L'accident vasculaire cérébral (AVC)

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J’ai 6 ans depuis 3 jours. Cette nuit-là, je me couche sans savoir que ma vie prendra fin le lendemain matin. Ma vie banale de petit garçon. Je me couche sûrement en pensant à ... A quoi pense-t-on quand on à 6 ans et qu’on vient de se brosser les dents ?

Nous sommes à quelques jours de la rentrée scolaire. C’est le weekend. Seule l’appréhension du retour en classe prédomine dans mon esprit.

Au réveil ma vie a changé.

Je me rends dans la chambre de mes parents. Ma mère est dans le lit. Enfin, ce n’est plus vraiment elle. Ce n’est plus la personne que je connaissais. Quelque chose ne va pas. Ma mère n’arrive pas à me parler.

Quelle solution trouve-t-on à ce moment-là quand on a 6 ans outre l’inévitable désarroi ?

Me voilà culbuter sur la planète de l’incompréhension et de la peur.

Sur le papier : l’insécurité monte en moi. Je suis seul avec moi-même pendant une durée hors-temps, si étrange, si déconnectée de toute notion de temps. Combien de temps suis-je seul, là ? Dois-je me retourner, laisser ma mère, marcher et chercher de l’aide ? Où est l’aide ? Que se passe-t-il ? Comment ne pas tout simplement “planter” intérieurement face à cette réponse impossible ?

In situ, c’est le trou noir d’un vide qui s’étalera pendant quelques années. C’est véritablement notre existence même qui m’est révélée quant à notre condition d’être mortelle, où la finitude se symbolise par la mort terrestre. Mais je n’ai que 6 ans. Et ce serait comme parvenir à lire du mandarin que d’arriver à la conclusion de ma condition sur cet instant.

Alors, je ne comprends qu’une forme d’appel à l’aide de ma mère.

Mon père arrive.

Les événements s'enchaînent. Le médecin de famille. Les urgences. Ma mère n’est plus à la maison. Où est-elle ? Tout allait pourtant bien hier soir. Tout allait bien depuis toujours. Je voulais juste regarder les dessins animés du samedi matin.

Maman, et le repas de ce midi ? Et tous les autres repas ?

Une fuite, telle un voleur qui fait irruption, ma mère s’est dérobée à elle même. Ce matin-là, ma mère valide est définitivement partie et ne reviendra plus jamais.

La porte de la chambre est restée ouverte. Comme témoin de l’agitation qui ne se referme pas.

Le diagnostic tombe. C’est un AVC (Accident Vasculaire Cérébrale). Il survient suite à une embolie, caillot venant d’une autre partie du corps, ici en l'occurrence, le cœur. L’embolie s’est produite pendant son sommeil.

Les conséquences sont lourdes avec une paralysie du bras gauche et de la jambe gauche. Les atteintes neuronales n’ont pas affecté la mémoire (court, moyen termes) et les souvenirs. Ses capacités motrices restent tout de même limitées et l'empêcheront de mener la même vie qu’avant. L’handicap est pluriel et surtout en partie imperceptible. Fatigue, difficultés de concentration, d’attention, s’additionnent dans le calcul des freins sur un quotidien pensé autour de capacités fonctionnelles.

Moi. Une famille paysanne. Loin du tumulte. La vie est un long fleuve tranquille jusqu’au jour où vous vous apercevez que l’eau qui court arrive dans les gorges d’un canyon pour se transformer en eau vive. La déferlante est rapide. Au bout, ce sont les chutes. Que faire quand nous n’avons aucune embarcation à part se laisser battre par le courant, heurter les roches, boire la tasse.

A la maison, le silence règne après la tempête. Il ne peut y avoir de retour en arrière. Quelle triste fatalité violente. Cette impuissance.

Comment communiquer avec un enfant sur des événements douloureux ?

Quel film suis-je en train de me créer pour supporter la réalité ? C’est bien trop extraordinaire, ça ne peut donc pas être vrai.

Les priorités d’un enfant de 6 ans entrent en conflit avec la violence de cet abandon. La prise en charge des victimes et le travail psychologique est inexistant. Mon père n’a pas les clés pour faire un travail d’élaboration sur cet accident. Sans jugement aucun. Loin d’être inné, c’est un métier même. Pas de manuel du parent offert à la naissance sur les mots à glisser à son enfant face au traumatisme. Ni quoi que ce soit comme bagages pour protéger l’autre et se protéger soi. Le parent est lui-même dévasté, désabusé. Nous sommes les victimes collatérales. Cependant, je ne veux pas nier ou invisibiliser ma mère qui vit en tant que victime l’absolu bouleversement que représente les conséquence de cet accident pour sa santé, et dans un second temps, son quotidien futur.

Ma mère se retrouve au sein d’un centre de rééducation nommé “Le Grand Feu”. Il accueille en majorité des grands brûlés. Je suis toujours choqué de ce nom. Comment se projeter en tant que patient vers le soin, le rétablissement d’une santé, le mieux-être psychique et physique, quand tu sais séjourner dans un lieu qui incarne la catastrophe de ta vie. Rendu là, c’est comme pactiser avec le diable. “Le Grand Feu”. Non, on ne cohabite pas avec celui qui aurait pû nous ôter la vie.

Vous imaginez un centre pour femmes victimes de violences conjugales qui s’appellerait “Le Grand Mari Violent” ?

