Chapitre 10

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Rapidement, je partis me changer. Je n’avais absolument pas la tenue adéquate pour danser, surtout je voulais ne serait-ce qu’espéré battre ma sœur. Quand je redescendis, tout le monde s’était déplacé dans la salle de bal. De la musique avait déjà été lancée pour l’échauffement. Véra s’occupait de Lianna qui faisait tout pour venir danser. Je retirais alors mes chaussures et m’isolais dans un coin pour m’échauffer. Je connaissais ma sœur par cœur. Je savais qu’elle ferait exprès de commencer par une musique énergique pour éliminer un maximum d’adversaire dès le premier tour. Quand tout le groupe, réuni au grand complet, soit plus d’une vingtaine de personnes fut prêt, Iléna fit un signe de tête à Marcus, qui était proche de la chaîne hi-fi.

Quand la musique commença, je fermais les yeux et me concentrais. J’étais seule, dans le champ qui m’avait servi de piste de danse toute ma vie. Mes pieds nus glissant dans l’herbe, mon cœur battant au rythme des basses, mes cheveux virevoltant au gré du vent. Dès que je fus totalement dans l’optique de gagner, que la musique avant emplit tout mon être, j’ouvris les yeux et observais mes adversaires. Mes amis d’enfance, ma sœur, ma famille. Les seuls qui n’avaient pas rejeté la petite fille déscolarisée que j’étais. Les seuls à m’avoir accepté tel que j’étais, sans poser de question. Les musiques s’enchainèrent et je tenais bon. Certains danseurs avaient déjà quitté la piste, mais j’en fis abstraction. Je garder ma concentration au maximum sur mon rythme cardiaque, sur mon souffle. Trop concentré, je ne me rendis pas compte qu’au bout de six chansons, nous étions plus que deux. Ma sœur et moi, comme d’habitude.

Il était temps de changer de tactique. Ce n’était plus sur moi que je devais me concentrer, mais sur ma sœur. Je devrais trouver le moment où elle faiblirait pour lancer une attaque fatale. Je ne devais pas me laisser distraire ni la laisser trouver ma faille. La huitième musique commença et il était de plus en plus dur pour moi, comme pour elle, de continuer. Ma sœur le remarqua et, comme à chaque fois, lança un combo final.


– J’abandonne, soufflais-je en reprenant ma respiration.

– Tu as été incroyable, p’tit moineau.

– Iléna encore gagnante, intervint ma mère

– Oui bon ça va. Un jour j’y arriverais, j’en suis certaine.

– Je n’en doute pas un instant, reprit Iléna en souriant. Hé les gars ! On lance le missile ?

– Missile ! Missile ! Missile ! scanda-t-on tous en même temps.

– Marcus ! Met la piste 20 se ma clé USB s’il te plait.

– Tous de suite Princesse.


Je détachais mes cheveux tandis qu’Iléna refaisait sa queue de cheval. Même si nous étions toutes les deux épuisées, cette chorégraphie était incontournable. On but chacun un peu avant de revenir sur la piste de danse et d’être rejoint par l’ensemble du groupe. Cette chorégraphie, créer par Iléna et moi, uniquement pour les fins de Mort Subite, destinée à être dansé par tous le groupe. Pourtant, même si les autres étaient là, durant cette danse, Iléna et moi ne faisions plus qu’une.


– Ma dame, vous vouliez comprendre la relation que j’ai avec ma sœur, vous vouliez me voir danser en totale harmonie avec elle. C’est le moment.


Discrètement, je lui fis un clin d’œil et elle me répondit par un sourire.


(PS : je vous conseille d’écouter My Song What You Did You Know In The Dark – Fall Out Boy durant le passage suivant)


Avec Iléna, on se plaça devant le groupe, on se regarda et d’un signe de tête, on était prête. Je demandais à Marcus de lancer la musique, attrapais la main de ma sœur dans la mienne et fermais les yeux. Quand la musique se lança, le Missile était lancé. Tandis que derrière nous, les danseurs commençaient la chorégraphie, je commençais à chanter, dans notre langue secrète. Seule Iléna et les danseurs connaissaient la traduction de cette musique, parce qu’on leur avait expliqué. Cette langue qui était aussi naturelle pour moi que ma langue maternelle. Cette langue que ma mère nous avait entendue parlée toute notre vie sans jamais en comprendre le moindre mot.

