En attendant ses pas

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[Benzi et Goldman]

Ce matin, Mia fêtait ses vingt-huit ans. Femme accomplie, professionnelle admirée, jeune mère comblée, on l'enviait. Aurait-il pu en être autrement ? Elle représentait l'image parfaite de la réussite aux yeux de tous sauf, peut-être, à ses propres yeux.

Depuis des mois maintenant, à moins qu'il ne s'agisse d'années, elle enviait un ailleurs sans se le dire, sans se l'avouer, sans le savoir vraiment. Peut-on oser se dire insatisfaite quand on a tout ?

Mia avait appris. Appris ce que son entourage désirait, ce que la société valorisait, ce que le monde attendait d'elle. Avec abnégation et volonté, poussée par ce profond désir de plaire qui avait commencé à l'animer durant l'adolescence, elle avait coché toutes les cases. S'était fondue dans le décor. Avait gravi l'ensemble des étapes.

Le sommet atteint, elle ne comprenait pas le sens de tout cela. Elle s'en accomodait néanmoins. Cela devait faire partie du jeu, des règles implicites, alors elle enfouissait soigneusement ses rêves d'enfants, son instinct inné, les bruits du malaise insidieux au plus profond de son coeur, persuadée qu'avec le temps, ils finiraient par disparaître complètement.

Ne doit-on pas se contenter de ce qu'on a ? N'était-ce pas ce qu'on lui avait enseigné ?

De petite fille facétieuse et forte, elle était devenue caméléon aux abords insipides. Vaguement consciente de ce fait, elle ne s'en offusquait pas. C'était ce qu'on lui demandait, après tout, et la peur d'être rejetée surpassait le désir d'assumer son être profond.

Qu'il est facile de faire taire les dissonnances de sa vie quand on n'est pas prêt à les affronter.

***

Saku ne l'avait pas abandonnée. Comment aurait-il pu le faire, de toute façon ? Il avait louvoyé, à sa manière, entre ses obligations et son amour irrationnel pour l'âme qui déambulait sur Terre, évitant de peu les foudres de ses compères sans pour autant la perdre de vue.

Il avait souffert de ses déceptions, souri de ses victoires, ri de ses maladresses, adoré ses doutes, pleuré ses chagrins. Il avait tout vécu à ses côtés, loin mais proche, réel mais transparent, absent mais présent.

S'il avait été humain, il aurait été déçu de la voir ressembler à cette substance fade.

S'il avait été humain, il l'aurait détesté constater une telle parjure.

S'il avait été humain, il aurait critiqué, reproché, râlé, accusé.

S'il avait été humain, il aurait été pris dans ses blessures, ses incapacités, ses échecs.

Heureusement, il ne l'était pas, bien que, de plus en plus, il pouvait sentir l'affleurement des émotions que cette espèce portait fièrement en bandoulière. Encore une étrangeté liée à Mia, il le savait, et dont il n'avait rien dit à personne. Assurément, on lui aurait retiré la protection de son âme, or, s'il y avait bien une chose qu'il refusait catégoriquement, c'était être séparé d'elle.

Il savait qu'elle traversait ce qu'elle devait traverser.

Il savait qu'elle devait s'écrouler pour mieux renaître.

Il savait qu'il fallait accueillir ses choix aux antipodes de sa nature profonde.

Quelques humains avaient perçu son essence véritable, et Saku s'émerveillait souvent de la réaction de ces êtres qui croisaient la route de Mia. Une puissance pareille ne pouvait laisser indifférents, toutefois, aucun d'eux n'étaient parvenus à la toucher, se contentant d'appércier son souffle sur leur existence trop souvent torturée.

Il est une règle que les siens savaient. Plus la lumière est forte, plus elle attire, le bon comme le reste. Selon cette vérité implacable, Mia avait été convoitée comme amante, comme amie, comme guide, comme collègue, comme ennemie, comme compagne, comme confidente. Sa nature profonde l'avait amené à donner sans se protéger. Au fur et à mesure des expériences, elle était parevnue à tirer quelques leçons. Peut-être trop.

La fermeture de coeur dont la jeune femme souffrait désormais demanderait du temps, beaucoup de temps, pour être réparée. Magré tout, Saku ne doutait pas qu'elle parviendrait à dépasser cette épreuve ô combien complexe. Son avenir reposait, en partie, sur ce challenge.

Le jour où la chute survint, il ressentit un sentiment de fébrilité jamais éprouvé auparavant. Mia allait enfin renouer avec lui, avec ses dons, avec sa voie. C'était écrit.

Sauf que rien ne se déroula comme prévu.

Il faut croire que, finalement, les forces divines ne maîtrisent pas tout.

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