aujourd'hui -jeudi 17 octobre - 8h15

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J’arrive à l’école et il pleut. C’est sûrement les sanglots longs des violons de l’automne. Si je commence la journée avec ce genre d’idées, je ressemblerai à un vieux pruneau séché ce soir.

Je vais aller boire mon café avec Marie. Ma collègue a le don pour irradier son entourage de ses pensées lumineuses.

Quand j’arrive dans sa classe, elle m’accueille avec son grand sourire éclatant dont elle ne se dépare jamais. Il n’y a pas que ses dents qui brillent, son collier en grosses perles de verre multicolores aussi. Il est tout à fait raccord avec les murs aux teintes criardes de la maternelle et les cubes du coin construction.

- Salut Marie !

- Namasté Linda. Je t’attendais, ton café est prêt.

- Tu es adorable, comment vas-tu ce matin ?

- Très bien, j’ai tout préparé pour mes ateliers de conscience sensorielle. J’ai hâte de commencer. Et je viens juste d’afficher notre belle fresque de la banquise. Nous travaillons sur l’album « Petit pingouineau, ne va pas dans la jungle ». J’ai pensé à représenter la neige avec de la noix de coco mélangée à la peinture blanche. L’ennui, c’est que les petits copeaux blancs ne sont pas bien fixés et tombent partout.

- J’ai eu le souci il y a longtemps j’avais fait décorer une poésie sur la mer avec du sable. J’en ai retrouvé toute l’année dans tous les coins de la classe, je pense qu’il en reste encore entre les lames du parquet à l'heure actuelle.

- Nos ATSEMs sont bien conciliantes ! Mais dis-moi, je te trouve une petite mine, ça n’a pas l’air d’aller. C’est à cause de la fermeture qui a été évoquée mardi soir ?

- Elle n’a pas simplement été évoquée, elle est préparée, déjà dans les cartons.Tu te rends compte, Marie ? Il va falloir partir ! J’en suis malade.

- Linda, reprends-toi. Rien n’est fait. Il y a beaucoup de paramètres à prendre en considération. Il y a certes les élus et la hiérarchie, mais il y a aussi l’énergie humaine positive. N’en ressens-tu pas les vibrations ? Et puis, les astres sont alignés cette année et Cassiopée va croiser la course de Mercure avant août.

- Marie, ne te vexe pas, mais tes arguments sont un peu légers pour me rassurer. Une bonne vieille circulaire, un décret, ça, ça me parlerait davantage.

- L’avenir est en nous. Si tu vois la lumière, une porte s’ouvrira. Pense positif !

- J’ai pas bien saisi, mais, d’accord.

Les mots de Marie me passent complètement au-dessus, mais elle dégage une telle aura que je me sens comme câlinée et consolée en la quittant.

- Les petits affreux vont arriver, je vais ouvrir le portail.

- Entendu. Namasté Linda.

- Oui oui, toi aussi…

Mince, c’est peut-être « moi aussi » qu’il faut répondre…

Alors que mon groupe d’élèves s’apprête à monter les escaliers, le brouhaha domine : ambiance sonore du matin. Tout le monde à quelque chose à dire à son voisin ou à moi-même d’ailleurs.

Luce commence :

- Maitresse, et ben tu sais, et ben en fait, cette nuit, j’ai réveillé maman et papa parce que j’ai vomi dans mon lit. Il y en avait partout.

Marius la coupe :

- Maitresse, Séraphin, il est pas là.

- Marius, Luce me parle, ne coupe pas la parole.

- Oui, mais c’est qu’il est pas là, Séraphin.

- Luce, pourquoi es-tu venue à l’école si tu as vomi ?

- Maman a dit que ça allait mieux ce matin.

- Et ça va vraiment mieux ?

- Oui mais j’ai mal au ventre.

Je sens que j’aborde la matinée sous de joyeux auspices.

- Allez les enfants, on monte dans la classe.

À peine la porte refermée, le groupe fourmille de partout. On pose son cartable, on range son manteau, on sort ses cahiers, on va remplir sa gourde.

Bergamote se poste devant moi :

- Maitresse, et ben tu sais, j’ai pas fait mes devoirs parce que maman a dit que j’en avais pas besoin parce que je suis une championne de lecture.

Marius s’interpose :

- Maitresse tu crois qu’il va arriver Séraphin ?

- Je ne sais pas. Mais Bergamote, comment ça, tu n’as pas lu ta page de manuel ?

- Regarde maitresse, j’ai une dent qui bouge, intervient Carl en joignant le geste à la parole.

- Oui, d’accord Carl. Alors Bergamote, j’attends ton explication.

- Bah, comme je suis très forte, à la place des devoirs, avec maman, on a fabriqué une médaille ‘championne de lecture’. Maman l’a imprimée, je l’ai coloriée, on l’a plastifiée et on a ajouté un beau ruban. Attends, je vais te la montrer.

- Tu sais, j’ai l’impression que Séraphin, il viendra pas.

- Oui Marius, j’ai compris !

- MAITRESSE ! LUCE, ELLE A VOMI !

- Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !

Tout, va bien, j’ai la situation sous contrôle.

- Pas de panique, je vous demande d’aller vous assoir au coin regroupement. Sauf toi, Luce, viens avec moi. Et toi, Gwendal, rejoins-moi pour que je lave la manche de ton blouson.

- Au secours, il y en a sur ma doudoune ! En plus j'avais pas le droit de me salir !

Chaque chose en son temps : je gère la malade, puis les vêtements. Les restes du petit déjeuner étalés devant la porte attendront trois minutes.

Soudain, mon dos se tend, je crois avoir entendu des coups frappés à l’entrée :

- Non !

La porte s’ouvre largement, étalant le vomi sur toute la surface de l’ouverture. Le liquide s’insinue dans les lames du parquet. Les enfants se taisent et deviennent légèrement jaunes.

C’est Camille, la cantinière qui arrive en laissant passer Séraphin devant elle.

Marius s’écrie :

- Super ! Séraphin est arrivé !

Moi, je serre les dents, ferme les yeux, respire - mais pas trop fort pour ne pas inhaler les effluves âcres. Je pense à Marie. Que m’a-t-elle dit déjà ? Ah oui : « Si tu vois la lumière, une porte s’ouvrira. Pense positif. »

Avait-elle choisi ses mots ?

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