Quand ce fut au tour d’Iléna de chanter, je commençais à danser avant d’être rejoint par ma sœur. Cette chorégraphie que je ne connaissais pas cœur, qui vibrait jusqu’au plus profond de mon être. Cette chanson, c’était la seule qui avait faite pour mon timbre de voix. La seule qui me permettait de chanter à plein potentiel tout en permettant à ma sœur, bien plus douée d’en faire de même. Oubliant totalement où j’étais, mais surtout en présence de qui, je renaissais de mes cendres, tel le phénix. Je n’étais plus moi-même, totalement hors de contrôle et hors du temps. Même s’il y avait tout notre groupe derrière, en cet instant, il n’y avait plus que ma sœur et moi dans la pièce. Deux monstres de la danse, deux lions libérés de leur cage, dansant en parfaite harmonie. Tel était le lien qui m’unissait à ma sœur, nos deux cœurs vibrant en rythme, l’un pour l’autre et inséparable.

Quand la chanson se termina, j’étais dans les bras de ma sœur et la regardais dans les yeux. Ma poitrine était totalement libérée de toute émotion négative. Fatiguée, je chancelai légèrement, mais ma sœur me garda contre elle.


– Hé bah, ça va ? me questionna-t-elle.

– J’ai trop forcé, je crois. Mais ça fait tellement du bien.

– Tu étais incroyable. Je n’en reviens pas.

– Merci.


Je détournais les yeux et croisais ceux de Véra. Elle était totalement hypnotisée. Ma sœur le remarqua et rigola.


– Je crois que tu ferais mieux de quitter cette salle avant qu’il ne soit trop tard, murmura-t-elle.

– Tu as raison. Je vais aller prendre l’air.


J’adressais un discret regard à Véra et sorti de la salle. J’avançais dans le couloir, lentement, et elle arriva peu de temps après. Elle attrapa mon poignet, me tira jusqu’à une salle inoccupée et me plaqua contre la porte.


– À ce point ? rigolais-je et glissant mes mains dans son dos.

– À ce point, mon amour.


Ses lèvres atterrirent sur les miennes et je la laissais faire, profitant de ces quelques minutes supplémentaires de bonheur. Quand elle fut satisfaite et moi aussi, je l’aidais à se recoiffer, mais surtout à remettre sa robe en place.


– Au fait, mon amour, je ne savais pas que tu parlais le Carandien ?

– Hein ? Je ne connais pas cette langue.

– La chanson, elle était en Carandien. Tu ne savais pas ?

– Attends, tu veux dire que le nom de ma langue secrète avec Iléna, c’est le Carandie ?

– Et oui. C’est une langue ancienne, perdue, et aujourd’hui uniquement parler par la famille royale de Carandis et donc la famille impériale par alliance.

– Donc tu as tout compris ?

– Evidement !


Je rougis, je l’embrassais une dernière fois et la laissais partir avant de me refaire une beauté. Je respirais un grand coup et partis retrouver tout le monde dans la salle de bal. En m’apercevant, Véra détourna les yeux pour ne pas rougir et j’en fis de même, retenant un sourire. Iléna m’interpella de loin et je cachais mon visage dans mes mains, mortes de honte.


– Élia ! Vous avez fait vite, cria-t-elle en Carandien.

– Tais-toi ! Ils… ils comprennent tous, Léna.

– Hein ?

– Ça alors ? Ne me dis pas que quelqu’un a enfin compris quelle langue vous parliez ? intervint ma mère.

– Et si, Madame Aubelin, répondit Elise. Vos filles parlent le Carandien, une langue ancienne, mais très prestigieuse.

– P’tit moineau, on fuit ?

– On fuit.


Sans qu’on ait eu le temps de réagir, ma mère nous bloqua. Il nous a été impossible de fuir. Nous allions être confrontés à notre passé une fois pour tout.


– Allez vous asseoir, tous de suite. Et tout le monde dehors !


