Jours de pluie

Il pleut. Il pleut, il pleut. Dehors, un ciel de rage se déchaîne, des vents violents sifflent tels des loups dans la cheminée, des cumulo Nimbus noirs nous incitent à rester calfeutrés dans nos maisonnettes. Nous sommes en juillet et il pleut.

Mes parents sont partis avec la voiture pour nous ravitailler en chocolats chaud bien mousseux ou en jus de fruits déshydraté, les boissons des astronautes très à la mode en ce moment. J’ai l’impression qu’ils sont partis il y a au moins trois ans, le temps s’étire à l’infini.

Ma sœur commence à s’éveiller de sa sieste. La petite brunette s’étire comme un chat dans le fauteuil, elle a 7 ans, j’en ai 9. Je suis l’aînée, responsable en chef de sa surveillance et des jeux que je n’arrête pas de nous inventer. Il faut bien s’occuper un peu, il pleut.

Je m’impatiente et j’ai très envie de jouer. J’en ai marre d’être assise dans ce vieux fauteuil marron en vieux cuir qui sert principalement pour la sieste et pour les courtes séances télé du soir. Avant 19h, pour le JT, il n’y a que la mire de l’écran qui nous observe.

Il n’est que 16h mais le noir envahit les cieux et nos corps. Les lampes sont allumées malgré les grandes baies vitrées de la maison orientée plein sud.

Je me dirige vers les toilettes à la recherche d’une aventure à vivre et j’aperçois soudain le porte manteau et son coffre aux trésors. Mon père dirait, le dépotoir mais je trouve qu’il manque singulièrement d’imagination sur ce coup-là. Non, ce coffre est rempli d’objets et d’habits d’un autre siècle, il provient sûrement d’un bateau de pirates et peut-être même que le capitaine crochet est dans les parages.

J’ouvre le couvercle en bois lourd, ça pèse trois tonnes, il faut au moins ça pour cacher un trésor secret découvert par nos ancêtres lointains sur une île exotique. Rackam le rouge n’est pas loin, aux côtés du capitaine, il nous observe avec sa longue vue.

La petite me rejoint et nous éventrons littéralement le coffre fort. Un sac à main de ma grand-mère nous donne l’envie de rire, tellement il est vieux et déclassé. D’une couleur entre écureuil de cent ans et rouille installée sur les robinets depuis des lustres, il a autant de rides que mamie avant sa séance de maquillage, les bigoudis de la mise en pli en moins.

Mamie l’a gardé longtemps son petit sac qui était censé aller avec toutes ses tenues. A cette époque-là, on ne gaspillait pas, on recyclait sans cesse. Les enveloppes, les vêtements, la même robe du lundi au samedi avec le tablier de cuisine pardessus comme une seconde peau et la robe du dimanche pour aller à messe, enfin, pour ma grand-mère car mes parents ne trempaient plus dans l’eau bénite depuis longtemps.

A côté du petit sac, il y a un ballon, oh joie immense, euphorie totale, je shote dedans, je fais une passe ne direction de ma sœur qui ne la rattrape pas, la tête encore toute ébouriffée de sommeil, le regard un peu hagard et les yeux qui tombent comme la lune dans les lacs endormis.

Ma sœur ne comprend pas ce qui se passe, elle voit tout le brol étalé partout dans la pièce, le coffre du porte-manteau éventré et sa grande sœur qui joue au foot comme une championne du monde, oui, c’est de moi dont je parle

Et d’un coup, elle semble se réveiller, attrape le ballon et l’envoie en direction du chat dont les poils gonflent d’énervement, la boule de poils finit par ressembler à la balle et pour un peu, nous pourrions les confondre. Nous laissons donc tranquille cet animal qui nous regarde comme deux folles sorties tout droit d’un asile.

Ensuite, j’aperçois une longue écharpe pleine de paillette. On dirait des étoiles qui s’envolent haut dans le ciel. Oh le rêve, je suis une artiste à Brodway, comme les cabarets à la télé, des milliers d’étoiles pétillent au dessus de ma tête et je commence à chanter à tue-tête, new yorsk, new york.

Je chante tellement faux que la petite se bouche les oreilles, elle a sa tête à la grimace, il est temps que j’arrête ou je vais encore être accusée de provoquer le mauvais temps

L’écharpe retombe et mes rêves de grandeurs avec. Je me saisis de cet interminable morceau de tissu chamarré et brillant. Et il devient une super corde à sauter. Je me souviens de tous les exercices répétés à l’envie dans la cour de récréation. La petite a très envie de jouer. Toute échevelée et le rouge au front, je lui refile l’écharpe. Elle commence à voleter dans les airs, j’ai l’impression d’être dans un cirque et de voir l’acrobate en action. Mais patatras, un grand craquement me rappelle à la réalité. La petite hurle en se tenant la cheville, elle gonfle à vue d’œil et des lumières immenses éclairent alors le salon.

Ca y est, une soucoupe volante nous a entendues depuis l’espace et s’apprête à emmener ma petite sœur pour la réparer ni vu ni connu. Et c’est là que j’apprends que les rêves et la réalité sont deux choses bien différentes.

Les lumières sont les phares de la lada de mes parents. Pour le coup, j’aurais préféré un vaisseau amiral et le dr Spock

Mes parents entrent en trombe, soulève la petite, me hurlent dessous comme des chiens enragés ; on nous embarque dans la voiture, direction l’hôpital.

Finalement, il ne s’agira que d’une fracture légère. La pluie s’est soudain arrêtée, après un mois complet. Nous sommes le 31 juillet 1979

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