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…mercure ne sait pas s’il veut monter ou descendre, on comprend mieux le diction « Fleur d’avril ne tient qu’à un fil ». Le 5 avril est aussi l’anniversaire du philosophe Hobbes, chantre de l’empirisme né en 1588. Il écrivit plus tard que « le vrai et le faux sont des attributs du langage, non des choses. Et là où il n’y a pas de langage, il n’y a ni vérité, ni fausseté ». À le croire, tant qu’on ne vous lit pas le bulletin météo, celui-ci n’est donc ni vrai ni faux. Regardez le ciel et vivez ce mardi incertain comme bon vous…

Malgré la déprimante résonance de cette éphéméride avec mon actualité, je me levai du bon pied. Le week-end passé en compagnie d’Albertine fut des plus doux : nous étions partis nous promener dans les bois et le long d’une rivière, non loin du terminus d’une ligne de train régionale. Là, au rythme de nos pas, je m’étais senti libre de parler, de confier toutes mes peurs et de détailler les disparitions qui les causaient. Albertine refusait toujours de croire à l’existence de ces éléments que je considérais perdus, sans pour autant accorder plus de crédit à l’hypothèse de ma folie.

Albertine avait été à mes côtés dans tous les moments difficiles. C’était elle qui m’avait encouragé alors que j’étais sur le point d’abandonner les études : elle m’avait donné le temps et l’énergie de me concentrer sur l’essentiel. C’était elle qui m’avait soutenu à l’enterrement de Papa : elle avait géré d’une main de maître l’organisation des obsèques et de la succession, portant sur ses seules épaules le poids d’une réalité que je feignais d’ignorer. Face au désarroi dans lequel me plongeaient ces disparitions, elle tenta tour à tour la tendresse et la dérision, la raison et la provocation. Aucun de ses assauts ne fit mouche.

— Si tu crois à ce point que les choses disparaissent, arrête de te lamenter et débrouille-toi pour me le prouver, ou au moins pour y trouver une explication, finit-elle par me proposer.

À demi-mot, elle admit sa conviction qu’il n’en sortirait rien. D’après elle, le principal intérêt de cette idée était de m’occuper l’esprit, de nourrir l’impression de rester actif face au changement au lieu de le subir. Les chants d’oiseaux et les premiers parfums de fleurs sauvages qui accompagnèrent son conseil soulevèrent une nouvelle vague d’optimisme. Je voulus croire à l’existence d’une cause à ces récents événements, d’une faille qui me permettrait d’en extraire une explication rationnelle.

Un plan commençait à germer dans ma tête ; j’avais profité de la soirée du lundi pour le confier à Freddy. Pour une fois, celui-ci m’avait écouté avec bienveillance, sans paraître chercher dans mon propos matière à plaisanter ou à tirer ses critiques universelles. S’il s’était montré si attentif, c’est qu’il avait dû percevoir l’intensité de mon désarroi. Ainsi, après avoir recueilli tout mon propos – le temps de vider deux cocktails sans alcool – Freddy avait marqué un long silence. La fixité de son regard, la fréquence de sa respiration, la nervosité de ses gestes : toute son attitude traduisait une intense réflexion. Il en avait tiré un étrange constat, dont j’ignore encore la pertinence.

— Tu fais enfin le deuil de ton père. Un deuil tardif, certes, avec quinze ans de délai. Et inhabituel, surtout, dans cette manière de le reporter sur des objets imaginaires. Mais ce que tu me décris, tes disparitions autant que ton plan, ça me laisse peu de doutes.

Devant mon air circonspect, il s’était ensuite amusé à prédire mon comportement pour les jours, semaines ou mois à venir, selon la rapidité avec laquelle je digèrerais la mort de Papa. D’après lui, je me situais quelque part entre le déni – la première phase du processus de deuil – et la recherche de l’absent dans tous les vides de ma vie. Suivrait le désespoir, accompagné d’une perte de mes repères, d’une sensible désorganisation. Enfin viendrait le temps de reprendre le contrôle de mes émotions, d’accepter le fait que Papa n’était plus, pas plus que Maman que je n’avais jamais connue. Je me sentirais alors assez libre et fort pour repartir de l’avant.

— Tu sais, ça fait un bail qu’on est amis, Armand. Je te connais presque aussi bien qu’Albertine, mais sous un autre angle. Et de ce que j’en vois, je te garantis que tu es un adulte suffisamment équilibré et bien entouré pour rester debout et avancer, même en l’absence de tes parents. Alors crois-moi : toi aussi tu peux avoir confiance en toi.

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