Vers le coup fatal ?

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A la tombée de la nuit, hier me vint l’idée de faire une partie d’échec en ligne.

Alors que je finissais la mise en place la sonnette de la porte d’entrée se mit à sonner.

Je n’attendais personne, aussi cette visite me surpris.

En ouvrant la porte je me trouvais face à face avec une personne peu commune. Elle n’était pas très grande et plutôt maigre, mais impressionnait néanmoins par sa stature. Vêtue tout de gris, elle portait une capuche qui descendait assez bas sur ces yeux. Son teint était gris et sa peau semblait avoir été passé au papier de vert grossier.

Lorsque je vins à croiser son regard, je sentis un froid intense me saisir jusqu’à la moelle épinière. Aussi tournais-je rapidement les yeux.

Comme elle restait silencieuse, j’engageais la conversation :

  • Bonjour, que puis-je faire pour vous ?
  • Je viens pour la partie d’Echecs.
  • Mais comment savez vous que je vais jouer aux échecs ?
  • Je le sais et je suis là pour cela.

Je restai interloqué un moment sans savoir que faire ni répondre. Mais je sentais qu’au fond de moi quelque chose me poussait à accepter le défi. Je m’entendis l’inviter à rentrer :

  • Le jeu est prêt. Allons-y pour une partie.

Je pris un pion de chaque couleur dans les mains :

  • Choisissez la main
  • Celle de droite, mais de toute façon ce sera le pion noir.

J’ouvris la main droite et le pion noir apparu.

Nous nous assîmes de chaque côté de l’échiquier et j’entamais alors la partie la plus étrange que j’ai jamais joué. A vrai dire, je n’avais pas l’impression de jouer par moi-même mais plutôt d’obéir à des consignes venues de nulle part.

1.a4 – j’entamais la partie en avançant le pion de ma tour

c5 – Elle répliqua en bougeant le pion du cheval de la reine.

Ce premier tour s’était fait dans un silence lourd.

2.d4 – Après avoir fait progresser le pion de ma reine, j’entamais le dialogue

  • Vous venez jouer aux échecs chez moi, sans que je vous connaisse. Mais qui êtes-vous donc ?

d6Comment peux-tu dire que tu ne me connais pas ? Tu me connais parfaitement, même si moi je te connais mieux encore.

3.Dd2 – Interloqué par cette réponse que je ne comprenais pas je reposais ma question.

  • Qui êtes vous pour affirmer me connaître et m’imposer une partie d’échecs ? Il ne me semble pas vous avoir déjà vu. Mais cependant vous ne me semblez pas totalement inconnue.

e5Bien sûr que je ne te suis pas inconnue, tu m’as déjà cotoyée plusieurs fois. La dernière était en juin 2022. La précédente en avril 2019. Mais nous nous étions déjà rencontrés avant.

Mon pion en d4 était pris en étau entre deux pièces noires et je m’attendais à une attaque. Je jouais alors un coup absolument absurde.

4.Df4 – J’exposais inutilement ma reine à la prise par un pion.

Je repensais alors à ces deux dates. Le 17 juin 2022, ma mère était décédée, un peu plus de trois ans après mon père le 25 avril 2019. Je ne pouvais croire à un tel hasard temporel.

  • Si je vous entends bien, vous étiez là lors des décès de mes parents.

Mon adversaire l’opportunité et, plutôt que de prendre ma pièce maitresse, avança son pion

e4Je vois que tu as compris pour les dates. Mais ne me reconnais-tu toujours pas ?

5.h3 – je procédais alors à une ouverture sur le pion de ma tour droite. J’essayais alors de me rappeler les circonstances des décès et funérailles de mes parents. Mais aucun visage, ni aucune silhouette ressemblant à celle que j’avais en face de moi n’apparut dans mon esprit. Je relevais les yeux et croisant son regard, un nouveau frisson me parcourut. Je compris alors.

  • Seriez-vous la … la mort ?

Fe7C’est effectivement ainsi que l’on me nomme. Ton esprit s’est enfin éclaircit.

6.Dh2 – Comme par reflexe de peur, je mis ma tour à l’abri.

  • Mais si vous êtes ici, c’est que ma fin est proche ?

Fh4Non, ce n’est pas sûr. Je te propose que nous en décidions au résultat de cette partie. Si je gagne, tu meurs. Sinon, je repasserais un autre jour. Mais n’essaye pas de renverser cet échiquier ou de tricher, car je considérerais que tu aurais perdu.

7.Ta3 – Cette information me pris de court. Et s’il ne me restait que quelques coups d’échec à vivre ? Je décidais donc d’attaquer franchement et dans cette résolution, je sortis ma tour.

  • Soit, alors jouons ma vie ! Mais j’aimerais que vous répondiez à quelques questions. Au point où nous en sommes, vous ne pouvez rien me cacher. Ma première question : qu’y a-t-il après la mort ?

