Chapitre 57

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Quatre mois plus tard...

La foule scande son nom, haut et fort, d'une même voix.

Douze mille personnes, en cœur, ça fait beaucoup.

De l'autre côté de la porte d'entrée du musée qui mène à la place de la libération, au centre de la Ville, je me sens stressé. J'ai mal au ventre mais la présence de Tieden et d'Anaia, à mes côtés, m'aide à surmonter les vagues d'émotions qui me submergent.

Lorsqu'on me l'indique, je pousse la porte et affronte le regard des habitants. Tendu, je fais quelques pas sur la scène prévue à cet effet.

Je serre mes mains autour du micro pour qu'elles arrêtent de trembler. J'inspire, un bon coup, puis prends la parole :

- Si nous sommes tous là, aujourd'hui, c'est grâce à lui.

Tous les regards sont rivés sur moi. La foule semble retenir son souffle, suspendue à mes lèvres.

- Si nous sommes là aujourd'hui, reprends-je, c'est grâce à son sacrifice et à celui de beaucoup d'autres.

Je jette un rapide coup d'œil aux deux jeunes qui m'accompagnent. Tieden m'encourage, un léger sourire se formant sur ses lèvres. Anaia, quant à elle, exprime une réelle fierté, et je vois son âme de Poussiéreuse reprendre le dessus.

- Ce n'est pas une lutte qui ne concerne qu'une seule catégorie de personnes. Les erreurs du passé et celle de l'avenir nous affectent et nous affecteront tous. Ce serait une erreur de croire qu'aujourd'hui, après cette victoire, nous sommes à l'abri d'une attaque ou d'un coup d'état.

Je reprends mon souffle pour finir ce court discours :

- Malgré tout, cette bataille-là a été remportée. Si nous sommes là aujourd'hui, c'est parce que d'autres ont payé de leur vie pour que nous ayons tout ce que nous possédons aujourd'hui. La Ville, la liberté. Nous avons récupéré nos droits !

La foule explose de joie, et jamais de ma vie je ne me suis senti aussi galvanisé. Certain de la cause que je défends, de sa légitimité, je me sens bien, à ma place.

Tieden s'avance à son tour, saisit le micro et conclut :

- Alors pour ces défenseurs de la liberté et de l'égalité, ceux d'hier, d'aujourd'hui et de demain, nous avons décidé de construire le monument aux morts. Qu'on enlève le drap !

Au beau milieu de la place, un immense pilier est couvert d'un morceau de tissu blanc, suffisamment grand pour le couvrir entièrement. Suite aux mots prononcés par mon ami, le drap glisse contre le monument aux morts, dévoilant un travail extraordinaire.

Une colonne de pierre blanche est dressée là, sur laquelle sont inscrits les noms de tous ceux qui ont péri pour la liberté et l'obtention de notre situation actuelle. Mais ce piédestal soutient une sculpture, plus imposante encore.

Armand est représenté là, en héros. Debout, vêtu d'un treillis militaire impeccable, il tient un pistolet dans sa main droite et un livre dans l'autre. Cette sculpture vient en fait remplacer une ancienne, de Monsieur Spiegel, détruite lors de notre victoire.

Je sens les larmes me monter aux yeux.

Je suis sûr qu'il nous voit, de là où il est, et espère qu'il est fier.

Fier de son peuple qui s'est battu jusqu'au bout, sans jamais rien lâcher malgré les obstacles, les horreurs rencontrés.

Fier de moi. Presque fier de lui avoir ôté la vie.

Fier de lui et de ce choix décisif qu'il a fait.

Ce choix ne nous a peut-être pas offert la victoire, mais, malgré les réglages chaotiques des détonateurs, a éviter de causer encore plus de morts.

.oOo.

Je me lève après une nuit difficile peuplée de cauchemars et de morts.

D'un pas chancelant, je me dirige vers la salle de bain et m'apprête à laver mes cheveux en vitesse pour ensuite aller manger le petit déjeuner.

Je me regarde dans la glace. Je manque de ne pas me reconnaître. Mes cheveux noirs on repoussé depuis leur dernière coupe, lors de mon arrivée à la Base.

J'ai moins l'air d'un enfant.

Mon visage, excessivement osseux, présente quelques égratignures ici et là. Mes yeux sont moins rieurs et mon regard plus sombre. Les visages des hommes et des femmes que j'ai tués se mélangent dans leur fond, errant comme cherchant une sortie, leurs visages peuplant encore mes insomnies.

Le temps et les entraînements intensifs ont eu raison de mon corps. J'ai pris quelques centimètres, mes épaules se sont élargies et mes muscles développés, bien que je reste peu impressionnant.

J'essaie de sourire, pour voir.

Mes pommettes ont presque disparu en raison de ma perte de poids. Quand j'étire mes lèvres, mes traits semblent moins lumineux, moins vifs, moins joviaux.

Mes sourires sont moins sincères.

J'ai changé.

Évidemment que j'ai changé.

La guerre m'a changé, comme tout homme change et mûrit. Seulement, si j'aurais muri de toute façon, la mort a accéléré le processus, s'est ancrée au plus profond de mon être, déclarée comme compagnonne jusqu'au bout, jusqu'à la fin, la fin de tout. Voilà le résultat.

J'ai, enfouies en moi, des blessures bien plus que superficielles. Ces combats ont certes marqué ma peau : j'aurai une cicatrice sur le bras gauche et au genou droit. Mais elles sont en moi et, malgré tout les efforts que je peux tenter de fournir, aucun remède ne m'apparaît plus fidèle que le temps.

Alors, sagement, sans plus prendre de risques, je vais attendre.

Avec Anaia à mes côtés, cette attente du trépas sera probablement plus agréable, plus courte, presque supportable.

J'ai besoin de sa présence.

Et je sais qu'elle sera là.

Quoi qu'il arrive.

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