Chapitre 33

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De retour dans la salle de bal, Océane ne lâchait pas sa fille du regard. Véra nous rejoignit en apercevant sa tante entrer.

— Merci d’être venu, tata.

— Joyeux anniversaire, Véra. Excuse-moi pour le retard.

— Ce n’est rien.

La tante embrassa la nièce avant d’aller retrouver sa mère. Sa sœur me regardait de travers. Ce que j’appréhendais le plus, c’était la réaction d’Élise quand Véra annoncerait officiellement notre mariage. Avec l’aide de Sélina et Liva, je m’assurer que les cuisines étaient prêtes à alimenter les buffets.

— Mon ange ? m’interpella Véra une fois que tout fut mis en place.

Son bras glissa sur ma taille. Je tournais la tête sur la gauche et dus lever les yeux. Je rougis légèrement, mais repris vite contenance.

— J’aimerais faire l’annonce maintenant. Avant que les ravages de l’alcool ne commencent.

— Même la famille impériale boit beaucoup.

— Il n’y parait pas comme ça, mais mon oncle et mon père sont de grand fêtard. Crois-moi, il vaut mieux parler des choses importantes avant le début de la soirée.

— Très bien, je te soutiens, tu le sais.

Elle m’embrassa, glissa sa main dans la mienne et me tira jusqu’à l’estrade. Tous les regards se braquèrent sur nous. Je déglutis et baisse la tête.

— Nerveuse ? me questionne ma fiancée en ma rapprochant d’elle.

— Oui.

— Je peux tout arrêter si…

Je l’interromps en me mettant sur la pointe des pieds et en posant délicatement mes lèvres sur les siennes. Elles ont le gout de roses de son rouge à lèvres.

— J’ai compris, souffle-t-elle quand nos visages s’éloignent. Votre attention, s’il vous plait !

Cette fois-ci, son bras entoure mes épaules d’un geste protecteur. Tant que je serais avec elle, il ne m’arrivera rien. Voilà ce qu’elle essaie de me faire comprendre par ses gestes et ses regards.

— Comme vous le savez tous, Élia et moi entretenons une relation étroite. Et… nous avons décidé de nous marier.

Avec son pouce, elle fait tourner sa bague autour de son doigt. Elle semble bien plus nerveuse que moi. Parmi tout ce monde, une seule personne pouvait réduire à néant nos espérances. Si nous n’arrivions pas à convaincre Elise, nous ne parviendrions jamais à nous marier. Pourtant, elle semblait déterminée. Déterminée à lutter contre sa mère, contre l’Empire entier pour passer le reste de sa vie à mes côtés. Je l’observe, reléguant en fond sonore les applaudissements. J’observe les lignes de son visage, les commissures autour de sa bouche, trahissant son sourire. Sa lèvre inférieure qui glisse entre ses dents avant que sa langue ne vienne les humidifier.

— Nous avons décidé d’une date de mariage, reprit-elle.

Quand elle l’annonce, mon cœur s’emballe dans ma poitrine. Elle a choisi la date que j’avais proposée. Nous étions sur la même longueur d’onde. Celle du jour où elle m’avait demandée en mariage. Souriante, elle se tourne de nouveau vers moi. Elle lève la main au niveau de mon visage. Ses doigts glissent sur mon front, déplaçant une mèche rebelle derrière mon oreille. Ses doigts continuent de glisser les longs de ma joue, jusqu’à mon cou. Mon cœur s’emballe, tout comme ma respiration. Elle le remarqua et son sourire s’élargit.

— Est-ce que ça te convient ? murmura-t-elle.

Je bloquais mon regard sur ses doigts proches de mon visage. Mais j’en oubliais l’autre main qui se plaqua dans mon dos pour me rapprocher toujours plus d’elle. Je bloquais alors mon regard dans ses yeux. Différentes teintes de vert illuminaient son regard.

— Oui.

Elle m’embrassa à nouveau. Sous son baiser, mon ventre se tordit. J’étais la plus heureuse des femmes, dans les bras de celle que j’aime le plus.

