers et autres fournitures utiles pour travailler. Un coupe papier en argent, un set de bureau en cuir noir, une sculpture abstraite en bronze fait office de presse papiers et une lampe en laiton éclaire l'espace de travail. Voici l'endroit où se passent généralement les messes basses. Celles qui font en sorte que la vérité n'éclate pas au grand jour.

— Allons, Estelle, continu Mamford en sortant un énorme cigare de la poche de sa veste. Tu sais aussi bien que moi que protéger mes intérêts, c'est aussi protéger les tiens.

— Je sais Franklin, dit Simpson en ajustant ses lunettes sur son nez et en s'appuyant sur le dossier de son fauteuil, mais si je perds ma crédibilité, je perds Karmapolis et tu sais très bien que si ça arrive, tu tombes avec moi.

— Je comprends, admet le Marionnettiste en tirant sur son cigare avant de cracher un nuage de fumée au-dessus du bureau. Mais n'oublie pas tout ce que j'ai fait pour toi... Ta campagne, c'est moi qui l’ai financée... ton élection, c'est moi qui l’aie organisée. Sans mon soutien tu serais peut-être encore en train de crouler sous les affaires de délits mineurs dans ton pitoyable cabinet d'avocat. Tout ce que je te demande, c'est de faire en sorte que mon neveu sorte de prison et soit blanchit dans cette affaire.

— D'accord, admet Estelle sans abdiquer. J'avoue que sans ton aide je ne serais pas à ce poste aujourd'hui. Mais ce poste m'oblige à représenter l'État lorsque celui-ci est concerné dans une affaire criminelle. En tuant froidement ces trois policiers, Sonny s'est mis dans une situation délicate...

— Il faut l'excuser, renchérit le Marionnettiste. Il vient de perdre sa sœur il y a quelques mois et il se sent coupable et trahit par son propre sang.

— La mort de Norah ne sera pas un argument suffisant pour que je le relâche ! La seule solution, c'est la caution.

— Pour que ma famille gagne une réputation de repris de justice ? s'emporte le parrain en se levant de son siège. Hors de question ! Les Mamford sont respectés depuis trois générations comme étant une famille de bienfaiteurs de père en fils. Si Hartweld était encore de ce monde il t’aurait logé une balle dans le crâne !

— Franklin, détend-toi, il faut trouver une autre solution. Et puis je te rappelle que le moindre de tes gestes est épié depuis les événements dramatiques qui ont secoués ton entourage. La disparition étrange de ton ancien partenaire Angelo Laursen, ta belle-sœur Nastasia qui récupère son business dans les quartiers industriels et Carnot Hill en est un bel exemple.

— Future ex-belle-sœur, rectifie-t-il en crachant un nuage de fumée au-dessus du bureau.

— Sans compter ton divorce avec Irina qui fait le bonheur de la presse à scandale ! Tu attires beaucoup trop l’attention.

— Ne me parles pas de cette harpie, dit-il en fronçant les sourcils. Cette garce veut me sucer mon fric jusqu’à la moelle. Il faut que je mette Sonny à la tête de la famille si je ne veux pas que tout mon business se retrouve entre les mains des Kowalskin. Cela fait plus d’un siècle que le nom de Mamford est indissociable de Karmapolis. Il est hors de question que cela change. C’est pour cela que tu dois sortir mon neveu de prison.

— Je comprends l’urgence de ta situation, Franklin, dit-elle pour tenter d’apaiser son vieil ami pris dans la tourmente. Ce que je veux te dire, c’est que le fisc t'observe et risque de t'épingler.

— Je paye mes impôts comme tout le monde, assure Mamford en tirant une nouvelle fois sur son cigare. Du moins, l'argent que je déclare. C'est à ça que me servent le transport urbain et le Kostar Palace à Vegas, non ?

— Oui, bien sûr, affirme la Gouverneure. Mais reste sur tes gardes et arrêtes de me mettre dans des situations aussi pénibles que celle-là.

La tension semble enfin s'apaiser entre eux et la conversation dérive sur des choses plus conventionnelles comme les pots de vin distribués par Mamford. Ils ont parlé jusqu'au bout de la nuit comme de vieux amis qui se retrouvent autour d'un verre de whisky. Finalement, Mamford rejoint sa luxueuse rame privée aux vitres teintées afin de rentrer dans sa villa située aux abords de Karmapolis.

C'est encore une nuit pleine de mystères où les gens ignorent que le véritable sens de la vie à Karma est dicté par les personnes les plus influentes de la ville. Une chose est sûre, le crime n’a pas de limites. Il ne prend ni le métro, ni le tramway mais il se balade partout tel un poison mortel s'infiltrant jusque dans les plus petites veines du corps humain. Il est comme la gangrène. Pour l'anéantir, il faudrait couper un membre et le remplacer. Y a-t-il un médecin suffisamment expérimenté pour s'occuper d'une telle opération ?

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