Le survivant

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Minuit est passé depuis un bon moment déjà. La route du Rhum semble être le bon chemin à emprunter pour atteindre vite l'ébriété. Dix shooters de rhums différents à enchaîner. A ''l'abordage'' c'est la spécialité.
Guillaume est déjà en train de retirer son T-shirt tout en essayant de garder son verre en main. Opération compliquée, qui pourrait être simplifié. Mais l'alcool à fait son effet et la logique commence à lui échapper. Le voir se tortiller pour ne pas renverser la liqueur de son récipient est assez comique.
Léa est en pleine conversation sur les grands classiques de Disney avec une troupe de filles rencontré une heure auparavant. L'éthanol la rend incroyablement bavarde la Léa, déjà que sobre, elle a la langue bien pendue la rouquine. Elle est devenue à présent une incroyable turbine à dialogue sur le Roi Lion.
Moi, ça fait un quart d'heure que je tente de serrer une fille. Ca me coûte pour l'instant deux consommations et une discussion rébarbative sur la scène locale de trip hop. Elle est plutôt mignonne. Bon elle semble être du genre à gober un peu n'importe quoi. Mais c'est bien pour ça qu'elle m'intéresse. Blagues lourdingues à part, elle me plaît bien la petite. Et puis ça fait trois semaines que je suis en chien et avec le rhum dans la tronche, je crois que je taperai dans n'importe quel orifice du moment que son propriétaire est une propriétaire.
Je sais déjà comment ça va se passer si tout se passe bien. On va parler longtemps, se chauffer, on ira chez elle pour prendre un dernier verre. Puis on baisera et demain je foutrai le camp avec la promesse de la rappeler, promesse que je ne tiendrai sûrement pas. J'appartiens donc à la sale espèce des connards. Mais j'assume plutôt bien. Surtout avec de l'alcool dans le sang.
Ma cible, qui au passage se nomme Clémentine, commence à parler d'elle. Je fais mine de l'écouter, hochant la tête à ses fins de phrases, tout en observant Guillaume qui vient de se rendre compte qu'il allait faire un rentre dedans bien gras à un mec particulièrement androgyne. Je ne peux retenir un éclat de rire. Par chance, il colle parfaitement avec la dernière tirade de Clémentine qui devait certainement se vouloir drôle. Je gobe un shooter.
Les minutes défilent, les images de cette fille à poil dans ma tête aussi. J’ai un violent afflux sanguin à l'entrejambe. J'imagine ses fesses, ses hanches et ses seins. Et mon sexe dans sa bouche. Bon sang, j’espère que je vais la baiser.
Quelques minutes (ou un bon paquet, la notion du temps est devenue hasardeuse dans ma tête) elle me propose d’allée marcher un peu. J'accepte, bien évidemment. Un dernier coup d’oeil à mes compagnons, l'un qui a certainement commencé ses blagues sur les Juifs, l'autre qui hurle que ''OUI, LE CHAPERON ROUGE SE FAIT VIOLER DANS L'OEUVRE ORIGINALE'' avant de commencer la phase suivante de la chasse. On sort.
Il fait doux, même pour une nuit aussi printanière que celle-ci. Clémentine m'emmène dans un parc avec des jeux d'enfant. On fait un peu les cons sur les différentes attractions disponibles, puis on se remet à parler. Je parle de moi. De façon romancé. Disons que mon chômage devient un job à la banque, que mon studio gagne deux pièces et qu'un soudain talent de guitariste m'a poussé au bout des doigts. Qu'importe les bobards pour un coup d'un soir. Juste ne pas en faire trop pour ne pas que ça fasse trop gros à avaler.
Ses yeux commencent à pétiller. Elle se rapproche de plus en plus sur le banc. ''ça mord'' argue la petite voix dans ma tête. Je continue de parler de mon enfance fictive. Je lui sors après des grands traits de philosophie qui font sûrement très tache avec ma personnalité. Et puis...
- Je suis fatiguée, tu me raccompagnes jusqu’à chez moi, j'habite pas loin.
Bien sûr que j'accepte. Oh, je sens bien le coup de ''tu veux monter prendre un verre ?''. On marche un bon quart d'heure (je crois) et on se retrouve dans un quartier plutôt miteux et qui fleure bon la vente de shit et les passages récurrents des poulets. On est en bas de son immeuble. Comme je l’espérais, je suis invité pour un dernier verre. J'accepte poliment, ma bite éructe.
Son studio est pas mal sombre. Propre mais sombre. ça donne une petite ambiance assez bizarre, pas vraiment rassurante en fait. Qu'importe finalement. Je remarque que les murs sont insonorisés. Des figurines à l'effigie de héros de comics trône dans la pénombre.
Elle m'apporte mon verre. On trinque. Je commence à me rapprocher d'elle. On parle un peu de choses et d'autre, sans grandes importances. Je commence à lui faire des compliments. Soudain elle me sort :
- Tu veux me baiser hein ?
Surprise. Que répondre à cela ? Quelle est la bonne réponse surtout. Je finis néanmoins par bégayer un oui pas très audible. Elle sourit.