La lumière s’éteignit, remplacée par les projecteurs colorés sur la piste de danse. Une musique entrainante commença. Le DJ avait officiellement démarré la soirée. Cette musique était l’une de mes préférés avec ma sœur. Grâce aux fêtes au village, nous avions participé à de nombreuses soirées discothèque. J’abandonnais ma fiancée et rejoins ma sœur sur la piste de danse. On chante à tue-tête. À la chanson suivante, on est rejoint par d’autres personnes, dont Véra. Elle danse avec nous. On danse n’importe comment, mais ça ne nous est égal. On s’amuse. La soirée s’enchaîne jusqu’à tard dans la nuit.

— Élia ? Je peux te parler un instant ?

Je me retournais pour découvrir Élise. Je cherchais alors Véra du regard qui me fit un signe de tête positive.

— D’accord. Allons dehors.

En silence, je la suis jusqu’aux escaliers de l’entrée. Elle s’assoit sur les marches et je l’imite.

— Ma fille semble réellement t’aimer, commence-t-elle.

— Si vous me comparez à Adélaïde…

— Non, me coupe-t-elle. Tu n’es pas comme elle. Elle a été en couple avec Véra pendant près de deux ans, mais elle n’a jamais rien fait pour elle. Alors que toi… merci pour cette soirée.

— Il n’y a pas de quoi. Je voulais juste lui faire plaisir.

— Qu’es-tu prête à sacrifier pour être auprès de ma fille ?

— J’ai déjà sacrifié beaucoup pour elle. Ma famille habite loin de Glenharm et je n’ai plus que ma mère et ma sœur.

— Ton père…

— J’aimerais ne pas parler de lui, l’interrompais-je.

— J’ai discuté avec ta mère, pour en apprendre plus sur toi. Elle m’a tout expliqué. Je comprends ce que tu peux ressentir, ma mère est morte quand j’avais ton âge. Si elle… je n’ai jamais réussi à parler d’Océane à mes enfants. Ils ne savent pas ce qu’il lui est arrivé. J’ai promis à ma fille de faire des efforts pour t’accepter, mais…

— Ais je fais quelque chose qui ne vous a pas convenue ? Je sais plus que quiconque que la famille est importée. Je ne veux pas que Véra s’embrouille avec vous à cause de notre mariage.

— Je voudrais accepter, pour elle. Parce que je n’ai pas été la mère idéale, je le sais. Mais… je vais être honnête, ce n’est pas contre toi. Véra est sur le trône. Elle a besoin d’une personne de confiance auprès d’elle, capable de régner avec elle, de l’aider dans la prise de décision, de la soutenir. Et je ne t’en pense pas capable. Tu me sembles bien trop fragile pour rester à ses côtés. La Cour…

— J’ai déjà vécu un an au sein de la Cour, Madame. Je…

— En tant que simple employé. En officialisant ton union avec ma fille, tu vas t’attirer les foudres de ses ennemies et ils sont nombreux. En te mariant avec elle, tu l’empêcheras de conclure des relations diplomatiques importantes, dont elle a besoin pour consolider son pouvoir.

— Si vous ne l’aviez pas abandonné sur le trône, lâchais-je. Elle n’aurait jamais eu à lutter autant aujourd’hui pour assurer sa légitimité.

— Tu es quelqu’un de bien, Élia. Mais la Cour est dangereuse. Elle va te transformer, elle va finir par te tuer et tu n’as pas les épaules pour les supporter.

— Et qu’est-ce que vous en savez ?

— Je suis née dans ce monde, Élia. Je suis née avec deux mères, dans une société qui reconnaissait à peine l’existence légale de ces couples. Je ne l’ai jamais dit, mais oui, j’ai subi plusieurs formes de pressions parce que j’avais deux mères. Seule Lizéa a eu le courage d’en parler. Je n’interdis pas à ma fille de se marier avec une femme, mais…

— Mais vous refusez qu’elle se marie avec moi. Votre mère était pourtant elle aussi issue du peuple.

— Sauf qu’elle, elle avait les épaules pour lutter aux côtés de ma mère. Pour devenir Impératrice avec elle. Toi, non.

