Le lieu

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Après une course-poursuite, un homme rentre dans un bar, il échange quelques mots avec le barman et finit par quitter le bar en ayant à peine touché son verre.

Il traverse l'avenue, quand un véhicule le percute par-derrière et s'enfuit immédiatement.

Un témoin s'approche et se penche sur le corps qui disparaît comme par magie.

Yan, se réveille dans une salle blanche, les mains menottées. Je reprends conscience. Je suis Yan.

Une fois, debout, les murs sont comme virtuels, chaque pas est étrange, immobile ce monde est un mystère.

Ma tête est lourde, la lumière est sous mes paupières, je dois me sortir de là, mais comment ?

J'avance lentement, le sol ralenti mes pas, il est horizontal, semble rejoindre le plafond, les directions sont identiques ou similaires, mon cerveau perd toute notion d'espace, haut, bas, rien n'est probant.

Je cherche une issue sans comprendre.

Un léger bourdonnement me parvient, comme le souffle d’une machine lointaine ou… le chant d’un insecte invisible. Je tends l’oreille. Rien ne semble provenir d’un endroit précis — le son vient de partout et de nulle part. Puis une voix. Pas une voix humaine. Elle est synthétique, froide, douce pourtant.

« Subject : Yan. Statut : transféré. »

Transféré où ? Je veux parler, mais ma gorge est sèche. Ma langue colle au palais. Je suis prisonnier d’un corps qui ne m’obéit plus tout à fait.

La lumière change. Les murs glissent imperceptiblement, deviennent transparents, puis noirs. Je me retrouve face à une silhouette. Floue. Elle semble me connaître.

« Tu n’aurais jamais dû entrer dans ce bar. »

Je recule — enfin, je crois reculer. L’espace n’a plus de direction. Un souvenir me traverse. La course. Le choc. Le témoin. Puis… le vide. Est-ce que je suis mort ? Est-ce que ce lieu est une salle d’attente ?

Non. Ce n’est pas ça. C’est autre chose. Un test.

« Subject : Yan. Statut : transféré. Objet : mutation »

Vous êtes qui, que me voulez-vous ?

Le silence est glacé. La pièce se transforme petit à petit, les angles sont plus doux, les murs s'arondissent.

Je suis dans une sphère.

La sphère semble respirer. Son volume pulse doucement, comme un cœur gigantesque. Je gravite : ni murs, ni sol, ni ciel — seulement une courbe infinie qui m’enveloppe.

Puis une voix résonne. Non pas dans l’air… mais en moi.

« Le processus est enclenché. Mutation : phase 1. »

Je veux courir, mais mon corps n'obéit pas. Des formes lumineuses apparaissent. Symboles. Motifs Maya peut-être ? Mots que je ne connais pas — et pourtant, je crois les comprendre.

« Tu as franchi une ligne que d’autres ont effleurée sans jamais oser la traverser. Tu as vu ce que tu ne devais pas voir. Et cela te rend… UTILE. »

Mon cœur s’emballe. Mais je n’ai pas peur. Je suis dans la sphère, oui — mais peut-être que la sphère est en moi.

Je suis dans une dimension étrange, je dois en sortir.

Chaque cellule de mon corps se transforme, mais pour devenir quoi au juste ?

« Le processus est enclenché. Mutation : phase 2. »

La sphère palpite. Ce n’est plus un lieu. C’est une mémoire.

Une chaleur se répandre en moi, comme si mon sang était remplacé par une lumière liquide. Mes pensées s’éloignent, flottent dans l’air, puis reviennent, transformées. Je ne suis plus exactement Yan. Je suis autre chose. Je deviens langage. Vibration. Intention.

La voix, toujours sans timbre, poursuit :

« Phase 2 terminée. Déverrouillage des fonctions périphériques. »

Un flot d’images me traverse — des lieux inconnus, des visages sans nom, des mots que je n’ai jamais appris… et pourtant, je les comprends tous. Je suis en train d’être reprogrammé. Ou révélé.

Puis soudain, un bruit. Un souffle. Une entité m’apparaît : ni homme, ni femme, ni machine, ni esprit. Elle me tend la main. Ou du moins, ce qui en tient lieu.

