Chapitre 20

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Pendant le trajet jusqu’à chez Elena, Véra ne prononça pas le moindre mot. Quand on arriva, c’est Elise qui nous accueillit. Quand elle remarqua les yeux rougis de sa fille, elle m’adressa un regard noir.


— Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Rien qui ne vous concerne, Votre Altesse.

— Pardon ? Comment oses-tu me parler, jeune fille ? Je vois bien que ma fille ne va pas bien.

— Nous sommes venu voir Elena, pas vous.

— Sa grand-mère ? Que ce soir clair, c’est moi sa mère et…

— Tais-toi, maman, la coupa Véra. Pour une fois, tais-toi.


Sa mère s’offusqua, mais fut incapable de répondre. Véra attrapa ma main et s’éloigna d’elle. D’un pas rapide, elle m’emmena dans un salon où nous attendait Elena, assise sur un canapé. Sur la table, il y avait du thé et des gâteaux.


— Assis-toi, commença Elena.

— Je préfère rester debout.

— Ce n’était pas une question. Assis-toi.


Véra grogna avant d’écouter sa grand-mère. Elle s’assit en face d’elle, les bras croisés. En cet instant, elle ressemblait plus à une petite fille, sur le point de se faire gronder par sa grand-mère, plutôt qu’à une Impératrice.


— Pourquoi tu ne nous as pas dit que tu avais été enceinte ?

— Comment…


Véra se tourna alors vers moi et je reçus un deuxième regard noir.


— C’est Élia qui t’a tout dit c’est ça ?

— C’est moi qui pose les questions ici. Pourquoi tu n’as rien dit ?

— A quoi ça aurait servie ? J’ai perdu un enfant et je ne pourrais plus jamais retomber enceinte.

— Je suppose que tu n’en as pas non plus parlé à ta mère ?

— Pour quoi faire ? On sait toutes les deux comment elle aurait réagi.

— Tu ne fais pas d’effet non plus. Bref, nous ne sommes pas là pour parler de ta relation chaotique avec ta mère. Je me doute que tu reproches à Élia de t’en avoir parlé, mais elle voulait t’aider.

— Je sais bien, mais…

— Élia, ma grande. Tu veux bien nous laisser discuter un instant ?

— Bien sûr.


Je remerciais Elena d’un signe de tête avant de sortir du salon. J’eus à peine le temps de refermer la porte qu’Elise me tomba dessus. Elle était appuyée, contre le mur, les bras croisés.


— Maintenant tu vas me dire ce qu’il passe.

— Non. Ce n’est pas à moi de vous en parler.


Furieuse, elle attrapa mon poignet et me tira à l’extérieur de la maison. Ou plutôt, loin de sa fille et de sa mère.


— Pourquoi tu fais pleurer ma fille ?

— Comme je viens de vous le dire, ce n’est pas à moi de vous en parler. Et ce n’est pas ma faute.

— Élia…

— Sou vous étiez plus proche de votre fille, si vous ne l’aviez pas abandonné, elle vous aurait tout raconté. Mais non, elle a préféré s’enfoncer dans son malheur, taire sa douleur pour n’avoir jamais à en parler. Vous devriez plutôt me remercier pour l’avoir obligé à en parler, pour qu’elle puisse enfin passer à autre chose.


Rouge de colère, je la vis lever sa main. Sans que je parvienne à réagir, sa main atteignit ma joue suivie par une brulure. Instinctivement, je posais ma main sur ma joue pour atténuer la douleur.


— Jamais, tu n’épouseras ma fille. Jamais.

— Elise !


Derrière elle, le père de Véra avait vu toute la scène. D’un regard, il s’excusa pour sa femme avant de l’emmener loin de moi. Au moins, maintenant j’étais fixée. Elise ne m’aimait pas et serait un obstacle à mon mariage avec Véra. J’attendis là, dehors, assise dans l’heure pendant une bonne heure. Jusqu’à ce que Véra sorte enfin. Heureusement, ma joue ne faisait plus mal.


— Merci Élia.

— Il n’y a pas de quoi.

— Je t’aime, tu sais ? Je suis la femme la plus chanceuse de l’univers, d’avoir une future épouse aussi incroyable que toi.

— Ça t’a fait du bien de parler avec ta grand-mère on dirait.

— Oui. Tu avais raison, elle a bien voulu m’écouter et me rassurer. Je suis prête pour notre après-midi en couple.

— Ton sourire m’avait manqué ce matin.


Elle glissa ses mains dans mon dos et m’embrassa. Je retrouvais la femme que j’avais toujours connue et Elise n’était pas là avec son regard noir. Tout était enfin rentré dans l’ordre. Ayant encore deux heures à tuer avant d’aller au restaurant, elle décida de se promener en ville. C’était la première fois que je sortais ainsi avec Véra et je remarquais immédiatement la différence. Quand j’étais sortie avec Elena, j’avais tout de suite remarqué que les passants l’aimaient. Il lui souriait, la saluait et elle leur avait rendu toutes leurs attentions. Avec Véra, c’était différent. Il y avait des chuchotements, tout en nous regardant du coin de l’œil.


— Je ne suis pas l’Impératrice idéale, j’en conviens, commenta-t-elle comme si elle avait lu dans mes pensées. Comme tu la remarquer à ton village, les Eryenniens n’ont pas apprécié quand j’ai remis en place la loi contre les couples de même sexe.

— Pourquoi est-ce que tu la fais d’ailleurs ?

— C’est compliqué.

— J’ai tout mon temps. Tu n’entends pas le parc devant nous appelle pour aller nous asseoir ?


Elle s’immobilisa, me regarda avec incompréhension avant de rigoler. Elle avait enfin compris ma blague.