Ce feu, si dangereux, pour lequel nous crions à la mort une fois sur notre peau, nous y voilà dans son enceinte, comme si nous pénétrions dans l’incendie. Ce feu est d’autant plus “Grand”. Il impressionne. Nous rend, nous, humain, petit, incapable devant les flammes. Nous sommes réduit à notre plus infime servitude d’Homme vulnérable.

J’entre dans cet établissement après une heure de route depuis notre domicile. Qu’est ce qui se passe pendant cette heure en voiture ? Laissez-moi jouer aux… Je jouais à quoi ?

Le mercredi après-midi, pas d’activités extra-scolaires, j’allais voir ma mère. Je garde de ces visites à l’hôpital des souvenirs anecdotiques, complètement banals. La machine à café. Des escaliers. Un espace détente et jeu. Ma mère a disparu de mon esprit.

Et puis, il y avait cette galerie d’art dans l'hôpital, c’était fascinant. Pourquoi était-ce donc là ? Sûrement pour moi. Pour nous. Patient. Proches. Pour que son empreinte prenne le pas face à la maladie. Pour quitter le cauchemar et nous faire transporter dans leur rêve.

Le retour à la réalité. Affronter le monde extérieur. Oui. Je parle bien d’un combat. Mon quotidien en tant qu’élève de CE1 m’apporte la pression du regard. Du qu’en dira-t-on. D’une différence, qui, sur le spectre de la norme, penche dangereusement vers un extrême.

Un enfant de ma classe apprend ce qui s’est passé pour ma mère. Mais, à cet instant, j’ai l’impression d’être ma mère. Son histoire devient mon histoire car je deviens dans les yeux de l’autre, celui qui a une maman malade. Je suis l’extension à qui on demande sans demander : comment tu le vis

comment tu fais ? C’est peut-être ces regards questionnants qui m’effraient car ils vous paralysent de leur attente. Je suis incapable de vous répondre. Je ne peux pas tenir votre regard. Et encore moins en capacité de dire un mot.

J’ai fait face à toutes les mines déconfites qui me voyaient. Les adultes te portent un regard de pitié et te laissent comme une petite chose qui rajoute de la peine à la peine. Mon interlocuteur n’a pas les mots. Doit-on les avoir ? Bien évidemment, non. Surtout quand on à 6 ans.

O malheur à la maladresse qui rôde. Courage fuyons. Personne n’a fuit. A part moi. J’ai fuis dans le silence.

Ma mère va rester 6 mois en rééducation. Elle reviendra progressivement à la maison. En premier lieu lors des week-ends puis définitivement. Le quotidien est à réinventer. Ma mère ne peut plus travailler désormais. Elle peut effectuer les tâches du quotidien de manière autonome. Le handicap est physique, psychologique : le deuil de sa vie d’avant confronté au rendez-vous avec celle qui s'ensuit, l’acceptation de soi, la fatigabilité plus importante.

L’accident. Nous l’avons toujours appelé comme tel. En effet, il est soudain, désagréable et imprévisible. Cette dernière caractéristique réveille une foule de sentiments. Une semaine avant l’AVC, ma mère se plaint d’une douleur thoracique et part même consulter. Des micros signes apparaissent, avec l’instant d’une micro seconde où son bras gauche ne “répond” plus. La vie continue pourtant. Ma mère est en bonne santé. Elle entretient une bonne hygiène de vie. Bien-sûr, on ne s’imagine pas qu’un jour notre vie bascule à ce point. La maladie est chez les autres et non chez nous de toute façon.

Avec les années, on se crée nos propres réponses. Les épreuves ont le mérite de façonner une vérité qui résonne en nous. Elles sont cette logique propre à notre incarnation pour s’auto-réaliser. Je me résigne à me dire que tout vécu est pur non-sens, vous, moi-même, errant sans but autour de plaisir si futiles en comparaison de cet incroyable décor à notre vie : l’existence du monde induisant le temps, la matière et le vide intersidéral. Forcément, quand une famille est projetée dans la gravité d’une maladie et par ricochet, à l’éventualité de la perte de l’être cher, “la faute à la malchance” ne comble pas notre satisfaction quant au pourquoi du comment.

Toutes nos histoires sont colorées à leur manière sur des toiles, des supports, parfois semblables dans ladite épreuve : la perte d’un enfant, un abandon parental etc…

Une première lecture du mal vient révéler le caractère profondément injuste et douloureux de la vie. En quoi aurait-on mérité de vivre ces atroces douleurs ?

Finalement, notre jouissance semble résider dans le lien et l’inévitable destin de notre existence : la séparation avec le deuil. A cela s’ajoute l’amour au présent qui nous rappelle a réalité de la permanence est une illusion, de même pour l’éphémère. Tout perdure dans un perpétuel changement d’état, de forme. En exemple, l’amour peut perdurer après la mort. On va simplement le faire vivre et le transmettre différemment.

Alors, pour subsister au travers de ces nœuds, il vous apparaît une réalité implacable qui vous rappelle à l’ordre avec l’essence fondamentale de leur raison d’être : faire l’expérience de l’amour. Ainsi, c’est aussi l’accès à la connaissance de soi qui vous est révélé. Nos relations sont cet indispensable, ce prérequis, dans ce grand terrain de jeu afin d’évoluer. On expérimente le lien en vivant l’amour sous différentes formes : l’amour pour soi, qu’on a trop donné, qu’on a pas assez reçu, qui nous a été spoliés, l’amour qui nous a étouffé, l’amour caché, interdit, perdu, l’amitié, l’amour transgénérationnel, filial, le dévouement aux autres par le travail etc…

Mais voilà. En cet instant, à 6 ans, tout ce qu’on peut faire c’est me consoler.

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