Chapitre 1: Le Claquement

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Paris, un matin de 2024. Le ciel est encore chargé d’humidité nocturne quand Antoine se faufile entre les bus et les taxis, pressé par le temps. Il avale à grandes gorgées son café brûlant en consultant machinalement l’heure sur son téléphone. Passionné de physique, il a déjà imaginé dans sa tête les expériences qu'il testera cet après-midi au laboratoire du lycée. Pourtant, une vive nervosité s’empare de lui : ses doigts se resserrent puis s’écartent rapidement, comme un réflexe. Les passants ne remarquent pas l’étincelle fugace dans ses yeux.

Ce qu’Antoine ignore encore, c’est que l’éclair qui a déchiré la voûte céleste la veille au soir n’était pas un phénomène ordinaire. Alors qu’il rentrait chez lui sous une pluie torrentielle, un éclair d’une intensité incroyable est tombé à seulement quelques mètres. Antoine n’en a gardé qu’un souvenir flou : un flash de lumière bleutée, l’odeur piquante d’ozone et cette sensation d’une énergie puissante traversant son corps. Ce matin, il ne se doute de rien, agissant comme si de rien n’était.

Au lycée, Antoine se dirige vers l’auditorium scientifique où il conserve son petit laboratoire improvisé. Les néons au plafond lui renvoient une clarté crue. Il ouvre son sac, en sort sa règle en acier inoxydable et la pose sur une table. Il prévoit de tracer un graphique complexe de champs magnétiques pour ses élèves de terminale, quand l’instinct le pousse à claquer des doigts pour soulager sa paume ankylosée. À ce moment précis, quelque chose d’étrange se produit : la règle glisse d’un centimètre sur la table comme poussée par un souffle imperceptible.

Le sourire malicieux qu’il arborait s’efface soudain. Le silence environnant amplifie le cliquetis feutré du choc électrique qui vibre encore dans ses membres. Antoine se fige sur place, le cœur battant. Un coup de vent ? Impossible – la pièce est close. Détournant les yeux du tableau, il examine le trajet de la règle : il jurerait qu'elle n’était pas parfaitement droite sur la table quelques instants plus tôt. Inspirant profondément, il claque de nouveau des doigts en tendant l’oreille.

Reproduisant la même action, il se concentre sur son but : maintenir la règle absolument immobile. Le claquement retentit et, stupéfait, la règle réagit à nouveau. Cette fois elle se soulève imperceptiblement, comme aspirée par quelque chose. Presque par réflexe, il l’attrape avant qu’elle ne tombe. Le choc est trop vif : « Mais comment est-ce possible ? » bredouille-t-il en lui-même. Antoine remarque qu’au moment du claquement, ses yeux ont brièvement perçu un scintillement microscopique autour de la règle, comme une aura fugace.

Il se précipite vers le tableau blanc et inscrit à la hâte quelques symboles mathématiques. Peut-être s’agit-il d’une forme d’impulsion électromagnétique résiduelle – une onde improbable générée par le fracas de l’éclair. Tout sentiment mystique est banni : il n’y a pas de miracle ici, pas de magie, seulement une situation inexplicable qu’il lui faut décrypter. Croyant en Einstein plus qu’en tout, il fait immédiatement surgir dans son esprit des notions de téléportation quantique. Pourtant, il n’a jamais étudié cette discipline ; les équations semblent pourtant surgir d’elles-mêmes, comme si elles provenaient d’une bibliothèque universelle oubliée.

Assis à son bureau, Antoine n’ose y croire : les formules tracées devant lui sont des équations pointues, au-delà de ses cours habituels. Il réalise soudain que ce n’est pas de l’apprentissage conscient qui a dicté sa main. L’information lui semble arrivée de nulle part : peut-être la mémoire d’autres porteurs. Il secoue la tête, cherchant à dissiper l’étourdissement. Pour la première fois, il soupçonne qu’un héritage technologique est en lui – une information transmise sans voix à travers les générations lointaines. Mais de qui ? Comment ? Il ne possède aucune réponse précise, seulement la certitude croissante d’avoir changé.