-Je veux bien te donner satisfaction... A condition que l'on joue un peu.

Jouer ? Qu'est- ce qu'elle a derrière la tête ? Elle se lève, va vers un tiroir et en sors... Un pistolet !?
Elle me regarde, souris, puis vise un vase. Elle presse la détente. Détonation. Le vase explose.
Putain ! C'est un vrai flingue !

-Maintenant que tu as vu ça... Tu connais la roulette russe ?
Non, elle ne veut quand même pas que...
- OK, la règle est simple. Trois tours chacun. Si tu es toujours debout après ton troisième tour et que moi aussi, tu pourras faire ce que tu veux de moi. Je serai ton esclave pour aussi longtemps que tu le souhaites. Prêt ? Je commence !

Et soudainement, elle fit tourner la roulette et, sans la moindre hésitation, plaça le pistolet sur sa tempe et pressa la détente.
Un ''bing'' caractéristique de l'absence de balle se fit entendre. Elle eut l'air satisfaite et me tendit l'arme.
-Ton tour mon mignon.
Je me retrouve avec le flingue dans les mains. Je la regarde, hébété. Ce n'est pas du tout comme ça que cela devait se passer. Elle devait m'emmener chez elle, qu'on boit un verre et puis on aurait dû coucher ensemble et ensuite je serai parti comme un escroc. Pourquoi je me retrouve avec ça dans les mains et elle qui attend patiemment que son prochain tour arrive.
J’ai peur.
Je n'ai pas du tout envie de jouer à ce truc-là. Je voulais baiser, moi !
Elle me regarde me pisser dessus (presque littéralement) et me susurre:
-Tu n'as pas envie de me voir à quatre pattes te sucer le sexe? Ou me sodomiser ? Je pourrai avaler ton jus si tu le souhaites. Si tu as des désirs SM je les accepterai. Tu pourras me traiter comme la pire des salopes et moi j'en redemanderai. N'est-ce pas excitant ? Tout ce que tu as à faire pour que ce fantasme devienne réalité, c'est de tourner la roulette, pointer l'arme sur ta tempe et appuyer. Trois fois. Allez.
Quasiment un ordre ce dernier mot. Presque une sentence.
- Tu es un homme ou pas ? Si tu n'es pas capable de le faire ne serais ce qu'une seule fois, tu peux dégager d'ici. Tu as seulement une chance sur six d'y passer. Les cinq autres peuvent t’amener vers la baise la plus dingue de ta vie.
Et puis, ne trouves- tu pas cela excitant ? Mettre sa vie en jeux pour gagner quelque chose. C'est normalement une loi de base de notre monde. Les animaux mâles se battent à mort pour avoir les femelles, les soldats qui combattent pour gagner de nouveau territoire, les sports extrêmes ou la gloire ne s'acquière quand touchant du doigt la mort. Mettre sa vie en jeux, on le fait tous les jours, à des degrés moindres certes, mais qui nous dit qu'on ne va pas avoir un accident, un AVC, une rencontre létale à chaque fois que l'on sort. Rien n'est différent. Tu joues encore le hasard cette nuit. Et se battre contre le hasard est des plus excitant possible. Ne le ressens tu pas ?