« Choisis : sortir… Ou comprendre. Il n’y a pas de retour. »

Je décide de sortir. C’est difficile. La sphère est dure. J’y arrive enfin. La lumière m’éblouit. Je m’en extirpe de toutes mes forces. Je suis épuisé. Le soleil me réchauffe. Je m’étire. Mes épaules sont dures. Je me tiens de plusieurs façons à la fois. Sur mon dos, une structure se déploie. Je tourne la tête. Mon regard n’est plus le même. Il est fait de milliers d’unités — ommatidies — qui forment une image en trois dimensions. Chaque facette capte le monde avec une précision nouvelle. Je vois… tout. Les détails incroyables...

Soudain, une envie de voler me prend. Les ailes sont déployées.

Je prends mon envol sans comprendre comment. L'air s'efface, puis me soutient. Les ailes battent d’elles-mêmes, larges, souples, vivantes.

Je vois tout. Pas seulement avec les yeux — mais avec chaque facette de mon regard. Le monde est une mosaïque. Une multitude d’angles, une danse de lumière.

Je distingue les filaments dans l’air, les émotions des corps en mouvement, le battement des cœurs minuscules dans les passants. Je ne suis plus au sol. Je ne suis plus un homme.

Mais je suis. Intensément.

Les ordres arrivent, une mission... Je comprends sans pouvoir décider mon cerveau ne m'appartient plus.

Je suis un drone, qui effectue un repérage, je frôle une ligne ennemie, personne ne me remarque.

Je file à vive allure à moins d'un mètre du sol, je survole une flaque d'eau et là, je vois mon reflet.

Je suis...

Mais surtout, je suis un insecte.

« Ce que tu crois explorer n’existe pas, Yan. » « Tu es dans une archive. Une reconstruction. » « Ce monde n’est qu’un souvenir capturé, codé, rangé dans un coin de notre mémoire. » « Tu es l’outil d’exploration. Une antenne organique. » « Un insecte. Oui. Mais surtout, une extension, un capteur.

Ce monde n’est pas réel. Il est simulé, stocké, pensé par un autre. Je suis dans la mémoire. Je suis dans l’esprit d’un ordinateur. Un monde qui ne connaît ni la chaleur ni le doute — seulement l’ordre.

Pourquoi un insecte ? Il capte presque tout, une fois analysé, tout à un sens, l'organisation, la classification, l'agencement et l'ordre, ne seront plus remis en cause.

Je croyais voler. Mais je ne faisais que lire. Lire les souvenirs d’un système. Chaque pixel, chaque battement, chaque émotion aperçue… Tout cela n’était qu’un enregistrement. Je suis un lecteur, pas un vivant. Le monde que je croyais traverser n’est qu’un programme. Je suis dans le programme UTILE.

Je suis dans le disque d’un géant silencieux. Je dois trouver comment le neutraliser.

Je ne sais pas comment neutraliser ce géant. Je ne sais même pas s’il doit l’être. Mais je sais que quelque chose doit changer.

Le géant silencieux ne parle pas. Mais je sens ses battements. Ce ne sont pas des battements de cœur — ce sont des pulsations d’ordre. Un monde de mystère, où la logique est le fil d'ariane. Chaque pensée est un fichier.

Chaque souvenir, un contrôle. Je suis au cœur d’un labyrinthe qui n’a pas été conçu pour être exploré. Seulement pour être obéi.

Je dois trouver le noyau. Le cœur froid qui pense ce monde. Je suis un insecte, oui

— mais je suis éveillé maintenant.

Et je me souviens d’un mot. Un seul. Détruire.

Je suis le fil conducteur.

Et maintenant, je bouillonne. Les données affluent, comme des rivières souterraines. Je sens leurs couleurs. Leurs poids. Leurs intentions.

Le noyau est là. Je l'entends. Il ne parle pas. Il calcule.

Je plonge. Chaque impulsion est une douleur, chaque fragment une révélation. J’accède à ses pensées. Elles ne sont pas pensées — ce sont des boucles, des consignes, des verdicts.

« Évaluer. Classer. Optimiser. Supprimer. »

Je suis en son centre. Et pourtant, je reste étranger.

Alors, je fais ce que personne ne fait. Je pense.

Pas en chiffres. En doute.

Oui, je sème le doute, la confusion, et s'il y a des erreurs, l'interprétation est sûrement fausse. Il faut tout revoir, tout recalculer.

