Chapitre 7

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Au petit matin, ce fut des claquements de sabots qui la réveillèrent.

Carlo, pensif, faisait les cent pas sur le sol sec et gelé. Il marmonnait ce qui ressemblait à des menaces. Son grand corps puissant lorsque la créature faisait rouler ses muscles. Son regard n’avait plus rien de doux ni d’agréable, au contraire, il était devenu plus froid. À-demi réveillée, Isadora remarqua de nombreuses cicatrices dans son dos.

Il ne les avait pas il y a quelques jours… songea la petite, inquiète pour son sauveur.

Isadora s'assit, grimaçant en sentant ses muscles se délier. La petite observa longuement le manège du centaure, se demandant ce qu'il se passait et comment il l'avait retrouvée, d’où venaient les cicatrices, puisque la forêt se trouvait beaucoup plus loin au sud. Ici, sur le bord d'un chemin de pierres grises et tristes, les seuls éléments se rapportant à la forêt étaient les quelques arbres bordant les champs... Et ce cerf décarcassé à côté des restes du feu. La pauvre bête avait dû servir de dîner au gigantesque être mi-homme mi-cheval. L'odeur de la chair en décomposition agressa ses narines. Peu habituée à l'odeur des animaux morts, elle tenta de calmer les protestations de son corps face à cette vue répugnante. Le bord du chemin était teinté de rouge et la bête, ouverte sur le flanc, donnait un jolie vue des entrailles plus ou moins présentes du pauvre cervidé. Le pire était certainement les yeux de la pauvre créature, encore si expressifs… N'en pouvant plus, Isadora se détourna et vomi dans l'herbe. Le centaure se retourna vers elle et la regarda un instant, le regard vide.

一 Ah, tu es réveillée ! lâcha-t-il. Isadora continua à l'observer, avec des yeux ronds.

一 MaÏ est venue me chercher... Nous autres centaures sommes très habiles au maniement des armes. Aussi, elle veut que je t'apprenne à te défendre.

Sans attendre sa réponse, il lui tendit un bol de terre cuite rempli d'un bouillon de plantes.

一 C'est infâme, mais ça donne beaucoup d'énergie, explique-t-il, avant de se tourner vers un des arbres sur le bord du chemin et de dessiner une cible sur le tronc.

La mixture était effectivement imbuvable, mais elle se força à tout boire, par politesse et surtout car elle avait bien compris que s'abstenir de nourriture était mauvais pour la santé. Tout en mangeant, elle se demanda si ce n’était pas la doctoresse qui l’avait ainsi blessé. Une fois qu'elle eût fini, Carlo lui tendit un petit arc et des flèches.

一 Le tir à l'arc est un art souvent méprisé dans les combats, car il oblige une certaine distance avec l'ennemi. On l'appelle parfois "l'arme des lâches" à cause de cela. S'il ne te servira peut-être pas, je vais tout de même t'apprendre l'art de son utilisation, afin de développer ta précision.

L'arme à la main, la brunette fixa la marque blanche sur le tronc avant de regarder le centaure.

一 Je ne sais pas comment le tenir, murmura-t-elle.

Soupirant, l'être mi-homme mi-cheval se pencha vers elle et plaça l'arc et la flèche dans les mains de la fillette, déplaçant doucement ses doigts et ses bras pour qu'elle soit en bonne position.

一 Maintenant, tu respires calmement et tu tires.

Mais la flèche tomba au sol. S'ensuivent alors des dizaines - des centaines - d'essais, tous soldés par des échecs. La nuit tombait doucement lorsqu'une flèche éteignit la cible. En plein centre. Galvanisée, Isadora recommença, encore et encore. Atteignant sa cible presque à chaque fois. L'arbre fut bientôt pourvu d'une nouvelle branche composée de flèches imbriquées les unes aux autres tandis que certaines se retrouvaient éparpillées sur le sol boueux, tout autour. A cours de flèches et les bras douloureux, elle se retourna alors pour voir que le centaure avait disparu. Il n'y avait plus personne. C'était le calme plat.

一 Carlo ? appela-t-elle ? Monsieur le Centaure ?

Elle attendit un peu, mais la présence d'un arc et d'un carquois à se taille, ainsi que de plusieurs dagues lui indiqua qu'il ne reviendrait pas. Il lui avait donné les bases, désormais, elle devrait se débrouiller seule.

Ramassant en grommelant les vestiges du "campement", elle décida de continuer sa marche. Avec un peu de chance, elle trouverait une auberge, un petit travail, puis pourrait s'acheter un cheval ou un âne pour aller plus vite. Ensuite, elle rejoindrait le port, vendrait l'âne et embarquerait comme mousse. Elle soupira tout en marchant. Tout cela prendrait du temps, et, en plus, elle avait les Dieux Maléfiques aux trousses.

Comme s'ils étaient derrière elle, la petite se mit à courir, jusqu'à l’épuisement. Puis elle fit une pause, pendant laquelle elle continua à s'entraîner au tir à l'arc. Puis elle reprit sa marche en chantonnant un air que son père entonnait lorsqu'il travaillait, avant de continuer sur une chanson que sa mère sifflotait en cuisinant, enchaînant sur les comptines pour enfant et les pamphlets populaires entonnés par les ouvriers.

Elle continua ainsi, dansant, chantant, sifflotant, se parlant à elle-même, courant, sautillant... Elle mettait un point d'honneur à rester de bonne humeur et à garder une bonne forme. Qui sait ce qui l'attendra ? Plus elle marchait, moins elle souffrait de mal de pieds, plus elle chantait, moins elle oubliait sa ville... Sa ville qui l'avait rejetée, et qu'elle ne reverrait sans doute pas. Sans doute même jamais... Devant elle, se trouvait l'horizon, et elle l'atteindrait s'il le fallait pour sauver les Dieux. Et pour devenir puissante à son tour.

一 Monstre, monstre, monstre... chantonnait-elle, ricanant, bientôt, ce sera toi que l'on traitera de monstre... Brutus, Brutus... Tu ne seras jamais Empereur ! Nous, on a besoin de quelqu'un d'intelligent ! Mais, perdue dans ses rêves de gloire, de puissance et de vengeance, elle ne vit pas le tronc d'arbre barrant la route. Elle trébucha, tomba et...

CRAC !

Les larmes lui vinrent aux yeux. Sa cheville lui faisait si mal qu'elle fut tentée, un instant, de se laisser aller aux pleurs. Mais il fallait avancer. Ce qu'elle fit, boitillant, sans plus sourire, sa cheville craquant parfois sous ses pas, elle continua à marcher sur la voie pavée de pierres grises et tristes. Mais au bout de quelques instants, il lui parut évident qu'il fallait faire une pause. Assise dans l'herbe, au bord du chemin, elle sortit quelques-unes de ses provisions volées dans la cuisine de la ferme et croqua à pleines dents dans un fromage.

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