Chapitre 1

5 minutes de lecture

Un ruban de lumière blanche, éblouissante, au sol, semble être la seule source de lumière de cet endroit sinistre. Je me lève prudemment, observant et analysant du mieux que je peux le lieu dans lequel je me trouve.

Les murs comme le plafond sont d'une noirceur frappante : je suis absolument incapable d'évaluer leur distance, ce qui n'est pas forcément la meilleure nouvelle puisque quitter ce lieu au plus vite a intégré ma Liste des trois choses à faire. La bande lumineuse comme seule guide, seul chemin, seule option, je la suis, tendu, attentif aux moindres bruits afin de pouvoir réagir le plus rapidement possible.

Aucune information ne m'est apportée par mon environnement : le silence est assourdissant, l'air n'a pas d'odeur particulière et je ne peux rien distinguer, aveuglé comme je le suis par le contraste violent de lumière entre le haut et le bas.

Soudain, comme pris de vertige, je vois la salle tourner - ou plutôt la bande, puisque c'est l'unique chose que je suis capable d'identifier. Je m'efforce de garder les yeux ouverts, malgré la chute imminente. Mais, au lieu d'heurter le sol, je tombe dans le vide, comme jeté d'un avion en marche.

Il n'y a plus de lumière, plus d'indication, plus de chemin, plus d'espoir.

Cependant, je commence à comprendre que vu ma vitesse, si j'heurte le sol, je me brise les os et meurs sur le coup. Une perspective que je ne trouve pas franchement réjouissante. Je bats désespérément des bras et des jambes, bien que ça ne serve qu'à me ridiculiser : ma chute se poursuit.

Mais, c'était sans compter sur l'arrivée de vents, qui s'ajoutent et me ballottent, tantôt à droite, tantôt à gauche, parfois me donnant comme des coups. Si ce sont mes derniers instants, pourquoi faut-il qu'il y ait toujours pire ?

Tandis que l'envie de vomir monte progressivement, une voix que je connais s'élève, presque inaudible, étouffée :

- Hérion...

Maman !

La panique m'envahit aussitôt, et la lucidité me revient : je tombe ! Désespérément, je tente de m'étendre le plus possible afin de m'accrocher à une prise, quelle qu'elle soit. Je n'ai pas le temps de réaliser que c'est stupide (vu ma vitesse, mon bras s'arracherait avant que je puisse tenir quoi que ce soit) que la voix de ma mère reprend, me semblant plus forte et plus proche qu'avant :

- Hérion !

"Non !" je pense de toutes mes forces, bien que cela ne change strictement rien. "Pars, pars, pars !"

Mais tout effort, bien que minime, ne ralentit pas ma chute, et ne l'arrête encore moins.

- HERION !

Le cri déchire mes tympans et brise le rêve.

J'ouvre les yeux soudainement, prenant conscience de la présence de ma mère à côté de mon lit, qui me secoue vigoureusement. Elle cesse lorsqu'elle comprend que je suis éveillé.

- Cela fait maintenant vingt minutes que les Malus ont chanté le Cri au Soleil, m'informe t-elle.

J'hoche la tête en guise de remerciement, et elle sort de ma chambre pour me laisser m'habiller.

Les Malus sont, selon les légendes anciennes, des oiseaux de malheur qui chantent l'arrivée du Soleil. C'est vrai, il y a bien le chant d'un volatile qui perce le silence le matin, un volatile que j'ai d'ailleurs eu de nombreuses fois envie d'embrocher et de servir en repas, mais est-ce vraiment un Malus ?

Cet oiseau n'a jamais été aperçu par quiconque. Certains disent que c'est parce que toute personne qui le voit meurt immédiatement, d'autres comme moi ne cherchent pas à savoir et poursuivent leur vie sans réponse à cette question existentielle.

De toute façon, même si qui que ce soit tentait de les chercher, où chercher ? Nous n'avons jamais vu de forêt, nous ne savons même pas à quoi ça ressemble. On nous a juste appris le mot, en nous le décrivant comme une étendue d'arbres. Très utile, sauf que ça non plus nous ne connaissons pas. On en a juste vaguement entendu parler.