La tête baissée, Iléna glissa sa main dans la mienne, mais je l’esquivais. Quand tout le groupe quitta la pièce, je me réfugiais aux côtés de Véra. La seule qui pourrait me soutenir. Iléna, qui avait aussi compris, s’assit à l’autre bout de la table.


– Bien, maintenant que je votre attention à toute les deux, vous allez me dire la vérité.

– Même pas en rêve, souffla Iléna.

– Ne me pousse pas sur ce terrain-là, Iléna. Élia ?

– Je ne dirais rien.

– Mais merde à la fin ! Que s’est-il passé ?

– Moi aussi, je veux savoir la vérité, maman ! m’énervais-je. Quand Iléna a disparu, tu m’as abandonné.

– Ce n’est pas vrai.

– Si. Ça n’a toujours été qu’elle. Iléna, l’aine intelligente avait bien plus de valeur que la pauvre petite idiote que j’étais, incapable de suivre un cursus scolaire classique.

– Si votre mère était encore là…

– Sauf qu’il est mort ! À cause de vos dettes !

– C’est à cause de toi qu’on était endetté Élia ! Comment tu crois qu’on a pu payer tous tes séjours à l’hôpital ?

– Comme si c’était de ma faute, soupirais-je.

– Maman, tenta ma sœur.

– Je ne t’ai pas autorisé à parler ! Tu en es autant responsable. Qu’est-ce qui tu as pris de faire grimper ta sœur dans un arbre alors qu’elle n’avait que six ans ?


Avec Iléna, on se rappela de ce jour-là en même temps et on rigola. Nous avions essayé de toucher le ciel, d’attraper un nuage et j’avais glissé. J’étais tombé au pied de l’arbre et m’était fracturé le bras gauche.


– Et ça vous fait rire ? Avez-vous seulement idée de la somme astronomique que Jordan a dû débourser pour racheter mes dettes ? Bien sûr que nous, ça ne vous est jamais venu à l’idée de demander.

– Alors là ce n’est pas vrai ! s’énerva Iléna. J’ai arrêté les études pour travailler, je te rappelle ! Pour t’aider à subvenir aux besoins de la famille. J’ai refusé de… c’était peut-être ça que tu voulais en fait. Si j’avais accepté, je n’aurais jamais été enlevé et j’aurais pu tout payer.

– Je ne t’ai pas élevé pour vendre ton corps, Iléna ! Je ne t’ai jamais demandé ça.

– C’est ça oui. À Élia, tu ne lui as jamais rien demandé.

– Tu es l’aîné, Iléna ! Bon sang, quand tu vas tu comprendre qu’Élia n’était pas en âge d’aider ? Et puis, je te rappelle que c’est toi qui refusais qu’elle fasse quoi que se soit. Toi qui as fait fuir tout son entourage à force d’être sur son dos. Toi qui l’as sans cesse surprotégé.

– C’est mon rôle maman ! Je suis sa grande sœur.

– Nous sommes d’accord. Sa grande sœur, pas sa mère.


Assise sur les genoux de Véra, elle entoura ma taille de ses bras. Depuis toujours, ma mère et ma sœur se disputaient. Depuis toujours, j’étais au centre de leur dispute sans que je ne puisse rien y faire. Iléna baissa la tête. À chaque fois que ma mère disait ça, je savais que c’était fini. Même en étant désormais maman, elle était toujours sur mon dos. Elle se sentait responsable de moi, comme elle était responsable de son fils.


– Vous ne comptez vraiment rien me dire ?

– Je ne peux pas, maman.

– Très bien. Élia, soit tu en parles de toi même à Véra, soit je fais écouter l’enregistrement à tous le monde pour avoir une traduction.

– Je lui en parlerais, réagissais-je aussitôt.

– Bien.


Véra remonta ses bras autour de ma poitrine et resserra sa prise. La savoir à mes côtés, me soutenant, c’était tous ce qu’importais. Ce que j’allais devoir lui raconter, notre plus gros mensonge et pourtant, la source de tous mes problèmes de sociabilité. J’allais pleurer dans ses bras en lui expliquant, mais j’étais désormais obligée de lui dire.

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