Fe6 – Sentant venir mon attaque, la Mort renforçât sa défense avec son fou.

  • Je vais te surprendre, mais cette question est sûrement celle à laquelle je pourrai répondre le plus facilement. Ce qu’il y a après la vie, je n’en sais rien. Et ce n’est pas mon problème. On m’envoie ici et là prendre des vies, mais le reste ne me concerne pas. Je constate que, très souvent, après mon passage un souffle subtile semble sortir du corps du défunt. Mais je n’en sais pas plus, et ne le saurai jamais car je suis immortelle.

8.Tg3 – Je décidais de concentrer mon attaque sur son flanc droit. Cette première réponse ne me faisait pas avancer. Il fallait que je la questionne sur des sujets plus concrets.

  • Vous dites que l’on vous envoie. Mais qui vous envoie ?

Fb3 – Le fou noir vint alors au contact direct de mes pions.

  • Qui m’envoie ? Je ne le sais pas, et c’est vrai. Il y a longtemps, mes missions m’étaient confiées par les Parques. Mais celles-ci ont disparu. Je reçois des consignes, mais je ne sais pas d’où elles viennent. Les uns disent qu’elles viennent du Seigneur, d’autres de Allah, d’autres encore de Jéhova ou de Bouddha. Je les reçois, peu importe de qui, mais je les exécute.

9.Cd2 – J’aurais pu le prendre avec mon cheval. Mais au contraire, j’envoyais celui-ci dans la direction opposée.

  • Mais comment se fait-il alors que mon sort soit incertain aujourd’hui ? N’avez-vous pas reçu de consigne me concernant ?

Da5 - Non. J’ai quand même une certaine liberté d’action. Quelque fois, je visite des gens à l’improviste et je vois sur place. Là, j’étais venu pour ton voisin, et une fois ma tâche accomplie, je t’ai vu et ai eu envie de faire une partie avec toi.

10.d5Mais si maintenant c’est moi qui vous tuais ? Dis-je en enfonçant mon ion dans l’espace libre au centre de sa défense.

e3Je te l’ai déjà dit, je suis immortelle. Tu ne peux donc me tuer. Et c’est tant mieux pour vous humains. Car si je n’étais pas là, vous ne connaitriez que la dépression perpétuelle. Suppose un instant que plus personne ne meure. Alors le nombre d’humains sur la terre viendrait à s’accroitre de façon insupportable. Vous ne pourriez plus faire d’enfants car vous n’auriez ni place, ni ressources suffisantes pour eux. Sans enfants, puis sans jeunesse, avec un monde vieillissant indéfiniment, il n’y aurait plus de joie, plus d’amour et de façon contradictoire, plus d’avenir. La sinistrose s’installerait et les dépressions aussi. Plus de mort, donc plus de suicide. Aucune échappatoire ne s’offrirait à vous… Alors, où serait l’intérêt de m’éliminer ?

11.c4 – Je venais condamner son fou qui s’était aventurée dans mes lignes.

  • Mais dites-moi, pourquoi vous attaquez-vous à des être jeunes ou des amants en pleine découverte de la vie ? Et pourquoi ne pas vous présenter auprès des vieux et des malades qui aimeraient abandonner cette vie ?

f5 – Tu es lent à la compréhension. Je t’ai dit que, généralement, je ne choisissais pas les gens auxquels je rendais visite. Et si les choix étaient logiques, vous pourriez prévoir ma venue. Les émotions ne seraient plus les mêmes et de ce fait, vous apprécieriez moins les bonheurs et les bons instants de la vie. Crois-moi, il vaut mieux que mes passages vous semblent absurdes et imprévisibles.

12.f3 – Ayant bougé mon pion, je me rendis compte que ce coup était incohérent. Je laissais ma tour à sa portée.

  • Et si tu ne gagnes pas aujourd’hui combien de temps me restera-t-il à vivre ?

f4 – Au lieu de profiter de son avantage, mon adversaire avança un dernier pion au contact de ma tour.

Je me rendis alors compte que je n’avais plus la possibilité de jouer que mon cheval ou ma tour. Mais les bouger revenait à mettre mon roi en échec. J’étais donc Pat et l’annonçait.

  • Je ne peux plus jouer, je suis Pat. La partie est nulle.

Mais alors relevant la tête, je vis que j’étais seul dans la pièce. Je n’aurai jamais la réponse à ma dernière question.

Avais-je rêvé ? Avais-je réellement joué contre la Mort ? je commençais à croire à une hallucination. Mais le jeu était bien là devant moi et les blancs étaient Pat.

A ce moment, la sonnette retentit.

Flageolant, j’allais ouvrir. C’était le fils de mon voisin. Quand il me vit, il eut peur.

  • Vous allez bien, me dit-il, vous êtes tout blanc.
  • Oui, ne t’inquiète pas, je vais bien, juste un coup de fatigue. Mais comment va ton papa ?
  • C’est pour cela que je venais… IL est mort il y a environ une heure.

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