J ai peur. Je ne veux pas mourir. Pas ce soir, pas maintenant. Je regarde le flingue dans ma main . J’ai l'impression que même sa lueur créée par les reflets des lampes est maléfique. J’ai l'impression d'entendre un rire sombre s'échapper de l'arme. Un rire qui se moque de moi , car je me refuse à jouer à ce jeu macabre.
Un sentiment en moi, bien dissimulé derrière la peur, germe quand même sur le terreau de l'excitation. J'essaye de ne pas y prêter attention, mais j’ai l'impression qu'une partie de moi est ''excitée''. Ce serait le sentiment dont parle cette folle ?
''Fais le''
D’où est venu cet ordre ? D'elle ? De l'arme ? De mon esprit ?
Je me retrouve avec le flingue sur la tempe. Mon corps agit mécaniquement. Mon doigt va presser la détente. Je veux l'en empêcher. Ne fais pas ça, suis-je en train de supplier à une partie de mon corps. Trop tard, voilà le doigt qui ne répond plus à mes ordres, mais à ceux d'une exaltation inconnue et presse la gâchette. Bruit.
Je suis vivant ?
Je suis vivant.

Elle semble radieuse. La joie semble avoir pris possession de la moindre fibre de son corps et son visage retranscrit bien cette apogée d'allégresse. Elle me prend l'arme de ma main qui, étonnement, ne tremble pas alors que mes jambes auraient été ne serais ce que bien en peine de me conduire jusqu’à la porte d'entrée.
Une sensation étrange commença à s'emparer de mon corps. J’avais survécu. J’ avais joué la mort et j’avais gagné. J'étais un survivant.
C'était une sensation très étrange, très abstraite, mais assez énergisante. Je me rendis alors compte que j'étais prêt pour le deuxième tour de ce jeu macabre.

Le canon tape à vide, signifiant l'absence de balle, signifiant la survie de l'hôte de cet appartement transformé en possible tombeau. Elle me tend l'objet de hasard occasionnellement létal. Je m'en empare d'une main assurée et replace l'instrument de mort contre ma tête après avoir fait tourner la roulette. Je pressais la détente sans presque aucune hésitation. Bruit. J'étais toujours de ce monde. La sensation de miraculé se ré-empara de moi, me faisant alors me sentir et c'était assez nouveau chez moi, tout puissant.

- Tu y prends goût ?
Connasse, tu connais la réponse. Tu devais savoir aussi que je n'étais pas fier de ce fait. La part de moi qui craignait toujours de trépasser me hurlait de coller un sandwich de phalange à cet énergumène et de décamper avant de figurer dans la rubrique nécrologique des prochains journaux locaux. Mais cette fibre tremblante de moi-même était faible, surtout comparé à cette sensation de puissance qui avait germé et grandit à une vitesse extravagante dans mon coeur. J'étais prêt à mettre ma vie en jeu une troisième fois. J'étais prêt à ressentir de nouveau l'exaltation du survivant.

