Il a surgi de n'importe où, et je le sens contre ma jambe, immobile, comme s'il cherchait à faire partie de moi. Je le repousse doucement du pied. Déjà il me frôle, insistant, son pelage rêche sur ma peau nue. Je me penche. Il lève une tête ronde, des yeux noirs, une zébrure dorée au milieu, ce ne sont pas les yeux d'un chat. J'essaie d'avancer, il règle son pas sur mon pas, profite de chaque instant d'hésitation pour plaquer son corps contre le mien. Je recule, il décrit un cercle pour revenir à sa place, contre mon mollet droit. J'agite la jambe, il saute de côté, pour retomber sur mes pieds, me faisant presque trébucher. Un nouveau tour, et la masse compacte de son corps qui revient s'amalgamer au mien.

Je sais que je rentre chez moi. Mais la rue que j'arpente, ce stupide félin collé à moi, n'évoque rien. Des façades nues, quelques flaques d'eau le long des trottoirs, un vélo dont il manque la roue avant appuyé contre une porte, des détails sans le tout. Je change de décor.

Je suis devant ma porte et je fouille dans mon sac sans y trouver ma clef. Le chat attend, rivé à moi.

Je comprends que je rêve au moment où j'entre dans le hall. La tapisserie que j'ai recollée tombe en lambeaux, le lustre pendouille. Un miroir que ne reconnais pas ne reflète rien. Je fais un pas, et bien sûr la bête à l'œil-de-tigre fiché dans l'orbite, toujours là, avance avec moi.

Au salon, le chat est là, lové dans mon fauteuil, sa queue battant contre le siège. Je le retrouve à la cuisine, couché dans l'évier, sa queue rythmant le débit lent de la goutte d'eau qui tombe du robinet et qui s'aplatit avec force devant ses pattes repliées. Dans mon lit, il m'attend, affalé de tout son long sur mon oreiller, et toujours sa queue battant en guise de menace : ne t'approche pas.

Je m'éveille dans une lueur dorée au milieu d'un cercle de néant, un œil où je cherche en vain la clef qui me fera sortir de ce rêve de chat.