Elle se leva alors et me laissa seule. Ma poitrine m’oppressait et les larmes arrivaient. Je ne pouvais pas lutter. Véra était Impératrice et je ne suis qu’une fille sans importance. Élise avait raison. Je ne devrais pas me marier avec Véra. Je devais lui laisser l’opportunité de trouver quelqu’un de mieux. Quelqu’un à la hauteur de son titre, capable de l’aider en toute circonstance. Ce dont je n’étais pas capable. Ne voulais pas être aperçu en train de pleurer, je remonte dans l’antichambre où Lianna et Anton dorment profondément. Ou du moins, c’est ce que ma fille faisait croire. Quand j’entre dans sa chambre, elle se redresse dans son lit et me tend les bras.

— Il faut dormir, bébé.

— Pleure Lia ?

Elle avait remarqué mes yeux rougis par les larmes. Sans lui répondre, je la recouchais m’allongeais à ses côtés et tire la couverture sur nos épaules. Elle posa sa tête contre ma poitrine, silencieuse. Mon téléphone dans la main, je fais défiler les vidéos sur les réseaux sociaux. En tendance, la relation amoureuse de l’Impératrice. Vidéo, image, je suis partout. Un journaliste a même réussi à trouver mon identité.

« Élia Aubelin, jeune danseuse à l’Opéra-théâtre de Glenharm, semble être l’amante de l’Impératrice. Les deux femmes ont été vues en train de s’embrasser dans les rues de la Capital. Elles ne se cachaient pas. Selon une source anonyme, Élia Aubelin n’a pas encore dix-huit ans. Sa famille habiterait dans un petit village modeste du nom d’Edel. Hormis quelques difficultés financière, scolaire et la mort de son père, Thomas Aubelin, quand elle était enfin, cette jeune fille est sans histoire. Malgré des commentaires positifs sur cette jeune fille qui a passé de nombreuses heures à aider à l’orphelina d’Edel, est-elle celle qu’il faut à l’Impératrice ? Une femme qui a interdit les couples de mêmes sexes quelques années auparavant. Une femme qui a renié les convictions de sa grand-mère, la grande Elena. Une femme qui à de mauvaises relations avec son frère, le Prince Ilyan et sa mère, l’ex-Impératrice Élise. L’Impératrice Véra Stinley ne fait-elle pas encore une erreur de jugement en affichant ouvertement sa relation avec cette jeune fille banale, mineure qui plus est. Il faudra faire attention à ce que l’Impératrice n’exerce pas de pression sur cette jeune fille, profitant de son statut ainsi que de la minorité et naïveté d’Élia Aubelin.  »

Le journaliste s’acharnait sur Véra. À cause de moi, sa réputation allait en prendre un coup. À cause de moi, parce que j’étais banale, sans histoire et mineure, Véra risquait de voir son autorité et sa capacité de jugement remis en cause. Je continuais ma lecture avec les commentaires de l’article, bien plus virulent.

« C’est de l’abus de pouvoir et du détournement de mineur. »

« Elle n’aurait jamais dû monter sur le trône. C’est le Prince Ilyan qui aurait dû devenir Empereur. »

« Elles sont mignonnes sur la photo. Un joli petit couple heureux. Laissez-les donc vivre en paix. Impératrice ou non, tout le monde devrait avoir le droit à une vie privée qui reste privée. Tout le monde devrait avoir le droit d’aimer qui ils veulent.

« Depuis le début, je la sens pas, celle-là. Je le savais. Elle ne fait qu’erreur sur erreurs. Elle devrait être éloignée du pouvoir avant qu’il ne soit trop tard. »

« J’ai déjà croisé Élia Aubelin à l’Opéra-théâtre. C’est une excellente danseuse, simple et très agréable. »

Mes larmes avaient repris. Elles coulaient à présent dans mon cou. J’essayais d’être discrète, pour ne pas réveiller ma fille, mais celle-ci releva la tête. Elle sécha mon visage puis se lova un peu plus contre moi, grimpant presque sur mon ventre.

— T’aime Lia.

— Je t’aime aussi, p’tit chat.

— Élia ?

Dans l’antichambre, je reconnus la voix de Véra, elle me cherchait. Je remontais un peu plus la couverture. Je ne voulais pas qu’elle me trouve. Je ne voulais pas qu’elle me voie pleurer. Mais Lianna l’appela et elle entra dans la chambre.