Bang
C'est fini. J’ai joué une troisième fois. Et j'étais toujours là pour en témoigner. J’avais échappé à la mort, trois fois et je me suis alors rendu compte que je me sentais plus vivant que jamais. Cette sensation que la vie qui s'offrait devant moi maintenant, je l'avais gagné, c'était une sensation magnifique. J'étais un survivant. Un surhomme. J'étais un combattant qui avait approché la mort et lui avait filé entre les doigts comme de l'eau.
La demoiselle s'approcha de moi, l'air plus que ravie et empreint d'une touche d'excitation. Elle retira son T-shirt et s'agenouilla devant moi, susurrant ces quelques mots :
- Maintenant, je suis à toi.
Je crois que sur le moment, j’allais perdre la raison. L'envie de copuler, qui m'avait quitté lors de la macabre partie me reprit brutalement. C'était donc dans un état quasi de transe que j’enlaçais la demoiselle et commençais à goûter sa peau. Je sentais la chaleur gagner ma peau, chaque parcelle de mon corps. J'allais commencer à défaire son pantalon quand elle me murmura d'un coup :
- Je vais t'avouer un truc, le flingue était chargé à blanc de toute façon.
Quoi ?
Je sortis de ma transe immédiatement et la contempla, hébété . Le flingue n'était pas chargé ? C'était une blague.
Donc je n'avais pas vaincu la mort, pas mis ma vie en jeu. Pas un seul instant.
J’avais seulement été un joué, servant à satisfaire les pulsions sadiques de cette connasse se délectant de voir un homme trembler en pensant jouer avec la mort. Juste un jouet.
Mon poing atterrit sur son visage avant même que je ne m'en rendis compte. Elle s'écroula dans un cri. Je m'étais relevé, haletant de rage. Et cette rage n'était pas uniquement due à la sensation d'avoir été manipulé. Il y avait autre chose, une autre déception. J'avais l'impression que durant ces instants ou j'avais l'arme braquée sur ma tempe, je m'étais senti plus vivant que jamais. J'avais ressenti plus nettement la vie qu'à n'importe quel autre moment que j'avais vécu jusqu’à présent. Et en réalité, c'était du bidon. Cette incroyable sensation d'être en vie reposait sur du vent. Je me sentais trahis.
c'est d'ailleurs un truc comme ça que j’ai dû lui hurler. Elle me regardait sans comprendre. J'étais tremblant de colère. Je me mis à déambuler dans la pièce pour tenter de me calmer sous le regard perplexe de mon hôte. Je réfléchissais à toute vitesse, mais je n'arrivais pas à me fixer sur une idée précise, comme si mes pensées étaient de l'eau s'échappent entre mes doigts quand je tentais de les saisir. Finalement, après plusieurs minutes à faire les cent pas dans l'appartement et à tenter de me calmer, j'arrivais enfin à attraper une idée concrète qui ne fila pas dans l'abîme de mon cerveau. Je me tournais vers elle est lança, plus brutalement que je ne l'imaginais :
-Tu as des vrai balles ?

Elle me regarda, le visage indescriptible et acquiesça. Je lui demandais alors où. Elle se leva, fouilla dans une armoire dans sa cuisine, sortie une boite de thon qui contenait en réalité les munitions véritables du pistolet.
'' On va refaire une partie'' annonçais- je.

Je lui pris une balle des mains et chargeai l'arme.

-Une vraie partie.

Son visage s'illumina alors d'un sourire, un sourire de petite fille radieuse d'avoir reçu ce qu'elle désirait à Noël. Elle murmura quelque chose que je n'entendis pas distinctement.

Nous nous assîmes l'un en face de l'autre, les yeux dans les yeux. Je lui tendis le gun avec un simple ''Honneur aux dames''. Elle s'empara de l'arme, la main tremblante un peu, fit tourner le chargeur puis posa le canon sur sa tempe. Elle resta immobile quelques instants, puis susurra d'une voix qui n'arrivait pas complètement à masquer sa joie
''-Merci pour cette nuit.''
Elle pressa la détente.
Détonation.
Je bruit me fit bondir en arrière en me masquant les yeux de mon bras droit. Quand j'osais enfin regarder la scène, elle était étendue sur le sol dans une mare de sang. Morte.
Je regardais cette scène quelques instants, incapable d'avoir une pensée cohérente sur la situation dans laquelle je me trouvais.
Il fallait appeler la police.
Non...
J’avais mon tour à jouer.
Je pris l'arme des mains de la morte. J’y remis une balle et fit tourner la roulette. Puis je le plaçai sur ma tempe.
Presser la détente.
Rien. Clic métallique.
Je reposa l'arme.
Un rire nerveux s'empara de moi. Un fou rire. J avais survécu. J'étais vivant et elle non. J'avais gagné le droit de continuer à vivre alors que sa vie s'était arrêtée.
Cette nuit était ma nuit.

J'appelais la police et leur dis qu'une fille m'avait amené chez elle et c'était suicidé devant mes yeux. En attendant l'arrivée des hommes, je m'assis dans un coin de la pièce et contempla le cadavre. Un sourire de satisfaction me tordit le visage.
Survivre...

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