Dahlia

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Je marchais en direction du cimetière, un dahlia à la main. Sur le chemin, les gens me dévisageaient, comme si j'étais un monstre. Ils n'avaient sans doute jamais vu de gothique de leurs vies. Bon c'est vrai que je faisais dans l’excentricité avec mes fringues voyantes, mon maquillage sur tout le visage, mes bottes cloutées et mes cheveux rouges. Mais je m'en foutais de ce que les autres pensaient de moi. Rien à branler. Surtout aujourd'hui.
Je me suis arrêté dans un bar ou j’ai pris une bière. J’avais le temps. Rien ne pressait.
Normalement, je devais être en cours
Lui aussi.
Une fois ma bière finie, j’ai repris ma route. Le ciel était orageux. J'allais sûrement me prendre une averse sur le coin de la tronche. Aucune importance.
Une fois arrivé devant le cimetière, j’ai hésité un instant. A quoi cela servait- il que je vienne ici ? Ça ne changera rien. J'allais seulement me faire du mal. Peut-être qu’il valait mieux que je parte.
Bah, tant qu'à être venu, autant allez jusqu'au bout. De toute façon, je me connaissais. Si je n'étais pas venu aujourd'hui, cela aurait été un autre jour. Et puis ça m'aurait fait chier d'avoir acheté cette fleur pour rien.
Je suis donc entré dans le cimetière désert. J’ai parcouru les rangés de tombes en lisant les noms et les dates de mort. Beaucoup de personnes qui avaient vécu longtemps. Au moins soixante-dix ans en moyenne. Mais j’ai vu quelques ados et enfants. C'était triste.
Finalement, je me suis arrêté. J y étais.
Thomas Duquenne.
Mort il y a un mois. Né dix-huit ans plus tôt.
Mon ami.
Mon meilleur ami.
Mon seul ami.
J’ai posé la fleur sur la tombe. C'était sa fleur préférée.
Je me suis allumé une clope. Avant, on fumait toujours ensemble. Pas beaucoup de cigarettes. Juste une ou deux par jour. Toujours ensemble et aux mêmes heures. A dix heures du matin et une à seize heures. Et justement, il était quatre heures de l'après-midi.
Depuis qu'il était mort, j'étais passé à un paquet par jour.
J’ai senti les larmes qui commençaient à m'embuer les yeux. Je me suis retenu. Je ne voulais pas pleurer. Pas ici (en plus ça aurait ruiné mon maquillage). Il n'aurait pas voulu que je le pleure. A la limite, il aurait préféré que je me tape une bonne barre devant sa tombe. On rigolait tout le temps. Surtout lui. Il respirait la joie de vivre. Enfin, ça c'est ce qu'il montrait. En vérité, je savais qu'il était mal, qu'il souffrait. De quoi, ça, je ne le saurai jamais. Il n'a jamais voulu me le dire. Il gardait tout pour lui.
Je me demandais à quoi il a pensé en dernier, juste avant de mourir. Et à quoi il pensait au moment de s'ouvrir les veines.
Je ne lui en voulais pas d'avoir fait ça. C étais sa vie, il en faisait ce qu'il voulait. S’il se sentait mal, il avait parfaitement le droit de vouloir en finir. On n'a pas beaucoup de libertés à part celle de choisir l'heure de sa mort. Il avait fait un choix, je le respectais.
De toute façon, ça ne servait à rien de pleurer, de se morfondre ou de lui en vouloir. Ce n'est pas ça qui le fera revenir. Rien ne le fera revenir. Et puis lui en vouloir serait égoïste. On n'en veut pas aux suicidés d'être parti, on leur en veut de nous laisser seul, de nous abandonner dans ce monde merdique. Il n'y a rien de plus égoïste que ça.
Je ne lui en voulais pas, mais j'étais triste. J'étais seul. Totalement seul. Pas d'autres amis, pas de frère ou soeur, des parents séparés. Mon père était un sac à merde alcoolique et violent et ma mère une salope qui baisait à gauche à droite sans se soucier de son gosse. Non, je n'avais plus personne. J'étais seul.
La solitude.
Quand la solitude est un choix, elle ne fait pas souffrir. Au contraire, elle soulage.
Mais quand la solitude est imposée, quand on se retrouve plongé dedans sans l'avoir demandé, alors il n'y a rien de plus terrible. On souffre. Une souffrance psychique et physique.
C'est dans cette souffrance que j'étais.
Fini, les heures passées à parler de tout et de rien, à jouer de la musique ensemble, à se moquer des weshs, à peindre, à se lancer des défis tous plus stupides les uns que les autres. Tout ça, c'était fini. Maintenant, ma vie était devenue vide.
Enfin, il fallait se tourner vers l'avenir. Ne pas oublier le passé, mais ne pas vivre dedans. Juste continuer à vivre jusqu'à ce que j'en ai marre à mon tour et que je me foute en l'air. Peut-être dans trente ans, peut-être dans cinq ans, peut-être demain. Je n'en savais rien. Ce que je savais, c'est que moi aussi, je serai maître de ma mort.
J’ai quitté le cimetière et lancé mon mégot au loin. Mine de rien, j'étais resté une heure devant sa tombe.
Au moment de partir, je me suis retourné une dernière fois pour voir cette foutue tombe sous laquelle était mon ami.
Le dahlia que j'avais déposé ressemblait à une petite étoile de couleur dans ce paysage gris et froid.




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