— Qu’est-ce que tu fais là ?

— Je suis fatiguée, mentis-je en lui tournant le dos.

— Va te coucher alors.

Je l’entends se rapprocher. Ses talons claquent sur le parquet de la chambre de notre fille. Pourquoi fallait-il qu’elle soit aussi prévenante avec moi ? Je n’arrivais pas à m’imaginer vivre sans elle. Je devais libérer la place, pour quelqu’un qui serait mieux pour elle. Mais je n’y arrivais pas. J’avais besoin d’elle à mes côtés, je ne pouvais me détacher. Elle finit par s’asseoir sur le lit. Elle caressa mes cheveux et mes sanglots reprirent.

— Qu’est-ce qu’il se passe, mon ange ?

— Lia pleure, mama, ajouta Lianna.

— Et toi, tu devrais dormir. Suis-moi, Élia.

Véra repoussa la couverture, attrapa ma main et m’obligea à sortir du lit. Elle embrassa Lianna, la borda et on sortit de la chambre. Je m’assis sur le canapé et ramena mes genoux contre moi. Véra s’assit à son tour et me prit dans ses bras.

— Parle-moi, mon ange.

— Regarde par toi-même.

Sans lui adresser le moindre regard, je lui tends mon téléphone. La page de l’article y est encore ouverte. Silencieuse, elle lit tout avec attention. Elle finit par poser mon téléphone sur la table.

— Pourquoi tu lis ça ? s’énerva-t-elle. Pourquoi tu t’empoissonnes l’esprit avec des…

— Parce que ta mère refuse catégoriquement qu’on se marie ! Parce que je ne suis pas à la hauteur pour être à tes côtés. Les journalistes ont déjà trouvé mon identité, Véra et ils s’acharnent sur toi. Je ne veux pas causer ta perte. Je ne veux pas…

— J’ai fait des erreurs, je ne suis pas la meilleure des Impératrices, je sais. Mais ce dont je suis certaine, c’est que je t’aime. Et ça, ce ne sera jamais une erreur. Fais-moi confiance, mon ange. Ignore ceux qui ne m’aiment pas, ignore ma mère, pense à nous. À notre famille.

— Je ne peux pas. J’ai toujours vécu dans la haine et le rejet des gens. Je pensais enfin être accepté à tes côtés, mais on me rejette encore. Ton peuple, ta mère, j’en ai assez. J’en ai assez de ne pas être considéré à ma juste valeur. J’en ai assez d’être la cause de tous les problèmes. Il faut être réaliste, Véra. On n’a rien à faire ensemble. Tout le monde le dit, ta mère la première.

— J’en ai rien à foutre de ce que ma mère pense ! s’agace-t-elle. C’est toi le plus important pour moi et ça ne changera jamais.

— C’est bien là le problème, repris-je plus calmement. L’Empire devrait être plus important que moi.

— Parce que tu crois vraiment que mes grand-mères accordaient plus d’importance à l’Empire qu’à leur couple ? Qu’à leur famille ?

— Je ne peux pas lutter, Véra. Ni contre ta mère ni contre l’opinion publique. J’en suis incapable.

— Je serais là pour ça, bordel ! Je serais toujours là pour te soutenir, quoi qu’il arrive.

— Je suis désolée. Je croyais être capable d’assumer, mais en fais non.

— Putain Élia ! elle se leva subitement, me faisant sursauter. Sérieusement ? Tu vas vraiment me faire ça aujourd’hui ? Alors que je viens d’annoncer notre mariage. Qu’est-ce que ma mère t’a dit pour te faire changer d’avis ? Elle devait faire des efforts pour t’accepter, elle me l’avait promis.

Mes larmes reprirent et je baissais la tête. J’étais trop faible, trop inutile. Je n’étais pas de taille à être la femme de l’Impératrice. Je ne pouvais pas l’être, je n’en avais pas le droit. Sans plus rien dire, elle agrippa mon poignet et me tira jusqu’à la salle de bal. Elle était en colère, contre moi, contre sa mère, contre elle. Et tout ce que je pouvais faire, c’était subir. Attendre qu’elle se calme et partir. J’étais aussi déchirée qu’elle, mais juste plus réaliste.

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