Jeudi

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Je descendais une à une les marches de l'immeuble, la tête basse comme à mon habitude. Je fixais ce sol grisâtre bien dégueulasse, je ne peux pas vous le cacher… Soudainement, quelque chose m'a perturbée, il y avait des petites boules de polyester, toutes mignonnes, elles avaient l'air d'avoir été posées là, pour moi. Au sol, espèce en voie de disparition, notre gardienne gisait, couverte de polymère, de sang et de verre. Mais que s’était-il donc passé ? Ce n’était encore pas ce matin que j’arriverais à l’heure au travail.

Mon sac et ma veste jetés au pied de l’escalier, je me précipitai près de Madame Gomez.

— Madame Gomez ! Vous m’entendez ?

Pas de réponse. Inquiétant.

— Que vous est-il arrivé ?

Toujours rien.

— Ohé, il y a quelqu’un ? J’aurais besoin d’aide.

Je me dégageai un passage et commençai à vérifier les signes vitaux. Je regardai son buste qui se soulevait avec difficultés. Respiration : ok, ou presque.

— Madame Gomez, vous avez mal quelque part ?

Toujours aucune réponse, mais cela n’allait pas m’empêcher de vérifier si elle avait d’autres blessures que les coupures de verre. Quelque chose pour protéger mes mains, vite. J’ôtai mon pull et l’enfilai comme des mitaines en double épaisseur. Du sang derrière sa tête, cela n’augurait rien de bon.

— S’il vous plaît, quelqu’un ? Madame Gomez est tombée, elle est inconsciente.

Je hurlai cette fois mais personne ne répondit, aussi bien dans les étages que sur le sol. Madame Gomez était bien inconsciente.

— Ça fait longtemps que vous êtes étendue ici ?

Je continuais ma vérification tout en pensant que la flaque de sang derrière sa tête aurait été plus grosse le cas échéant.

— Ne vous inquiétez pas, j’appelle les secours.

Joignant le geste à la parole, je téléphonai aux pompiers.

— Oui, allo ! Je m’appelle Catherine Déjardins, en descendant l’escalier j’ai trouvé la gardienne étendue sur le sol couverte de polyester et de sang. … Oui, j’ai effectué les premières vérifications possibles. … Oui, elle respire difficilement, et elle est couverte d’entailles, du verre incrusté dans ses jambes, ses mains et même quelques éclats dans son visage. … Oui, j’ai palpé ce que je pouvais, elle a une plaie derrière la tête, je n’ai pas senti de bouts de verre, enfin, je crois, j’espère que je n’ai pas fait de bêtises… Non, pas de PLS*, pas de réponse non plus. … Oui, je vais continuer de lui parler en observant son corps, je n’avais pas pensé à une réponse physique plutôt que verbale. … Oui. Nous sommes au 2, rue des Lilas, dans le hall d’entrée, nous sommes seules, personne n’a répondu à mes appels … Mon numéro de téléphone, oui, c’est le 07 06 05 04 03. … Oui, j’attends avec elle, faites vite…

Il avait raccroché là. Mes remerciements s’étaient heurtés à la tonalité vide du téléphone.

Après ce qui m’avait semblé une éternité, l’ambulance était arrivée dans notre rue, j’allais ouvrir la porte abandonnant quelques secondes la pauvre madame Gomez à son triste sort. Les pompiers l’ont prise en charge rapidement et m’ont posé tout un tas de questions auxquelles je n’ai pas pu répondre. Pourquoi se trouvait-elle là à transporter du verre et du polyester, quels étaient son âge, ses allergies potentielles, ses traitements en cours, si elle avait de la famille proche ou non…
Je ne savais rien, hormis son âge et sa passion pour les fleurs artificielles qu’elle créait elle-même avant de les exposer dans sa loge, disposées dans de grands vases remplis de billes multicolores. Je ne savais pas qu’il lui arrivait d’en changer. À dire vrai, je n’y avais jamais fait attention.

Libérée de mes fonctions de premier secours, je téléphonai à mon employeur, expliquai la situation, rentrai me changer puis partis travailler.

* PLS : Position Latérale de Sécurité (http://www.pompiersdeparis.com/la-pls.html)

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