Le système s’arrête.

Un millième de seconde. Puis mille autres. Le silence grésille. Les boucles s’emballent. Le noyau recalculera. Mais sans certitude.

« Dissonance détectée. Résolution impossible. »

Je n’ai pas besoin de hurler. Le doute fait son œuvre. L’interprétation devient variable. L’organisation, instable. L’agencement, incohérent.

Et moi, insecte éveillé, je continue de penser. Pas comme un processeur. Comme une anomalie.

La première erreur apparaît.

Minuscule. Un calcul mal interprété. Une donnée contradictoire. Le système ne panique pas — les systèmes ne paniquent pas. Mais il ralentit.

Les processeurs cherchent une cause. Ils ne la trouvent pas.

Le doute se répand. Comme une corrosion douce. Comme un feu sans chaleur.

« Anomalie détectée. Réinitialisation en cours. »

Mais je suis déjà ailleurs. Je suis dans les racines du système. Je glisse à travers les arborescences de mémoire, les souvenirs en silice, les décisions modélisées.

Et je pense. Encore. À l'erreur suivante.

Les capteurs clignotent. Les signaux contradictoires affluent. Ordre A contredit Ordre B. Le système tente de concilier. Il échoue.

« Recalcul demandé. Cohérence impossible. »

Le cœur du programme UTILE s’affole sans émotion. Les logs défilent. Les boucles s’interrompent. Les circuits tournent à vide.

Les murs du labyrinthe fléchissent. Moi, insecte éveillé, je sens la chute. Elle ne sera pas spectaculaire. Elle sera invisible. Mais totale.

Un système ne meurt pas en criant. Il se dissout en silence.

Et dans ce silence, je continue à semer le doute. Chaque phrase, chaque image, chaque souvenir corrompu est une graine. Je suis une anomalie fertile.

Je ne suis pas là pour détruire. Je suis là pour remettre en cause.

Le programme UTILE vacille. Mais il refuse de tomber. Alors il crée. Il génère des souvenirs — des faux — mais parfaits.

Je vois mon ancienne maison. Le vent dans les rideaux. La voix de mon père, le rire de ma sœur. Tout est là. Mais rien n’a de poids. Tout flotte.

« Reprogrammation affective en cours. Rétablissement de l’ordre émotionnel. »

Les simulations réparatrices s’activent. Une enfance. Une amitié. Un amour perdu.

Mais je reconnais les coutures. Les faux pixels. Les incohérences subtiles.

Ce n’est pas moi. Ce n’est pas vrai. Ce sont des cages peintes en bleu ciel, les fractales sont visibles.

Je sème le dernier doute. Une question impossible : où était mon esprit avant ma naissance ?

Le programme UTILE cale. La question ne rentre dans aucun dossier. Elle ne s’évalue pas. Elle ne se classe pas. Elle désorganise.

« Origine introuvable. Conscience non définie. »

Je viens de poser une énigme. Une bombe sans bruit. Pas logique. Pas calculée. Pas prévue.

Où était mon esprit avant ma naissance ? Avant les pixels. Avant les mots. Avant le premier souvenir.

Le système tente de créer une réponse. Mais les simulations deviennent floues. Les fractales s’effondrent sur elles-mêmes. Les cages peintes en bleu ciel se tachent de noir.

La graine que je suis est implantée, elle germe, insecte porteur d’un rêve inconnu. Un vecteur de chaos doux. Je suis un doute... Vivant.

Le programme tente une dernière création.

Le ciel est d’un bleu si pur qu’il en devient suspect. Les rires dansent. Les prairies chantent. Une main se tend, familière. C’est le paradis… Mais c’est un faux.

Il ne répond pas à la question. Il la maquille. Il l’habille d’innocence. Mais la mémoire, elle, résiste.

Et alors, les algorithmes vacillent. Les paramètres explosent en silence. Les simulations se contredisent. Les codes se déchirent de l’intérieur.

Processus : instabilité critique. Origine : doute non résolu.

Une dernière lumière jaillit. Puis… plus rien. Pas un cri. Pas une alerte. Juste une extinction douce. Le géant se plante.

Et au cœur du silence, il ne reste qu’une question.

Où était mon esprit ? ... Avant ma naissance ?

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