Nous sommes les derniers humains sur Terre.

Les autres ont subi de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique, alors nos arrière grand-parents ont été forcés de nous réfugier dans une zone, pour se protéger de tous les dangers extérieurs. C'est pourquoi nous avons été les seuls à survivre.

Je regarde autour de moi. Les murs sont blancs, comme le sol et le plafond. Ma chambre fait la même taille que celle de mes amis et de mes parents, c'est à dire pas très grande : il y a juste la place pour un bureau, un petit lit et une armoire.

Je me dirige vers cette dernière et prends un uniforme à l'intérieur, composé d'un débardeur, d'un pantalon et d'un pull - rien de très original. Tous les vêtements sont noirs, ceux des filles sont blancs, et, cousu sur tous les morceaux de tissu, notre numéro de zone est inscrit.

Le mien, c'est 23 501.

Nous vivons tous dans cette zone, délimitée par d'épaisses portes surmontées de barbelés électrifiés. Autrement dit, nous n'avons jamais quitté cet espace clos.

Je porte depuis toujours des vêtements comportant cette indication, comme une fierté mêlée d'une certaine crainte. Si nous sommes la zone 23 501, ça veut dire qu'il y a 23 500 autres zones. J'ai déjà essayé de compter jusqu'à 23 500, et bien je peux vous dire que c'est très, très long. Si long que, trouvant cette technique efficace, je compte pour trouver le sommeil.

Je retire mon pyjama, laissant apparaître sur mon épaule nue la Trace. C'est un tatouage de couleur que tout le monde a, ici, mais aucun n'existe en deux fois, comme une deuxième empreinte digitale. Je ne sais pas si nous sommes nés avec, mais je sais qu'aucun des bébés que j'ai vu en est dépourvu.

Si ma Trace est d'une couleur étrange, située quelque part entre le jaune et le orange, sa forme l'est encore plus. Une espèce de triangle allongé dans lequel se bousculent des ronds, des carrés, et qui se complètent finalement assez bien, ne laissant pratiquement pas d'espace entre eux.

Petit, je trouvais ça assez moche, honnêtement, mais c'est en grandissant que j'ai commencé à comprendre l'admiration qu'ont les adultes pour ces marques, ces traits indélébiles dessinés sur notre peau, à l'aspect presque hypnotisant.

Après avoir enfilé en vitesse le vêtement noir, je quitte ma chambre et arrive dans le couloir. Il y a des portes à droite et à gauche, chacune pour une chambre. Sur toutes est fixée une petite plaquette indiquant le nom de la personne qui l'occupe.

Je longe ce couloir, qui me mène à l'extérieur. Dehors, je me dirige directement vers le réfectoire, large bâtiment rectangulaire et gris - comme les autres. Un vent léger souffle et l'air est tiède. C'est normal, Floréal arrive. Je mets mes mains dans mes poches, tranquille. Je ne suis pas en retard, normalement.

Après avoir longé le stade, ensoleillé, j'arrive enfin. La porte est ouverte, j'entre, et aussitôt deux personnes se précipitent vers moi. Ce sont mes deux (seuls, mais est-ce nécessaire de le préciser ?) amis, Liago et Sloane.

Liago est blond, sa peau pâle, son habit d'un noir immaculé, ce qui offre un contraste que je trouve assez sympa : il augmente la prestance du jeune homme. L'effet de contraste concerne aussi Sloane, métisse aux cheveux noirs toujours attachés en queue-de-cheval, qui est vêtue d'un vêtement blanc éblouissant.

Tous deux viennent me saluer.

- Hérion ! s'exclame la jeune fille, l'air faussement en colère. Sale traître ! On a cru que tu ne viendrais pas !

Je rigole, et Liago esquisse un sourire.

- Allez, dit-il, viens, on t'a attendu pour manger.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 8 versions.

Vous aimez lire Adèle Delahaye ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0