Sa curiosité prend alors le dessus sur la stupeur. Antoine prend un stylo qu’il saisit au bord de la table et claque de nouveau des doigts, concentré. Il observe le stylo, posé au bord du plan de travail. L’objet vibre à peine, bouge imperceptiblement. Encouragé, il le relâche et se met debout. Il claque la main encore, cette fois en dirigeant à peine le mouvement vers le stylo. Tel un magnétisme étrange, le stylo prend de la distance, se soulève et décrit un lent demi-cercle avant de venir retomber sur le plateau de la table, intact. « Ça marche » murmure-t-il, les yeux écarquillés.

À l’heure du déjeuner, le laboratoire est vide. Antoine s’assied sur un tabouret renversé dans la bibliothèque du lycée, délaissant son plateau repas pour consulter les ouvrages poussiéreux de mathématiques et de physique quantique. Les formules nouvellement apprises jaillissent sans effort de son esprit. Il lit une phrase au hasard, referme le livre et une page entremêlée lui revient en mémoire : des écrits sur la conservation de l’énergie quantique et la téléportation espace-temps. C’est comme si le savoir des anciens porteurs avait été injecté dans son cortex.

L’adrénaline monte au fur et à mesure qu’il travaille à tâtons son nouveau don. Les mains légèrement moites, il retourne sur le toit-terrasse du lycée, faute d’un environnement de laboratoire plus isolé. Le panorama urbain s’étire à perte de vue – les toits parisiens, Notre-Dame, la Tour Eiffel se dessinant à l’horizon sous un ciel clément. Il ferme les yeux et tente la grande expérience. Son objectif : apparaître dans la cour du lycée, quelques mètres plus loin, simplement en claquant des doigts et en visualisant mentalement ce lieu précis.

Le silence du toit est presque trop lourd. Antoine tape nerveusement des talons, inspire profondément. Il claque des doigts, articule mentalement la cible avec minutie. D’abord, aucun effet tangible : c’est comme s’il avait cligné des yeux. Puis, soudain, il ressent un léger décalage, comme si le monde tournait légèrement sous lui. Un frisson électrique parcourt sa peau, et l’instant d’après il se retrouve debout au milieu de la cour du lycée, exactement au point visé.

Il ouvre les yeux, abasourdi, les mains encore dressées en l’air par l’élan du mouvement. « Je l’ai fait, je l’ai vraiment fait ! » murmure-t-il, incrédule. Aucun éclat de lumière ni d’onde spatio-temporelle n’a entouré son voyage ; rien n’a trahi l’instant. Il vient pourtant de parcourir deux ou trois mètres en un éclair ; il éprouve encore la drôle de sensation de désorientation. Un passant l’interpelle depuis la fenêtre du premier étage : « Professeur, tout va bien ? » Antoine lève la main, esquisse un sourire gêné, encore sonné par la réussite inattendue.

Sans plus attendre, il rejoint la cafétéria presque vide, la tête pleine de théories palpitantes. Ses doigts claquent nerveusement contre un mur, presque mécaniquement. À chaque claquement, il répète mentalement l’équation de conservation quantique en boucle, cherchant à confirmer qu’il garde le contrôle. Sa volonté est la clé : tant qu’il doute, rien ne se produit. Mais cette fois, il se sent prêt. Il sait que l’héritage ancien qui l’habite ne demandait qu’à être réveillé par cette initiation électrique.

Alors que le soir tombe sur Paris, Antoine se surprend à sourire tout seul. Les lumières de la ville scintillent en dessous. Il repense à cette matinée extraordinaire : l’éclair, le claquement, la règle en acier, le stylo en suspension, son voyage fulgurant. Plus encore, il imagine les possibles que demain pourra lui offrir.

Aucun secret surnaturel, aucun grand mystère initiatique ne s’est interposé – juste des lois physiques défiant la normalité. Mais dans le cœur d’Antoine, la curiosité brûle. Le monde peut continuer de tourner comme si de rien n’était.

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