— Bonne idée. Allons nous asseoir. Mais je te raconte tout, si tu me dis comment tu as appris le Carandien.

— Marché conclu.


En souriant, je le tendis mon bras qu’elle attrapa avec ce même sourire. En silence, on marcha à travers le parc, sous les regards des passants, jusqu’à trouver une place, à l’ombre d’un arbre.


— Je ne suis vraiment pas à l’aise là, Élia.

— Rho, ça change. C’est bien aussi de sortir de son cocon.

— Mon ange…

— Ne fais pas attention à leur regard au chuchotement, d’accord ? J’ai vécu ça pendant des années, ça ne m’affecte plus. Alors, fais-en de même.

— Très bien.


Elle s’installa dans l’herbe avant de m’obliger à m’asseoir entre ses jambes, sous les regards incrédules des passants.


— Véra, soupirais-je tandis que ses bras entouraient ma taille.

— C’est bien toi qui m’as dit de ne pas faire attention au regard des gens.

— Il y a une différence entre les ignorer et leur montrait ouvertement notre relation.

— J’y peux rien si je t’aime, murmura-t-elle au creux de mon oreille, me faisant frissonner.

— Ça suffit ! réagissais-je en me levant subitement.


Véra se mit à rire. Ce rire contagieux qui me donnait envie de la rejoindre, de l’embrasser. C’est en faisant preuve de retenue que je retournais m’asseoir en face d’elle.


— Bon, il est temps de tout t’expliquer, soupira-t-elle.

— J’aimerais bien comprendre, oui.


J’appris alors qu’elle avait déjà eu une petite amie, avant de devenir Impératrice. Une certaine Athénaïs. Elle l’avait rencontrée durant ses études d’esthétique. Elle avait étudié ensemble pendant un an avant de commencer une relation qui avait quand même durée un an, sans encombre. Tout s’était très bien passé jusqu’à l’année de son diplôme, lors de sa troisième année d’étude, où tout avait déraillé. Alors que Véra commençait à envisager une relation plus sérieuse avec cette fille, celle-ci n’avait cessé de refuser de la présenter à ses parents, sous prétexte qu’elle était la Princesse de l’Empire. Contrairement à Athénaïs, Véra avait passé l’étape des présentations. Elle avait présenté sa petite amie à ses parents, alors encore au pouvoir. Elle était venue plusieurs fois au palais, y restant parfois pendant plusieurs jours. La mère de Véra avait essayé de la prévenir, mais amoureuse, ma fiancée n’avait rien entendu. Elle avait préféré faire confiance à sa petite amie plutôt que d’écouter sa mère, comme toute jeune fille de dix-huit ans. Pourtant, quand Elise avait décidé d’abdiquer et qu’Ilyan avait refusé de devenir Empereur, toute la responsabilité de la succession revenait à Véra. Elle avait tenté de discuter avec sa mère, de refuser, ne voulant pas devenir Impératrice. Après une énième dispute avec Elise, Véra était partie chercher du réconfort auprès d’Athénaïs. Mais tout ce qu’elle avait trouvé, c’était une femme qui la poussait à accepter. Une femme qui avait simulé un amour pendant presque deux ans, pour le pouvoir. Véra n’avait pu s’y résoudre. C’est à partir de ce moment-là que sa relation avec sa mère n’avait cessé de se détériorer. Elle avait perdu Athénaïs, elle était désormais obligée de prendre le trône. Son couronnement avait eu lieu dans les larmes, après avoir officiellement rompu avec sa petite amie. Folle de rage d’être ainsi évincé, Athénaïs avait fait mile et un coup bas à Véra. Blessée, mais surtout seule, elle avait fini par annuler la loi homosexuelle, sans réfléchir. Ce jour-là, elle n’avait pensé qu’à elle-même, à la douleur qu’elle ne voulait plus jamais revivre.


— Je… je ne sais pas quoi dire.

— Il n’y a rien à dire mon amour. J’ai fait ça sur un coup de tête, sans penser aux conséquences, c’est vrai, mais c’est du passé.

— Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi moi après tout ça ? Tu as annulé cette loi pour ne plus souffrir. J’arrive dans ta vie et c’est comme si rien n’avait jamais eu lieu.

— Ma mère dit qu’en amour, je suis incontrôlable.

— Elle n’a pas tout à fait tort. C’est toi qui m’as fait des avances en première.

— Je sais que c’est contradictoire après ce que je viens de te raconter. Mais j’ai eu confiance en toi dès le début. Alors qu’après Athénaïs, j’avais du mal à redonner ma confiance. Je sais que ma mère pense que je m’embarque encore dans je ne sais quelle aventure. Qu’encore une fois, elle ne me croit pas capable de réfléchir correctement. Mais je t’assure que je suis certaine de ce que je fais. Contrairement à Athénaïs, tu n’es pas auprès de moi pour le trône. Au contraire même, tu le fuis autant que tu peux. J’ai rencontré ta famille avant que tu ne rencontres la mienne tandis qu’elle m’avait fait croire qu’elle en avait une, alors qu’elle vivait seule, dans un taudis, sans le moindre sou. Je te fais confiance parce que tu ne m’as jamais menti. Et on a Lianna maintenant.


Avec ce qu’elle venait de m’avouer, je comprenais mieux la réaction de sa mère. Sa colère quand elle avait vu sa fille pleurer en pensant que c’était ma faute. Mais en même temps, elle avait exagéré. Je n’étais pas Athénaïs. Je n’aimais pas Véra pour son pouvoir, pour son trône, mais uniquement pour la femme qu’elle était. Je voulais en parler à Véra, de sa mère prête à tout pour m’empêcher de me marier avec sa fille. Mais je savais que mon intervention ne ferait que mettre de l’huile sur le feu entre Elise et Véra.

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